Investissements: les pelles et les pioches plutôt que l’IA?
Pour les investisseurs axés sur la technologie, il est tentant de se focaliser sur les résultats exceptionnels engrangés par les gagnants et de fermer les yeux sur les échecs de ceux qu’ils ont laissés derrière eux.
Dénicher des entreprises technologiques réellement prometteuses n’est pas chose aisée, d’autant qu’il faut encore pouvoir les identifier assez tôt dans leur cycle de vie pour pouvoir en tirer un bénéfice. Il existe toutefois d’autres moyens pour participer à l’expansion de la technologie, à la fois moins volatils et plus prévisibles.
Une alternative qui a déjà fait ses preuves est celle qui consiste à éviter les titres les plus renommés pour leur préférer les fabricants de «pelles et de pioches». En d’autres termes, il s’agit de privilégier les entreprises qui permettent le changement en offrant les outils nécessaires plutôt que celles qui exécutent le changement proprement dit. Cette stratégie d’investissement tire son nom de la ruée vers l’or qui a eu lieu en Californie dans les années 1840 et 1850, durant laquelle ceux qui ont amassé les plus grandes fortunes n’auraient apparemment pas été les mineurs d’or eux-mêmes, mais bien ceux qui leur avaient fourni les outils nécessaires pour creuser.
S’il est possible que l’histoire de la ruée vers l’or soit fictive, son application en tant que stratégie a plutôt bien aidé les investisseurs à gérer les cycles d’innovation technologique précédents. Durant l’avènement de l’Internet par exemple, les entreprises qui ont perduré et engrangé le plus d’argent ont généralement été des sociétés comme Apple, Microsoft et Alphabet, à savoir celles qui proposaient des réseaux de cloud, des logiciels, des appareils mobiles et des outils permettant de surfer sur Internet.
Les entreprises qui ont perduré durant l’avènement de l’Internet, à l’instar d’Apple, Microsoft et Alphabet, sont celles qui proposaient des réseaux de cloud, des logiciels, des appareils mobiles et des outils permettant de surfer sur Internet.
Fiascos largement médiatisés
Les «mineurs d’or» ont quant à eux connu des fortunes plus diverses. Certaines entreprises sont certes parvenues à tirer leur épingle du jeu, comme Amazon ou encore Meta, qui détient Facebook et Instagram, mais les échecs ont été bien plus nombreux, à l’instar de ceux, très médiatisés, de pets.com, eToys.com et garden.com. Ces sociétés ont bel et bien identifié le potentiel de l’Internet à un stade précoce, mais elles ont échoué sur d’autres aspects: elles sont arrivées trop tôt, ont trop dépensé, ont manqué de discipline ou ont simplement été mal gérées.
Si l’approche «des pelles et des pioches» fonctionne, c’est pour de bonnes raisons. Lors d’évolutions technologiques majeures, comme l’Internet ou l’intelligence artificielle, il faut du temps pour que des applications potentielles émergent. L’Internet n’a par exemple pu montrer son plein potentiel que lors du lancement des smartphones. Ainsi, l’investissement précoce dans des applications spécifiques est un exercice par nature plus spéculatif, même si la récompense est potentiellement plus élevée à long terme.
Cette approche fonctionnera-t-elle avec l’intelligence artificielle, dernière ruée vers l’or en date? Certains analystes avancent qu’elle pourrait entraîner une révolution de la productivité. Selon Goldman Sachs Research, l’IA pourrait être à l’origine d’une augmentation de 7% du PIB mondial, ce qui correspond à près de 7 000 milliards USD actuellement, et pourrait doper la croissance de la productivité de 1,5 point de pourcentage sur 10 ans.
L’IA recèle un potentiel d’utilisation considérable. Elle est déjà mise en œuvre dans des domaines tels que le diagnostic médical, la gestion des stocks et des chaînes d’approvisionnement et l’amélioration de l’efficacité dans l’agriculture. Les autres usages possibles sont légion, par exemple dans la fabrication, la finance, le divertissement ou encore le commerce de détail. Son impact sera sans aucun doute considérable et très étendu, bien que ses principaux avantages ne soient pas encore clairement identifiés. Aucune «application phare» n’a encore émergé qui permettrait à l’IA de créer un outil utile et puissant et aux investisseurs d’engranger d’énormes rendements.
