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22 novembre 2024

Investissements: faut-il choisir entre des principes ou profit?

De nombreux investisseurs apprécient l’idée de placer leur argent conformément à leurs principes. Pourquoi en effet iraient-ils confier leurs cotisations de retraite à des entreprises dont ils n’achèteraient pas les produits lors de leur shopping hebdomadaire? Cependant, il subsiste des craintes qu’une telle approche ne se traduise par des rendements inférieurs, un point de vue de moins en moins fondé à mesure que le secteur de l’investissement responsable gagne en maturité.

Jusqu’à la dernière décennie, l’investissement responsable relevait davantage d’un art que d’une science exacte. Les entreprises ne publiaient que très peu d’informations permettant de faciliter l’analyse de facteurs tels que les émissions de carbone, l’égalité salariale entre hommes et femmes ou l’impact sur la biodiversité. Les investisseurs souhaitant agir de manière responsable n’avaient alors guère d’autre choix que de mettre en place des politiques d’exclusions, ciblant par exemple le tabac, les jeux d’argent, la fabrication d’armes et, de plus en plus, les combustibles fossiles. Dès lors qu’il s’agissait dans la plupart des cas de secteurs défensifs considérés comme plus résistants en période de turbulences économiques ou financières, l’investissement éthique a été associé à un niveau de risque plus élevé.

Ce point de vue est aujourd’hui de plus en plus contesté à mesure que l’investissement responsable se généralise. L’évolution du paysage réglementaire, avec notamment le Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR) et la future Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) de l’Union européenne, exigera des institutions financières et d’autres entreprises qu’elles communiquent beaucoup plus sur leur impact environnemental et social, donnant ainsi aux investisseurs les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions plus éclairées.

L’univers de placement des investisseurs ayant à cœur d’exercer un impact ne se limite pas aux start-ups et aux petites entreprises plus risquées.

La sensibilisation au changement climatique à l’échelle mondiale a déjà contribué à l’essor des entreprises qui cherchent à apporter des solutions dans ce domaine. Les acteurs du secteur des énergies renouvelables, par exemple, sont aujourd’hui pour la plupart de grandes entreprises matures bénéficiant de revenus récurrents et de flux de trésorerie sains. L’univers de placement des investisseurs ayant à cœur d’exercer un impact ne se limite donc pas aux start-ups et aux petites entreprises plus risquées.

La diversité de l’investissement responsable

La demande croissante d’investissements responsables a incité les sociétés de gestion d’investissement à lancer de nouveaux produits et à améliorer ou redéfinir leur gamme existante. Selon Morningstar, plus de la moitié des fonds européens relèvent aujourd’hui de l’article 8 ou de l’article 9 du SFDR, pour un encours sous gestion total de près de 5.000 milliards d’euros. Les fonds relevant de l’article 8 (« vert clair ») « promeuvent des caractéristiques environnementales ou sociales », tandis que ceux relevant de l’article 9 (« vert foncé ») sont des « investissements durables sur le plan environnemental ».

L’objectif de la législation est de donner aux investisseurs une vision plus claire et plus cohérente de l’approche des gestionnaires d’actifs vis-à-vis des questions environnementales et sociales, même s’il faudra du temps pour y parvenir dès lors qu’une certaine confusion subsiste quant à la manière dont les règles doivent s’appliquer et que les données sur la durabilité des entreprises sous-jacentes demeurent lacunaires.

Il existe aujourd’hui toute une série d’approches. De nombreuses sociétés de gestion de fonds ont désormais pour norme d’intégrer un overlay lié aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Celui-ci s’apparente dans les faits à un outil de gestion des risques, qui vise à garantir que les entreprises ne passent pas à côté des changements environnementaux ou sociaux, ou – en cas de problèmes – qu’elles prennent les mesures nécessaires pour atténuer les risques connexes. Les gestionnaires de fonds s’engagent souvent auprès des entreprises afin de les encourager à se pencher sur des problématiques telles que les émissions de carbone ou les violations des droits de l’homme dans la chaîne d’approvisionnement.

Grâce à cette approche, leur univers de placement peut inclure des secteurs tels que les combustibles fossiles, voire le tabac, pour autant que les entreprises visées prennent des mesures pour faire face aux risques auxquels elles sont confrontées ou pour opérer une transition vers des modèles économiques durables. Ils sont ainsi en mesure d’investir dans des compagnies pétrolières dotées d’un plan de réorientation en faveur des énergies renouvelables, ou dans des entreprises chimiques qui prévoient de recycler ou de réutiliser leurs déchets dangereux.

Objectif de durabilité

Toutefois, les approches plus rigoureuses gagnent en popularité. Les fonds relevant de l’article 9 du SFDR qui poursuivent un double objectif de durabilité et de rendement cherchent à générer un impact positif par le biais de leurs investissements. Plutôt que de se contenter d’éviter de causer un préjudice, ils ciblent les entreprises qui contribuent activement au changement, que ce soit par exemple en développant des technologies de captage du carbone, en construisant des infrastructures d’énergie renouvelable ou en fournissant des logiciels destinés à améliorer l’efficacité énergétique.

