Quelles sont mes obligations fiscales en tant qu’entrepreneur?
Petit pays situé au cœur de la Grande Région, le Luxembourg est perçu comme un eldorado par de nombreux entrepreneurs. Vous vous lancez dans l’aventure entrepreneuriale et souhaitez créer votre activité au Grand-Duché? Paul Leyder, Partner chez BDO, vous explique quelles sont les règles fiscales à respecter, les moyens à mettre en œuvre et les particularités du pays à prendre en compte pour s’y conformer.
Monsieur Leyder, l’entrepreneur doit répondre à des obligations, y compris fiscales. À quoi doit-il notamment veiller?
L’entrepreneur qui s’installe au Luxembourg doit remplir de nombreuses obligations. Il doit tout d’abord obtenir une autorisation d’établissement pour pouvoir exercer ses activités légalement. Dans le cas contraire, il risque des sanctions pénales et la fermeture de son établissement.
D’un point de vue fiscal, il doit s’immatriculer à la TVA et se conformer aux obligations en matière de TVA. Il est également important de ne pas oublier l’imposition des bénéfices réalisés à travers son entreprise installée au Luxembourg ainsi que la rémunération de l’entrepreneur. À partir du moment où il emploie du personnel, l’entrepreneur doit absolument s’affilier à la sécurité sociale en tant qu’employeur et s’enregistrer auprès de l’Administration des Contributions Directes pour respecter les exigences en matière d’impôt sur salaire. Ce dernier a en effet l’obligation de retenir l’impôt sur salaire si celui-ci est imposable au Luxembourg.
Si l’entrepreneur exerce son activité à travers une société à responsabilité limitée (S.à r.l. ou S.à r.l.-S) ou une société anonyme (ce qui est moins fréquent), l’entrepreneur perçoit en règle générale deux types de revenus: sa rémunération en tant que dirigeant qui est soumise à l’impôt sur salaire et aux cotisations de sécurité sociale si le dirigeant exerce son activité au Luxembourg, mais aussi les bénéfices distribués sous forme de dividendes. Ces derniers sont soumis à la retenue à la source sur dividende au Luxembourg au moment de la distribution et à l’impôt sur le revenu dans le chef de l’entrepreneur dans son pays de résidence avec un crédit d’impôt pour la retenue à la source luxembourgeoise.
La particularité du Luxembourg est de compter une importante main-d’œuvre frontalière. Qu’est-ce que cela implique dans ce contexte?
Lorsque nous parlons de main-d’œuvre frontalière provenant des pays limitrophes et bénéficiant d’un contrat d’emploi avec un entrepreneur luxembourgeois, il convient de prêter attention au droit d’imposition des salaires qui est en principe partagé entre le pays de résidence des salariés et le Luxembourg en tant que pays d’exercice du travail. En principe, seule la rémunération pour le travail effectué sur le territoire du Luxembourg est imposée au Luxembourg, tandis que la rémunération relative au travail effectué à l’étranger, que ce soit dans le pays de résidence du salarié ou ailleurs, est imposée dans le pays de résidence du salarié.
Les accords conclus entre le Luxembourg et ses pays voisins prévoient qu’un salarié vivant à l’étranger reste imposable au Luxembourg sur l’intégralité de son salaire tant que les jours travaillés à l’étranger ne dépassent pas un certain seuil.
Le Luxembourg est un petit pays avec une importante main-d’œuvre non-résidente. Il existe donc des accords conclus entre le Luxembourg et ses pays voisins. Ces derniers prévoient qu’un salarié vivant à l’étranger reste imposable au Luxembourg sur l’intégralité de son salaire tant que les jours travaillés à l’étranger ne dépassent pas un certain seuil. Pour la Belgique et la France, le seuil autorisé est de 34 jours. Pour l’Allemagne, ce seuil est actuellement de 19, mais sera aussi relevé à 34 jours à partir de 2024 suite à un accord trouvé entre le Luxembourg et l’Allemagne le 6 juillet 2023. Dès lors, tant que le salarié ne dépasse pas ce nombre de jours, le Luxembourg conserve le droit d’imposition pour l’intégralité du salaire. Dans le cas contraire, le droit d’imposition pour la partie de la rémunération relative aux jours de travail à l’étranger appartient exclusivement au pays de résidence pour l’entièreté des jours qui ne sont pas effectués au Grand-Duché.
L’employeur a dans certains cas aussi des obligations à respecter dans le pays de résidence du salarié. Tel est par exemple le cas si une partie de la rémunération de salariés résidents en France devient imposable en France. Dans ce cas, l’employeur doit renseigner chaque année le revenu net imposable en France. Depuis l’année 2023, il n’a cependant plus besoin de faire les prélèvements d’impôts. Les impôts dus en France seront en principe prélevés par les autorités fiscales françaises sur le compte bancaire du salarié concerné. En Belgique et en Allemagne, il ne doit rien faire, car c’est au salarié de déclarer la partie de son salaire qui est exclusivement imposable dans son pays de résidence.
