Mes finances, mes projets, ma vie
7 septembre 2024

Investissements: L’incertitude ou la nouvelle normalité

Les trois dernières décennies, depuis la chute du Rideau de fer, ont principalement été marquées par une baisse de l’inflation et des taux d’intérêt, une hausse des marchés actions et une croissance économique dans une grande partie du monde. Mais vu le grippage de la mondialisation et des échanges mondiaux, le combat des banques centrales contre l’inflation et la croissance atone dans de nombreux pays, la période de « Grande modération » serait-elle révolue?

Si l’environnement économique semble particulièrement tourmenté aujourd’hui, c’est peut-être parce que ces dernières décennies ont constitué une anomalie sur le plan historique. Les trois décennies qui ont démarré au début des années 1990 ont été qualifiées de «Grande modération»: une période d’expansion économique, d’extrême faiblesse de l’inflation et des taux d’intérêt et, pour l’essentiel, de hausse des marchés boursiers, à l’exception de quelques aléas tels que le krach lié à l’éclatement de la bulle Internet en 2000 et la crise financière mondiale de 2007-2009. Toutefois, ces trente dernières années ont peut-être constitué l’exception plutôt que la règle, et les investisseurs vont sans doute devoir s’habituer à un tout autre type d’environnement financier et économique.

Plusieurs facteurs expliquent cette longue période de stabilité et de prospérité relatives. Citons notamment une meilleure gestion de la politique monétaire, les gouvernements accordant de plus en plus d’indépendance aux banques centrales. Les cycles conjoncturels ont ainsi pu être lissés puisque les responsables politiques n’ont pas pu manipuler les taux d’intérêt pour stimuler la croissance économique à des moments bien choisis par rapport au calendrier électoral.

La déréglementation a également contribué à renforcer la flexibilité de l’économie mondiale, lui permettant de s’adapter plus facilement aux chocs. Jusqu’il y a peu, les avancées en matière de mondialisation et de libre-échange ont permis à de nombreux pays d’améliorer leur niveau de vie grâce à des produits moins chers, et à d’autres de bénéficier de recettes d’exportation sans précédent, à commencer par les centres de production à bas coûts dont la Chine est l’exemple le plus marquant.

La technologie a également joué un rôle. Selon la Réserve fédérale américaine, « Les progrès réalisés sur le plan des technologies de l’information et des communications ont permis aux entreprises d’améliorer l’efficacité de leur production et de mieux contrôler leurs processus, réduisant ainsi la volatilité de la production et, partant, du PIB réel ».

Ces facteurs ont toutefois commencé à se dégrader ces dernières années. Si la plupart des banques centrales restent indépendantes, la mondialisation s’est essoufflée sous l’effet de tensions géopolitiques et de guerres commerciales de plus en plus vives. L’indice de la mondialisation du KOF, compilé par l’université suisse ETH Zürich, fait état d’un ralentissement significatif de la mondialisation depuis 2010, même si les chercheurs affirment qu’elle ne s’est pas (encore) inversée. Cela signifie que le flux illimité de produits bon marché est moins important.

La mondialisation s’est essoufflée sous l’effet de tensions géopolitiques et de guerres commerciales de plus en plus vives.

Les technologies exercent toujours une certaine pression déflationniste, et il est possible que l’intelligence artificielle donne un nouvel élan à la productivité, mais les gains les plus importants ont peut-être déjà été réalisés. Par ailleurs, la déréglementation a moins le vent en poupe depuis la crise financière mondiale, laquelle a dans une large mesure été imputée à la levée de contraintes qui pesaient depuis longtemps sur l’activité des marchés financiers.

La pandémie de Covid-19 a également eu un impact depuis son apparition début 2020. Les répercussions des mesures de confinement sur l’activité économique et le commerce ont amené les particuliers et les entreprises à compter davantage sur l’action et l’aide financière des pouvoirs publics, et ont entraîné une hausse des dépenses publiques sans précédent en temps de paix. En outre, les perturbations le long des chaînes d’approvisionnement et les pénuries de produits liées au Covid ont poussé à un abandon du « just in time » au profit d’un stockage « just in case ». Enfin, les stratégies d’inflation et de souveraineté post-Covid sont de plus en plus étroitement liées, les nations cherchant à préserver leur autonomie et leur stabilité.

Ces développements, conjugués à une politique monétaire probablement restée trop accommodante pendant trop longtemps dans la mesure où les banques centrales n’étaient pas habituées à l’instabilité des prix après tant d’années, ont contribué à une poussée inflationniste que les responsables politiques se sont depuis lors efforcés à grand-peine de maîtriser.

Un nouveau paradigme économique

En résulte un climat tout à fait différent pour les investisseurs. Bien que les experts avaient attiré leur attention sur la nécessité d’être attentifs au risque d’inflation – par exemple, en investissant sur les marchés d’actions plutôt que dans des liquidités, ou dans des classes d’actifs alternatifs non corrélées –, tout cela est resté purement théorique pendant longtemps. Près de 30 ans durant, les investisseurs n’ont pas connu d’inflation significative.

La flambée de l’inflation s’est également traduite par une forte hausse des taux d’intérêt. Aux États-Unis, entre mars 2022 et juillet 2023, la fourchette cible de la Fed est passée de près de zéro à 5,25-5,5%, un niveau qui n’avait plus été observé depuis janvier 2001. Il s’en est suivi une hausse du coût de l’emprunt pour les gouvernements, les entreprises et les ménages.

