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29 mars 2024

Bientôt la fin de la monnaie fiduciaire ?

La monnaie fiduciaire existe depuis des milliers d’années, mais rien ne garantit qu’elle survivra à la prochaine décennie, face à l’essor des paiements électroniques. Pour autant, peut-on réellement dire que sa fin est imminente ?

Malgré des prédictions parfois alarmistes, il est clair que l’argent liquide ne disparaîtra pas de sitôt. En novembre 2018, une étude menée par la Banque centrale européenne a révélé qu’environ 80% des transactions des ménages de la zone euro étaient encore réalisées en espèces.

On observe cependant des différences marquées d’un pays à l’autre. Certains, tels la Finlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, font véritablement figure de pionniers dans le domaine des paiements électroniques, qui y représentent désormais près de la moitié des transactions. Le chef de file incontesté est la Suède, où 13% seulement des paiements en magasin sont effectués en espèces.

Une société cashless

La banque centrale suédoise estime que le pays pourrait se muer en économie cashless d’ici une bonne dizaine d’années. Selon la vice-gouverneure Cecilia Skingsley, « Si l’on extrapole les tendances actuelles, le dernier billet de banque en circulation aura été remis à la Riksbank d’ici 2030 ».

Ce constat fait écho à une tendance plus large. À l’échelle mondiale, les paiements électroniques devraient en moyenne enregistrer une croissance annuelle de 12,7% jusqu’en 2021. Les marchés émergents, en particulier en Asie, sont les premiers à recourir aux paiements électroniques afin de stimuler l’inclusion financière, permettant ainsi aux « non bancarisés » de participer au système financier.

Les enjeux liés à la transition vers ce type de paiements n’échappent pas aux autorités de réglementation et aux décideurs politiques. Les États membres de la zone euro ont mis en place l’Espace unique de paiements en euros (SEPA) dans l’optique d’harmoniser les normes en matière de paiements instantanés et de doper la croissance par rapport aux autres régions.

Banque ouverte : l’exemple européen

L’UE fait figure de référence pour les autorités de réglementation du monde entier en ce qui concerne les exigences imposées aux banques traditionnelles de mettre en place des interfaces de programmation d’applications afin de permettre aux entreprises de technologie financière d’offrir des services numériques innovants aux clients des banques.

La tendance peut sembler inexorable, mais la route vers une société cashless reste parsemée d’obstacles, au premier rang desquels la dépendance vis-à-vis des réseaux énergétiques. Le cash constituerait en effet la seule option de paiement en cas de perturbation majeure. Les paiements électroniques sont également exposés au risque de défaillance des systèmes des prestataires, qui pourrait affecter la capacité des gens à acheter et vendre des biens.

De tels incidents ont déjà eu lieu. En juin 2018, les titulaires de carte Visa se sont ainsi retrouvés dans l’incapacité de procéder à des paiements en Europe à la suite d’une panne système, les dispositifs de secours s’étant révélés insuffisants. Dans ce contexte, il est donc peu probable que l’argent liquide disparaisse complètement, même s’il est de moins en moins utilisé dans le cadre des transactions au quotidien.

Des systèmes vulnérables

La vulnérabilité des systèmes de paiement électronique aux attaques criminelles, terroristes ou perpétrées par des gouvernements hostiles suscite par ailleurs de vives inquiétudes. La question se pose aujourd’hui de savoir s’il serait possible de prendre un pays en otage par l’intermédiaire de ses systèmes de paiement, malgré les dispositifs de contrôle déployés par les gouvernements.

De l’autre côté de la balance, certains avancent l’argument selon lequel le cash bénéficie aux réseaux criminels. Les banques centrales de l’UE arrêtent progressivement d’émettre des billets de 500€, dès lors que ceux-ci seraient davantage utilisés à des fins d’évasion fiscale ou de blanchiment de capitaux plutôt que dans le cadre de transactions légitimes. Selon Peter Sands (Harvard), ils sont privilégiés par les auteurs de transactions criminelles de grande envergure dans la mesure où ils attirent moins l’attention que d’importants volumes de petites coupures.

Pour les entreprises, la gestion électronique des paiements est non seulement plus efficace et meilleur marché, mais permet également de réduire le risque d’attaque lié à la détention de liquidités sur site.

Pour les entreprises, la gestion électronique des paiements est non seulement plus efficace et meilleur marché, mais permet également de réduire le risque d’attaque lié à la détention de liquidités sur site. Cet avantage profite par ailleurs aux personnes physiques, bien que certains segments de la société, notamment les personnes âgées, soient plus vulnérables au risque d’agression physique dans la mesure où ils sont beaucoup plus susceptibles d’avoir de l’argent sur eux.

Un casse-tête monétaire

L’argent liquide constitue en outre un obstacle potentiel à la politique monétaire actuelle de la BCE, qui consiste à imposer aux banques commerciales des taux d’intérêt négatifs sur leurs dépôts afin de les encourager à prêter de l’argent au lieu de le conserver.

Si les banques répercutaient les taux négatifs sur leurs clients de détail (comme elles sont déjà un petit nombre à le faire), ceux-ci seraient tentés de contourner les frais en détenant davantage d’argent sous forme d’espèces plutôt que sur des comptes bancaires. Au sein d’une société cashless, les banques centrales bénéficieraient d’une plus grande marge de manœuvre pour encourager les dépenses de consommation ou l’investissement dans des actifs plus risqués tels que les actions d’entreprises. Rien ne garantit cependant que les gouvernements, et encore moins les électeurs, seraient favorables à une telle évolution.

L’engagement en faveur du numéraire

Yves Mersch, membre du comité exécutif de la BCE, estime que les taux d’intérêt négatifs ont eu l’effet désiré sans déclencher de repli massif vers les liquidités, notamment car ils se sont accompagnés de rachats d’obligations, d’un financement bon marché pour les banques et d’indications prospectives sur les taux.

Selon lui, le principal problème d’une société sans espèces est tout simplement que la majorité de la population n’en veut pas, tout du moins en Europe, où une enquête réalisée par la BCE en 2018 a révélé un attachement toujours fort à l’argent liquide. Si certains voient dans les paiements électroniques un moteur d’inclusion financière, d’autres, plus sceptiques, considèrent qu’une société cashless pourrait laisser sur la touche les personnes vulnérables manquant de connaissances techniques ou de confiance.

Malgré ses limites (risque de perte, de vol ou de dégradation), l’argent liquide revêt toujours un caractère rassurant et sécurisant pour bon nombre d’entre nous. Certains y voient également un symbole de liberté face à « Big Brother ». Alors que la monnaie fiduciaire perd déjà son rôle central dans certains pays, ce n’est pas demain la veille que les derniers euros en circulation seront remis à la BCE.

Malgré ses limites (risque de perte, de vol ou de dégradation), l’argent liquide revêt toujours un caractère rassurant et sécurisant pour bon nombre d’entre nous.