Compte tenu de la multitude de stratégies d’investissement disponibles, les performances des fonds responsables varient sensiblement.

Compte tenu de la multitude de stratégies d’investissement disponibles, les performances des fonds responsables varient sensiblement. L’allocation d’un fonds ESG s’apparente parfois à celle d’un fonds traditionnel (avec par exemple une exposition importante au secteur technologique dans la mesure où les entreprises sous-jacentes présentent une faible empreinte carbone), tandis que les fonds à impact peuvent se concentrer sur des sociétés innovantes qui bénéficient d’une croissance accrue à certains moments du cycle économique, mais sont à la peine à d’autres.

Les dernières années illustrent à quel point les différentes approches peuvent s’avérer fluctuantes. En 2020 et 2021, les possibilités offertes par la transition vers les énergies propres ont suscité un grand enthousiasme parmi les investisseurs, et le cours des actions des entreprises qui semblaient en mesure de proposer des solutions a grimpé en flèche. Cela s’est reflété dans les performances de fonds tels que l’iShares Global Clean Energy ETF, dont la valeur a presque triplé entre avril 2020 et janvier 2021. Les performances se sont ensuite inscrites en baisse en 2021, la guerre en Ukraine ayant ravivé la demande de combustibles fossiles.

La vigueur des entreprises énergétiques traditionnelles a été source de difficultés pour les fonds suivant une approche responsable stricte en 2022. Les investisseurs ont reconnu tardivement que la pénurie énergétique était susceptible d’accélérer l’adoption de sources d’énergie renouvelables, alors que bon nombre des entreprises concernées affichaient déjà des valorisations élevées.

L’investissement responsable peut être source de nombreux dilemmes.

Les compromis de l’investissement responsable

L’investissement responsable peut être source de nombreux dilemmes. Par exemple, si un investisseur décide d’éviter des secteurs tels que l’énergie traditionnelle ou les services aux collectivités, il devient plus difficile de construire un portefeuille générant un flux de revenus, compte tenu des dividendes substantiels habituellement versés par les entreprises de ces secteurs. Plus l’impact qu’un investisseur cherche à exercer via ses investissements est important, plus il est susceptible de se tourner vers des sociétés de moindre envergure (actions de croissance) et d’appréhender les indices d’actions traditionnels par le prisme de biais stylistiques. Cette approche pourra porter ses fruits à certains stades du cycle de marché et moins à d’autres, mais les investisseurs doivent, quoi qu’il arrive, évaluer l’impact sur leur portefeuille global et sur leurs objectifs d’investissement personnels.

Investir de manière responsable peut introduire des biais sectoriels au sein d’un portefeuille, lesquels sont susceptibles d’influencer la performance dans différents environnements de marché. Toutefois, la question de savoir si les entreprises qui gèrent efficacement leur impact environnemental et social et les risques liés à la gouvernance bénéficient d’une meilleure performance boursière que les autres se pose de manière plus générale. Intuitivement, il semble normal qu’une entreprise appliquant des contrôles plus stricts en matière de risques obtienne de meilleurs résultats, mais pas nécessairement sur tous les horizons temporels.

Intuitivement, il semble normal qu’une entreprise appliquant des contrôles plus stricts en matière de risques obtienne de meilleurs résultats, mais pas nécessairement sur tous les horizons temporels.

Un récent rapport sur l’impact des facteurs ESG sur les performances boursières, réalisé par le gestionnaire d’investissements institutionnels américain Federated Hermes, a mis en évidence un lien manifeste entre l’impact social et les considérations de gouvernance, d’une part, et la hausse du cours des actions, d’autre part. Le lien entre les facteurs environnementaux et les prix des actions est moins évident, mais semble s’être renforcé au cours des deux dernières années en raison des exigences de transparence croissantes, qui risquent d’entacher la réputation des entreprises accusées de nuire à l’environnement.

En théorie, plus les investisseurs, tels que les fonds de pension, seront nombreux à exiger des entreprises qu’elles gèrent efficacement leurs risques ESG, moins les entreprises qui ne s’y intéressent pas seront prisées. Celles-ci verront alors leur cours sous pression, ou pourraient tout aussi bien décider de sortir de bourse.

Les investisseurs ne doivent pas partir du principe qu’ils doivent sacrifier le profit à leurs valeurs, ou vice versa. Le marché de l’investissement responsable est aujourd’hui suffisamment diversifié pour permettre aux investisseurs de trouver des fonds durables ou des actifs individuels compatibles avec leur appétit pour le risque et leurs objectifs financiers. Il leur faut néanmoins accepter que, comme pour tout investissement, les performances sont susceptibles de varier en fonction de l’environnement de marché, quelle que soit l’approche responsable choisie.