Mes finances, mes projets, ma vie
2 juillet 2024

Monnaies numériques des banques centrales: risques et avantages

L’agitation autour de l’euro numérique prend de l’ampleur. La Banque centrale européenne, après avoir passé deux ans à étudier le fonctionnement éventuel d’une devise numérique contrôlée par une institution comme elle, planifie aujourd’hui timidement sa mise en œuvre, quoiqu’elle refuse d’admettre que ce concept va au-delà de la simple proposition.

La BCE fait partie des banques centrales dans le monde qui étudient l’éventualité d’une monnaie numérique, tandis que la Banque populaire de Chine est peut-être celle qui s’est aventurée le plus loin dans cette voie parmi les principaux pays. Mais pourquoi aurait-on besoin d’une devise numérique?

Les Bahamas, la Jamaïque et le Nigeria ont déjà introduit une monnaie numérique contrôlée par leur banque centrale. Selon un rapport du Fonds monétaire international, plus de 100 pays envisagent cette option, le Brésil, l’Inde et le Royaume-Uni en étant plus ou moins au même stade que les autorités financières européennes.

Les gouvernements et leurs banques centrales espèrent que les monnaies numériques permettront d’améliorer les systèmes de paiement, avec une sécurité et une efficacité accrues. Il y a également la question du contrôle, dans la mesure où un nombre croissant de transactions sont effectuées par le biais de plateformes numériques telles qu’Apple Pay, Google Pay ou Alipay.

Une part importante de transactions dépend dès lors aujourd’hui d’entreprises privées, qui recherchent avant tout le bénéfice et non la stabilité du système financier. Une devise numérique gérée par une banque centrale réduirait une partie des risques qu’implique la transition vers des méthodes de paiement alternatives, permettant aux clients de choisir une option numérique de confiance.

Les banques centrales peuvent également surveiller l’utilisation qui est faite des liquidités, ce qui pourrait aider à prévenir les activités criminelles.

Les monnaies numériques présentent également des avantages pour les banques centrales. Émettre des liquidités numériques revient moins cher que de frapper, imprimer et gérer de l’argent physique. Les banques centrales peuvent également surveiller l’utilisation qui est faite des liquidités, ce qui pourrait aider à prévenir les activités criminelles. Les devises tant physiques que numériques ont, de tout temps, été exploitées par les criminels. L’avènement des MNBC (monnaies numériques de banque centrale) offre une solution potentielle, avec des paramètres de sécurité et une traçabilité améliorés afin de combattre plus efficacement les activités financières illégales.

Quels avantages pour les utilisateurs?

Pour les utilisateurs potentiels, les avantages sont moins évidents. Les monnaies numériques émises par les banques centrales ne seront ni plus ni moins que des liquidités sous forme numérique. Si elles auront sans doute l’apparence et les fonctionnalités de plateformes numériques existantes, il n’en reste pas moins que de l’argent déposé sur la plateforme d’une banque centrale est de fait un dépôt auprès d’une banque centrale, et est donc garanti par le gouvernement, une démarche qui peut être plus sécurisée que de mettre son argent dans les mains d’une entreprise privée.

Les monnaies numériques ne seront pas utilisées à des fins de spéculation – du moins pas plus que ce n’est le cas aujourd’hui sur les marchés des devises. À l’inverse des « cryptomonnaies » telles que le bitcoin, qui correspondent essentiellement à un véhicule pour les transactions spéculatives et attirent les acheteurs en quête de profits rapides, les monnaies numériques des banques centrales ne seraient qu’un moyen d’échange, ce qui devrait limiter leur volatilité.

Les banques centrales espèrent que les monnaies numériques deviennent également un outil d’inclusion financière, ce qui explique qu’elles soient populaires auprès des gouvernements tournés vers l’avenir dans les pays émergents.

Les banques centrales espèrent que les monnaies numériques deviennent également un outil d’inclusion financière, ce qui explique qu’elles soient populaires auprès des gouvernements tournés vers l’avenir dans les pays émergents. Dans son rapport de mars 2023 intitulé Central Bank Digital Currency and Financial Inclusion, le FMI affirme que les monnaies numériques pourraient encourager « les ménages ne faisant jusque là pas appel à une banque à ouvrir des comptes bancaires afin d’accéder à des portefeuilles de MNBC à des fins de paiement. Par ailleurs, les ménages peuvent se constituer un historique de crédit en utilisant les MNBC pour payer ».