Opportunités dans les infrastructures d’IA
Dans un tel contexte, l’approche des pelles et des pioches était sans conteste celle à privilégier, en misant pour commencer sur les fabricants de semi-conducteurs TSMC, Samsung et Nvidia, qui conçoit les puces de pointe nécessaires pour alimenter l’IA. Si les performances passées ne sont pas une indication des résultats futurs, notons toutefois que Nvidia a fait état d’une hausse de ses revenus de 262% en glissement annuel au premier trimestre 2024. ASML, qui fournit les machines permettant de construire des semi-conducteurs, appartient également à ce secteur. Toutes ces entreprises ont profité de l’empressement à bâtir des infrastructures d’IA alors que les entreprises s’efforcent de ne pas être laissées pour compte.
Les fournisseurs d’informatique en nuage ont également profité de cette tendance. L’IA est fondée sur des données, et les fournisseurs de cloud facilitent la collecte et l’analyse de ces données. Ces entreprises ont investi des milliards afin de se tailler un avantage concurrentiel en matière d’IA. Goldman Sachs estime par ailleurs que les plus grandes entreprises technologiques, telles que Microsoft, Alphabet, Meta et Amazon, pourraient consacrer jusqu’à 1 000 milliards USD à des investissements dans l’intelligence artificielle au cours des années à venir.
Le problème pour les investisseurs est que le marché a déjà pris connaissance de toutes les facettes de ce thème. Le groupe technologique constitué des «Sept Magnifiques» (Amazon, Apple, Alphabet, Meta, Microsoft, Tesla et Nvidia) représentait plus de la moitié de l’ensemble des bénéfices engrangés sur le marché boursier américain en 2023, avec une performance combinée de 75,7%, soit près de trois fois la performance globale du S&P 500 (24,2%).
Ces sociétés occupent également une place de plus en plus importante au sein des indices des marchés boursiers américains. Selon Morgan Stanley, les 10 plus grandes entreprises composant le S&P 500 représentaient 27% de la capitalisation totale de l’indice fin 2023, soit près du double de leur poids 10 ans auparavant (14%).
Au cours des cycles précédents, les fabricants de pelles et de pioches représentaient les investissements stables, leurs cours étant moins sensibles aux rebondissements. Cette fois-ci pourtant, ce sont précisément ces titres qui constituent les investissements vedettes.
Le dilemme des investisseurs
Si cela peut ressembler à une justification en faveur de la stratégie des pelles et des pioches, il est également possible qu’elle échoue dans le contexte actuel. Au cours des cycles précédents, les fabricants de pelles et de pioches représentaient les investissements stables, leurs cours étant moins sensibles aux rebondissements. Cette fois-ci pourtant, ce sont précisément ces titres qui constituent les investissements vedettes. Il est possible qu’il existe encore des entreprises robustes assorties d’une trajectoire de croissance prometteuse, mais leur valeur est peut-être déjà intégrée dans le cours de leur action.
Les investisseurs sont ainsi confrontés au dilemme suivant: tenter leur chance avec la stratégie des pelles et des pioches, où la demande, mais aussi les prix, sont élevés, ou miser sur les applications potentielles clés de l’IA ainsi que sur les entreprises qui pourraient en profiter. Il s’agit là d’une approche plus spéculative, mais les gagnants en tireront d’importants bénéfices.
Une tendance émerge parmi les gestionnaires de fonds: cibler les entreprises disposant d’importantes bases de données complexes, à partir desquelles l’IA pourrait offrir des perspectives révolutionnaires et véritablement différenciées. Il s’agit par exemple d’entreprises ayant récolté un volume important de données juridiques ou issues de la recherche et qui pourraient, à terme, compter parmi les principaux bénéficiaires de la prochaine vague de l’IA.
La stratégie des pelles et des pioches est une approche à considérer pour investir dans les nouvelles tendances technologiques. En ce qui concerne l’intelligence artificielle toutefois, de nombreux investisseurs ont déjà eu cette même idée. Les nouveaux venus se verront donc peut-être forcés d’adopter une autre stratégie pour tirer parti de la révolution de l’IA à mesure qu’elle progresse.