Dans le cas où des salariés travaillent au Luxembourg ainsi qu’à l’étranger, l’employeur doit par conséquent réaliser un suivi rigoureux des différents lieux de travail de ses salariés. Il doit également informer ses collaborateurs des conséquences en cas de dépassement des seuils prévus et des démarches à réaliser et s’assurer à ce que la partie des salaires qui deviennent imposables dans le pays de résidence des salariés ne soit pas imposée à l’impôt sur le revenu au Luxembourg.
L’impôt sur le revenu est déterminé exclusivement sur base des dispositions nationales, tout en respectant les conventions bilatérales contre les doubles impositions.
Comment les règles de l’UE impactent-elles la législation luxembourgeoise?
En matière d’impôts sur le revenu, les règles de l’UE ont peu d’impact si ce n’est pour l’imposition des revenus tombant sous le régime des sociétés mères et filiales et l’échange d’informations avec d’autres pays membres de l’UE. La raison en est que l’impôt sur le revenu est déterminé exclusivement sur base des dispositions nationales tout en respectant les conventions bilatérales contre les doubles impositions.
Il convient de noter qu’en matière d’imposition des salaires, l’échange d’informations entre les pays membres de l’UE impacte davantage les autorités fiscales que les employeurs. Cependant, l’échange d’informations entre pays membres de l’UE concerne aussi des matières autres que l’imposition des salaires et a de ce fait des impacts non négligeables sur les obligations administratives des entreprises luxembourgeoises.
En matière de sécurité sociale, la situation est différente. En principe, les salariés embauchés par un employeur luxembourgeois sont soumis au régime de la sécurité sociale luxembourgeoise et l’employeur comme le salarié doivent par conséquent payer des cotisations sociales au Luxembourg. Cependant, sur base d’un règlement européen portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale européens, un salarié embauché par un employeur luxembourgeois pourra dans certains cas de figure être soumis au régime de la sécurité sociale dans son pays de résidence. Tel est notamment le cas si un salarié exerce une partie substantielle de son travail dans son pays de résidence.
Le Luxembourg a signé le 5 juin 2023 un nouvel accord-cadre européen en matière de télétravail qui est d’application depuis le 1er juillet 2023.
Si un salarié d’un employeur luxembourgeois est soumis à la sécurité sociale dans son pays de résidence, l’employeur luxembourgeois sera confronté dans le pays de résidence du salarié à un certain nombre de formalités administratives. Il est aussi important de signaler dans ce contexte que le Luxembourg a signé le 5 juin 2023 un nouvel accord-cadre européen en matière de télétravail qui est d’application depuis le 1er juillet 2023. Ce nouvel accord permet que le salarié d’un employeur luxembourgeois reste, sous certaines conditions, soumis au régime de sécurité sociale luxembourgeois tant que le temps de travail effectué dans le pays de résidence reste inférieur à 50% de son temps de travail total.
Finalement, en matière de TVA, l’assujettissement à la TVA, la détermination du lieu de la prestation pour la TVA et l’obligation d’immatriculation sont encadrés par la loi luxembourgeoise, mais les dispositions luxembourgeoises résultent de la transposition des directives européennes.
Comment l’entrepreneur peut-il s’assurer de toujours répondre à ces exigences?
Si l’entrepreneur manque d’expérience, l’idéal est de s’associer à des professionnels établis au Luxembourg et qui sont en mesure de l’accompagner sur différents aspects. Ces experts peuvent par exemple s’occuper du secrétariat social (affiliation à la sécurité sociale, suivi des obligations en matière d’impôts sur salaire et de sécurité sociale, calcul des cotisations, conseils sur la procédure de suivi du télétravail, etc.) et accompagner l’entrepreneur en relation avec ses obligations en matière de TVA et d’impôt sur le revenu.
Quelles évolutions économiques, sociales et juridiques a-t-on pu observer récemment?
Depuis les confinements, de nouvelles façons de travailler ont émergé. Les salariés ont pris plaisir à rester à la maison. C’est un aspect à prendre en compte pour motiver et attirer les talents.
Nous constatons aujourd’hui aussi que les écarts de rémunérations entre le Luxembourg et les pays frontaliers se réduisent. Les salaires restent plus élevés au Luxembourg, mais la différence est moindre. S’y ajoutent les enjeux de mobilité et de logement qui poussent les travailleurs à réfléchir plus intensément au lieu où ils souhaitent travailler et s’installer.
Dans certains secteurs d’activité comme la finance, la pénurie de ressources pousse les employeurs à aller chercher les compétences requises de plus en plus loin: dans d’autres pays de l’UE ou en dehors de celle-ci. Un régime fiscal particulier, celui des impatriés, prévoit que sous certaines conditions, une certaine partie de la rémunération du salarié embauché à l’étranger soit exonérée de l’impôt sur le revenu. Cela permet d’améliorer la rémunération nette d’impôt, ce qui constitue un attrait supplémentaire.
À quels changements pourrait-on s’attendre dans le futur et comment y faire face?
En matière de fiscalité, aucun changement n’est prévu en ce qui concerne les règles d’imposition, si ce n’est que l’échange d’informations entre les États membres continuera d’évoluer dans le futur.