Ce bouleversement a également modifié le mode de valorisation des actifs. Différents secteurs d’investissement qui avaient bénéficié de la faiblesse des taux – dont le private equity, l’immobilier commercial, les infrastructures et les sociétés à forte croissance – sont apparus moins attrayants, en particulier l’immobilier, lequel pâtit en outre de la persistance du télétravail suite à la pandémie. La hausse des taux d’intérêt sur les liquidités (entre 4 et 5%) a fait grimper le taux de rendement minimal pour tous les investissements, y compris sur le marché actions.

Les investisseurs ont également dû faire face à des turbulences géopolitiques qui étaient pratiquement inexistantes depuis l’implosion de l’Union soviétique. La pression résultant de la détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine, de la guerre en Ukraine et des sanctions économiques contre la Russie, dont le gel de plus de 300 milliards de dollars d’actifs russes en Europe et en Amérique du Nord, s’est fait ressentir sur les marchés financiers.

Cela s’est traduit par un effondrement du marché actions chinois, en recul pour la troisième année consécutive, et par la vigueur des valeurs refuges telles que le billet vert et, récemment, l’or, qui a établi de nouveaux records début 2024. Cela s’est également répercuté sur les marchés des matières premières, avec une concurrence toujours plus rude à travers le monde pour les métaux rares et d’autres matériaux, en particulier ceux nécessaires à la transition énergétique.

Les stratégies adoptées par les investisseurs au cours des deux dernières décennies pourraient ne pas fonctionner aussi bien à l’avenir.

L’importance des coûts d’emprunt

Dans ce contexte, les stratégies adoptées par les investisseurs au cours des deux dernières décennies pourraient ne pas fonctionner aussi bien à l’avenir. Ainsi, pendant la majeure partie de la dernière décennie, l’investissement boursier a été assez simple: la faiblesse des taux et de l’inflation a créé un environnement globalement porteur, toutes classes d’actifs confondues.

Il convient toutefois de noter qu’une poignée seulement de grands groupes technologiques américains, appelés les « Sept Magnifiques » (Microsoft, Apple, Nvidia, Alphabet (Google), Amazon, Meta (Facebook) et Tesla), a engrangé l’essentiel de l’excellente performance globale des actions. Leur pondération importante au sein d’indices de référence tels que le MSCI World et le S&P 500 a enjolivé les rendements des investisseurs.

Auparavant, les coûts d’emprunt peu élevés permettaient aux entreprises, même les plus faibles, de prospérer, ou du moins de maintenir leurs activités. Désormais, les entreprises sont confrontées à un climat plus difficile, et celles qui ne bénéficient pas d’un solide pouvoir de fixation des prix, d’une gestion avisée et d’une belle part de marché risquent bien de rencontrer des problèmes.

Dans un environnement économique moins favorable, les sociétés solides pourraient se montrer encore plus fortes, tandis que les entreprises plus faibles, présentant un endettement élevé, un modèle commercial fragile ou des produits non compétitifs, devraient connaître des difficultés. Les analystes soulignent les qualités de sociétés telles que les « Granolas » européennes, qualifiées par Goldam Sachs d’« entreprises de croissance de qualité exposées à l’international ». Cette appellation regroupe des sociétés pharmaceutiques, de produits de luxe, de technologie des semi-conducteurs, de logiciels et d’agroalimentaire qui ont continué à verser des dividendes et à faire preuve de résilience dans des conditions de marché très diverses.

Les investisseurs qui cherchent à générer des revenus par le biais d’obligations ont tout intérêt à garder à l’esprit que ceux-ci ne progresseront pas au fil du temps, contrairement aux dividendes des entreprises, qui, historiquement, augmentent parallèlement à l’inflation.

Pour la première fois depuis une génération, les investisseurs auront à se demander si leurs portefeuilles généreront un rendement supérieur à l’inflation. Si les taux d’intérêt sur les liquidités ont grimpé en flèche, leur progression reste souvent inférieure à la hausse des prix. Les investisseurs qui cherchent à générer des revenus par le biais d’obligations ont tout intérêt à garder à l’esprit que leurs prix ne progresseront pas au fil du temps, contrairement aux dividendes des entreprises, qui, historiquement, augmentent parallèlement à l’inflation.

Les prix des actifs peuvent également être affectés par les tensions géopolitiques et les conflits en cours, un scénario qui pèse sur les relations commerciales, perturbe les chaînes d’approvisionnement et avive la concurrence pour les matières premières essentielles. Et si la volatilité sur les marchés pétroliers peut être exacerbée par le conflit au Moyen-Orient, cela ne profite pas nécessairement directement aux produits et aux sources d’énergie durables, comme en témoignent l’effondrement des ventes de véhicules électriques en Europe et les difficultés économiques rencontrées au niveau de l’éolien offshore.

Aucun portefeuille optimal ne peut répondre systématiquement à ces différentes problématiques. Néanmoins, de bonnes pratiques financières, telles qu’une sélection rigoureuse des titres, une allocation flexible des actifs, une diversification à travers un large éventail de classes d’actifs et de zones géographiques, ainsi qu’une solide gestion des risques, seront plus utiles que jamais. La Grande modération semble céder la place à un environnement économique plus complexe et plus délicat, dans lequel les investisseurs ne peuvent plus s’appuyer sur d’anciennes hypothèses et habitudes.