Les transactions sans espèces devraient être plus rapides et peut-être plus fiables, à l’instar des moyens de paiement électroniques traditionnels existants. Si des mesures de sécurité optimales sont mises en place, les monnaies numériques des banques centrales pourraient également être plus difficiles à voler.

Les monnaies numériques en tant qu’instrument de politique

Si les experts estiment pour l’heure que les devises numériques n’auront aucun impact important sur la politique monétaire, elles pourraient toutefois affecter l’efficacité avec laquelle les décisions de politique monétaire sont appliquées à l’économie d’un pays. Les répercussions pourraient être plus conséquentes dans un environnement caractérisé par des taux d’intérêt faibles ou en période de tension sur les marchés financiers.

Par exemple, dans le sillage de la crise financière mondiale de 2007-2009, les banques centrales se sont rendu compte qu’elles n’étaient pas en mesure d’appliquer des taux d’intérêt négatifs dans la mesure où les particuliers et les entreprises pouvaient simplement conserver leur épargne en liquide. Si les monnaies numériques venaient à prévaloir, il serait plus facile de mettre en place des taux négatifs. Si cette possibilité semble vague dans le contexte actuel, alors que les banques centrales luttent pour reprendre le contrôle de l’inflation, des crises peuvent éclater du jour au lendemain.

Les monnaies numériques pourraient également améliorer l’efficacité des injections de liquidités au sein de l’économie. Si un gouvernement souhaitait verser des aides rapidement en cas d’inondations ou de séismes par exemple, il pourrait envoyer de l’argent via un portefeuille mobile plutôt que par le biais d’agences ou d’administrateurs locaux.

Quels sont les risques?

Les banques centrales seront en mesure de surveiller davantage la façon dont les liquidités sont utilisées. Si elles affirment pouvoir ainsi freiner ou prévenir le crime, tout le monde n’est pas à l’aise avec ce nouveau droit de regard sur leurs actions personnelles. Si les monnaies numériques peuvent permettre une application plus efficace de la politique monétaire, il s’agit d’un concept abstrait pour la plupart des utilisateurs, dont peu se satisferaient de taux d’intérêt négatifs. Cela exigerait toutefois le retrait de liquidités en masse, et rien n’indique que cela doive arriver sous peu, bien que l’utilisation des liquidités recule, considérablement même dans certains pays scandinaves.

Il faudra bien évidemment du temps pour que les individus fassent confiance aux systèmes de monnaies numériques. La BCE a déjà cherché à rassurer les épargnants en leur assurant qu’ils ne risquent pas de perdre leurs dépôts. Certains décideurs politiques ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’impact d’une ruée bancaire « numérique », qui pourrait survenir si la population convertissait son épargne en MNBC en cas de crise et pourrait ainsi assécher les liquidités des banques.

Ces dernières craignent une désintermédiation plus ou moins grande du fait des monnaies numériques. Les individus pourraient préférer la sécurité relative d’un dépôt garanti par le gouvernement à une banque détenue par les actionnaires. Cela pourrait inciter les institutions à fixer des taux d’intérêt plus concurrentiels sur l’épargne. Dans un commentaire publié récemment intitulé Digital euro: debunking banks’ fears about losing deposits (Euro numérique: réfuter les craintes des banques quant aux pertes de dépôts), la BCE insiste sur le fait que les participations en euros numériques des individus seront plafonnées afin de préserver la base de dépôts des entreprises du système bancaire.

Nous n’en sommes qu’aux balbutiements des MNBC, et aucune trajectoire universelle n’existe pour leur mise en œuvre. Les gouvernements et leurs banques centrales adopteront des approches différentes en fonction de leurs priorités économiques et monétaires, du niveau de numérisation relatif de leurs économies et du cadre juridique et réglementaire en place. En Europe tout du moins, si l’euro numérique n’est pas pour demain, il se profile à l’horizon.