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5 juillet 2024

Les taux directeurs et leur impact sur l’économie

S’ils ont connu en 2022 et 2023 des hausses importantes, les taux directeurs fixés par la Banque Centrale Européenne (BCE), leurs fonctionnements et leurs impacts restent énigmatiques pour certains clients et investisseurs. Lionel De Broux, Chief Investment Officer à la BIL, vous explique le fonctionnement de ces taux et leurs conséquences sur vos emprunts et votre épargne.

Monsieur De Broux, comment définir un taux directeur?

Le taux directeur est en fait un taux d’intérêt fixé par une banque centrale. Ce taux s’applique aux prêts que la Banque Centrale accorde aux banques commerciales. Le taux directeur influence le taux d’intérêt auquel ces institutions bancaires prêtent ensuite de l’argent aux clients et investisseurs, aussi bien les ménages que les entreprises. Mais il n’impacte pas seulement les prêts, les dépôts sont également concernés.

Quels en sont les principaux types?

Dans la zone euro, il existe en fait non pas un mais trois taux directeurs. Il y a tout d’abord le taux de rémunération des dépôts. Dit autrement, si les banques commerciales ont un excès de liquidité, elles peuvent le déposer auprès de la BCE contre une rémunération établie par ce taux.

Vient ensuite le taux de refinancement qui est le taux auquel les banques empruntent de l’argent à leur banque centrale pour une semaine, en échange de titres que ces dernières mettent en garantie.

Enfin, le taux de la facilité de prêt marginal est appliqué par la banque centrale lorsqu’une banque commerciale a besoin de liquidités à court terme (overnight). Il s’agit d’un système de sécurité pour ces dernières car il leur garantit des liquidités en toutes circonstances à un taux qui est légèrement plus élevé que le taux de refinancement.

Dans la zone euro, il n’existe pas un mais trois taux distincts: le taux de rémunération des dépôts, le taux de refinancement et le taux de la facilité de prêt marginal.

Quel rôle jouent les taux directeurs sur l’économie?

Nous pouvons comparer l’argent à de l’eau et les taux directeurs à un robinet contrôlant la quantité qui s’écoule dans l’économie réelle. En effet, les taux directeurs sont un instrument de politique monétaire qui ont pour objectif de réguler l’économie en encourageant ou en décourageant les ménages et investisseurs à emprunter ou épargner auprès des banques. Ils permettent donc de contrôler la création monétaire, mais aussi d’influencer sensiblement la consommation des acteurs économiques et par conséquent l’inflation.

De quelle manière et par qui sont-ils établis? Sur quoi reposent les décisions?

Les taux directeurs dépendent des objectifs économiques fixés par les banques centrales. En général, ceux-ci sont double: maintenir l’activité économique et contenir l’inflation. Cependant en Europe, la Banque Centrale Européenne (BCE) a un objectif unique qui est de maintenir la stabilité des prix, en d’autres termes de sauvegarder la valeur de l’euro

Dans la zone euro, la BCE est responsable de la mise en œuvre des politiques monétaires et fixe ses taux toutes les six semaines à l’issue de réunions qui rassemblent les banquiers centraux des différents pays membres. Lors de ces réunions, la décision est prise de modifier ou non les taux en fonction des prévisions sur l’évolution de l’économie et de l’inflation.

Depuis 2008, les taux directeurs sont restés à un niveau particulièrement bas, voire négatif durant une longue période, pour soutenir l’économie en souffrance face aux crises successives (crise bancaire, crise de l’euro, etc.). Les taux ont finalement connu une hausse importante à partir de la seconde moitié de l’année 2022. Dans l’histoire, nous avons déjà connu des cycles où les taux remontaient lorsque l’économie surchauffait et que l’inflation augmentait. Ces cycles ont été récurrents au cours des 30 dernières années.

Depuis l’adoption de l’euro, des hausses aussi rapides et successives comme celles que nous avons observées entre 2022 et 2023 sont une première.

Cependant, depuis l’adoption de l’euro, des hausses aussi rapides et successives, comme celles que nous avons observées entre 2022 et 2023, sont une première. Elles reflètent l’inflation que nous avons connue, portée par les problèmes d’approvisionnement et l’envolée des prix des matières premières et de l’énergie à la suite de la crise du Covid ainsi qu’à la guerre en Ukraine. En septembre 2023, nous avons d’ailleurs atteint un record historique avec des taux à 4%.

Quels peuvent être les effets des variations des taux directeurs?

Il s’agit de jouer sur l’économie pour répondre aux objectifs des banques centrales. Quand la banque centrale décide d’augmenter les taux directeurs, les banques commerciales seront plus enclines à y déposer leur argent et à moins prêter. En principe, l’augmentation des taux conduit à une réduction des emprunts, une augmentation de l’épargne et donc une baisse de la consommation et de l’investissement. Cette diminution de l’investissement a normalement pour effet de provoquer un ralentissement de l’économie et donc de stopper la hausse des prix.

Au contraire, des taux directeurs bas incitent les banques à ne pas déposer leurs liquidités et à prêter davantage à leurs clients. La chute du coût de l’argent booste les emprunts et la consommation. Cette augmentation de la demande pousse naturellement l’activité et les prix à la hausse.

Ce que nous avons observé en 2022 et 2023, c’est une forte hausse de l’inflation due aux craintes de pénurie des matières premières qui a poussé les banques centrales à augmenter leurs taux directeurs pour ralentir l’économie et stopper la hausse des prix, voire engendrer une baisse.

Quels horizons la BCE envisage-t-elle actuellement?

Concernant sa politique monétaire, le défi actuel de la BCE est de maintenir l’inflation à environ 2% (le taux étant à 2,6% en mai 2024). Pour y parvenir, elle a opté pour une augmentation des taux directeurs. L’impact de cette montée reste à observer en raison du décalage (18 à 24 mois) entre la mise en œuvre de cette politique et ses effets. Il faut toujours du temps pour que les habitudes d’investissement et de consommation s’adapte aux nouvelles conditions financières.

Avec cette inflation qui se dirige vers l’objectif de 2%, les banques centrales peuvent commencer à réfléchir à baisser les taux, toujours dans l’optique de contenir l’inflation sans freiner excessivement l’économie. La BCE a d’ailleurs procédé à une première baisse de 0.25% le 6 juin 2024. Il faut toutefois avoir conscience que nous ne retournerons très vraisemblablement pas aux taux particulièrement bas que nous avons connus par le passé.

Il faut toutefois avoir conscience que nous ne retournerons très vraisemblablement pas aux taux particulièrement bas que nous avons connus par le passé.