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16 octobre 2024

Le rôle des obligations vertes dans la transition durable

Alors que le monde cherche à remodeler ses infrastructures énergétiques et ses processus industriels afin d’abandonner progressivement les combustibles fossiles, la question la plus épineuse concerne le financement de la transition. Les gouvernements et les entreprises du monde entier ont adopté le concept des «obligations vertes»: des titres dont le produit est spécifiquement affecté à des projets et à des activités bénéfiques pour l’environnement.

Si les obligations vertes existent depuis plus d’une quinzaine d’années (la toute première a été émise par la Banque européenne d’investissement en 2007 avec cotation à la Bourse de Luxembourg), le concept a véritablement pris son envol au cours des trois dernières années.

Les obligations vertes et durables ont attiré 273 milliards de dollars de capitaux au premier trimestre 2024, selon l’organisation à but non lucratif Climate Bonds Initiative. L’année dernière, les obligations vertes, sociales, durables et liées à la durabilité ont enregistré une collecte totale de 870 milliards de dollars, soit 3% de plus que l’année précédente, mais les experts affirment que leur essor n’a réellement commencé qu’en 2021, lorsqu’il est apparu clairement qu’une demande existait.

La popularité des obligations vertes a également été dopée par l’évolution de la réglementation et son impact sur les évaluations des agences de notation, selon Alessandra Simonelli, Head of Sustainable Development à la Banque Internationale à Luxembourg: «Les investisseurs pourraient être amenés à revoir leurs stratégies afin de prendre en compte les performances ESG, ce qui aurait des répercussions en termes de demande et de prix.»

La catégorie des «obligations vertes» s’élargit de plus en plus et englobe désormais un large éventail d’approches en matière de durabilité.

Un large éventail d’approches en matière de durabilité

Il est toujours appréciable d’avoir du choix. La catégorie des «obligations vertes» s’élargit de plus en plus et englobe désormais un large éventail d’approches en matière de durabilité. Les obligations bleues sont destinées à lever des capitaux aux fins de projets marins et océaniques, les obligations sociales permettent de financer des projets à impact social et les obligations durables contribuent au financement de projets combinant des objectifs environnementaux et sociaux. Citons également l’émergence des obligations liées à la durabilité, dans le cadre desquelles les taux d’intérêt versés par les émetteurs sont conditionnés par la réalisation d’objectifs prédéterminés dans des domaines tels que les émissions de gaz à effet de serre.

Ces différents instruments de dette, souvent regroupés sous l’appellation «obligations vertes», sont émis par des gouvernements, des entreprises, des banques et des organismes supranationaux tels que des banques de développement en vue de financer des projets et des activités liés au développement durable. Le marché des obligations vertes souveraines est aujourd’hui bien établi, avec des acteurs issus des quatre coins du monde.

Par exemple, en décembre 2023, le Brésil a levé 2 milliards de dollars sous la forme d’obligations durables, indiquant que les fonds seraient alloués à des initiatives promouvant le développement durable. Le Brésil, la Colombie et l’Équateur font partie d’un groupe de travail qui planche, en concertation avec des banques de développement, sur la mise en place d’un cadre d’émission dans l’optique de lever des milliards de dollars qui seront utilisés pour financer à moindre coût des initiatives de protection de la forêt amazonienne.

En Europe, le gouvernement français a été le principal émetteur d’obligations vertes, consacrant les fonds récoltés au financement de mesures d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à celui-ci, de protection de la biodiversité et de réduction de la pollution environnementale. La Commission européenne prévoit de lever jusqu’à 250 milliards d’euros sous la forme d’obligations vertes pour financer le plan de relance Next Generation EU, ce qui confortera sa position de leader en matière d’obligations vertes.

Comme pour tous les produits financiers liés au développement durable, les pratiques d’écoblanchiment et d’affectation mensongère des fonds récoltés suscitent des inquiétudes.

Norme de l’UE en matière d’obligations vertes

Comme pour tous les produits financiers liés au développement durable, les pratiques d’écoblanchiment et d’affectation mensongère des fonds récoltés suscitent des inquiétudes. Il est en outre difficile de comparer les produits en raison d’un reporting à précision variable et en l’absence d’une terminologie harmonisée. Pour remédier à cette situation, l’UE a élaboré une norme en matière d’obligations vertes, qui vise à renforcer la confiance et la transparence autour du label «obligations vertes». Cette norme a été adoptée en décembre 2023 et entrera en vigueur en décembre 2024.

Les obligations vertes sont également utilisées par les entreprises pour financer des projets ou des activités favorisant le développement durable, dans des domaines tels que les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les infrastructures de transport propres et la gestion durable de l’eau. En France, la Caisse des Dépôts et Consignations, une institution semi-publique qui est copropriétaire de La Poste, du réseau national de gazoducs et des principales sociétés d’assainissement des eaux usées, a émis une obligation durable pour un montant de 500 millions d’euros en juin 2023 afin de financer la construction et la rénovation thermique de logements sociaux, d’améliorer l’accès au numérique et d’apporter un soutien à la population vieillissante du pays.

La RATP (opérateur public en charge d’une partie des transports en commun parisiens) et SNCF Réseau (opérateur d’infrastructures ferroviaires) ont également émis des obligations vertes pour financer leur trajectoire de décarbonation. Les obligations vertes émises par les banques sont souvent utilisées pour financer des prêts liés au développement durable, tels que des crédits hypothécaires verts, ou des prêts octroyés aux entreprises pour leurs propres projets de transition énergétique. La Banque mondiale et d’autres organisations supranationales telles que la Banque européenne d’investissement figurent également parmi les principaux émetteurs d’obligations vertes.

Les obligations vertes partagent la même structure de base que les autres titres de créance. Le coupon (paiement annuel des intérêts) dépend du risque perçu au niveau de l’entité émettrice et est directement lié aux rendements des obligations traditionnelles de cette dernière. Les obligations brésiliennes récemment émises ont été lancées avec un coupon de 6,25% par an, contre 3 à 3,2% pour les entités publiques françaises.

La «prime verte» (greenium) appliquée aux obligations vertes a diminué ces dernières années, mais quelque 30% des obligations vertes se négocient toujours à un prix plus élevé que les titres traditionnels comparables à la mi-2024.

L’effet de la «prime verte»

Le fait qu’une «prime verte» (greenium) soit souvent appliquée aux obligations vertes incite les entreprises et les gouvernements à en émettre et leur permet d’offrir des rendements inférieurs à ceux des titres traditionnels. Cette tendance s’est atténuée au cours des dernières années, mais quelque 30% des obligations vertes se négocient toujours à un prix plus élevé (et offrent un rendement plus faible) que les titres traditionnels comparables à la mi-2024. Les émetteurs sont en mesure de financer leurs projets liés au développement durable à un moindre coût que dans le cadre d’un emprunt classique.

Les analystes tablent sur une poursuite de la croissance du marché dans les années à venir. L’agence de notation Moody’s prévoit que les émissions d’obligations climatiques pourraient représenter 950 milliards de dollars cette année, tandis que sa rivale S&P anticipe un volume supérieur à 1.000 milliards de dollars. En 2023, les émissions les plus importantes sont venues des sociétés non financières, suivies de près par les institutions financières, puis par les gouvernements, les autres entités du secteur public, les banques de développement et les collectivités locales.

Les obligations vertes peuvent permettre d’améliorer la durabilité des portefeuilles obligataires des investisseurs, ce qui est généralement plus compliqué qu’au niveau des portefeuilles d’actions. En effet, dès lors que les détenteurs d’obligations sont des prêteurs plutôt que des propriétaires, comme c’est le cas des actionnaires, il leur est plus difficile d’encourager les entreprises sur la voie de la transition verte. Le marché des obligations vertes offre désormais un large choix en termes d’émetteurs, conjugué à un marché secondaire liquide, ce qui se traduit par un trading plus fluide et permet de créer plus facilement un portefeuille diversifié.

Le marché des obligations vertes offre désormais un large choix en termes d’émetteurs, conjugué à un marché secondaire liquide, ce qui se traduit par un trading plus fluide et permet de créer plus facilement un portefeuille diversifié.

Un problème subsiste toutefois: quid du reste du marché obligataire? Devient-il «brun» ou moins durable lorsque les composantes vertes des investissements des entreprises et des gouvernements disposent de leur propre canal de financement? Cette question laisse pour l’heure les investisseurs perplexes et n’a pas encore été entièrement résolue, bien que les décideurs politiques espèrent voir cette tendance conduire progressivement à un changement plus large en faveur de la durabilité dans tous les aspects des activités des entreprises et des gouvernements.

Le marché des obligations vertes a connu quelques problèmes au démarrage, à l’instar de tout domaine d’activité relativement nouveau. Il gagne cependant en liquidité et en diversité, et les régulateurs commencent à définir des paramètres concrets encadrant l’utilisation de l’appellation «obligations vertes». Cela devrait aider les investisseurs à prendre des décisions rationnelles vis-à-vis des obligations vertes et se traduire par une plus grande transparence sur le marché.