Préserver la biodiversité, un enjeu économique majeur
On parle beaucoup des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les activités d’une entreprise. Mais si préserver l’environnement et le climat est fondamental pour notre planète et pour le bon fonctionnement de notre économie, on a tendance à oublier l’importance de la biodiversité. En quoi peut-elle impacter les activités humaines et pourquoi est-il indispensable de la préserver? myLIFE vous donne quelques explications.
Qu’est-ce que la biodiversité?
La diversité biologique ou biodiversité fait référence à l’ensemble des organismes vivants (animaux, plantes, bactéries, etc.), aux environnements naturels dans lesquels ils évoluent (océans, forêts, prairies, etc.) mais aussi aux interactions entre les espèces et avec leur milieu de vie. Elle désigne à la fois la diversité génétique au sein d’une même espèce, la variété des êtres vivants et de tous les écosystèmes.
Que permet-elle?
La biodiversité est le fondement de notre existence. Elle fournit les éléments indispensables à toute vie sur Terre, comme l’oxygène, la nourriture ou encore l’eau. Elle apporte les matières premières qui nous permettent de nous nourrir (fruits, légumes, viandes, poissons, etc.), de nous vêtir (fibres végétales, laines, cuirs, etc.) ou encore de nous loger (bois, lièges, pailles, sables, etc.).
Elle régule le climat, la qualité de l’eau ou encore de l’air: les forêts et les océans produisent de l’oxygène et absorbent du CO2, les zones humides constituent un filtre naturel qui participe à la purification de l’eau, les végétaux aident au rafraîchissement de la température, etc.
C’est aussi elle qui contribue à nous protéger contre les risques environnementaux: les zones boisées, les haies ou encore les prairies aident à modérer les effets des crues en favorisant l’infiltration des eaux ou en créant des obstacles aux écoulements, la végétation réduit l’érosion des sols et empêche les glissements de terrains, etc.
D’après le Forum économique mondial, pas moins de la moitié du PIB mondial dépend de l’exploitation des ressources naturelles.
Quel est l’impact de la biodiversité sur l’économie?
Si la diversité biologique est indispensable à la bonne santé de la planète et de ses habitants, elle l’est également pour la stabilité économique. D’après le Forum économique mondial (FEM), pas moins de la moitié du PIB mondial dépend de l’exploitation des ressources naturelles et près de 400 millions d’emplois pourraient être créés par des actions positives envers la nature. L’agriculture, la sylviculture, l’aquaculture, la construction, l’industrie textile ou encore le tourisme, pour ne citer qu’eux, relèvent directement de la bonne santé des écosystèmes.
Ainsi, le développement de l’agriculture est rendu possible grâce à la pollinisation des insectes (abeilles, bourdons, papillons, etc.) et aux organismes participant au renouvellement et à la fertilité des sols (lombrics, champignons, bactéries, etc.).
Les océans, forêts ou encore prairies fournissent les espèces animales, végétales et minérales indispensables à la production alimentaire, à nos besoins en énergie, à la conception de nos vêtements ou à la construction de nos habitations.
La création de médicaments est possible grâce aux molécules naturelles issues des plantes et des animaux: le saule blanc permet de produire de l’aspirine, le pavot de la morphine, certains venins sont utilisés contre l’hypertension ou comme analgésiques, etc. Le domaine médical s’inspire d’ailleurs continuellement de la nature et du fonctionnement des êtres vivants pour ses recherches, notamment grâce au biomimétisme (observation et imitation des formes et du fonctionnement des organismes vivants et de la nature).
Au-delà de la production de biens naturels, la biodiversité permet également l’exploitation d’activités de tourisme et de voyages, de sport et de loisirs en plein air, sans compter les nombreux emplois liés à l’utilisation des écosystèmes à des fins d’éducation, de santé mentale et physique, etc.
L’effondrement de certains services écosystémiques fournis par la nature pourrait amputer le produit intérieur brut mondial de 2.700 milliards de dollars par an d’ici à 2030.
Cette diversité biologique a une véritable valeur économique. Comme le signalait la Banque centrale européenne (BCE) en 2024: «Les entreprises, le secteur financier et les décideurs ont longtemps sous-estimé, voire ignoré, l’importance économique des services écosystémiques, dont beaucoup ne sont ni échangés sur les marchés ni directement affectés à une valeur monétaire».
Elle rappelle ainsi que les zones humides, qui agissent comme systèmes naturels de filtration de l’eau et comme barrières anti-tempêtes, permettent d’économiser des milliards de dollars en coûts de traitement de l’eau et d’atténuation des catastrophes. Que les forêts, en absorbant le dioxyde de carbone, réduisent les impacts économiques du changement climatique. Ou encore, que sans les pollinisateurs, les rendements agricoles diminueraient, ce qui entraînerait une hausse des coûts de production et des prix à la consommation.
En 2021, la Banque mondiale indiquait déjà que «(…) l’effondrement de certains services écosystémiques fournis par la nature (pollinisation sauvage, nourriture issue de la pêche marine et bois provenant des forêts naturelles, notamment) pourrait amputer le produit intérieur brut (PIB) mondial de 2.700 milliards de dollars par an d’ici à 2030».
Préserver la diversité biologique et protéger le capital naturel s’avèrent ainsi essentiels au développement de nombreuses activités, à la création d’emplois et à l’équilibre financier de la société. Sans cela, la stabilité économique que nous connaissons aujourd’hui ne pourrait pas exister.
Les activités humaines menacent la biodiversité
Bien que fondamentale pour la survie des êtres vivants et la bonne santé de l’économie, cette richesse naturelle n’est pourtant pas éternelle. Elle est même fortement compromise par les activités humaines qui altèrent la diversité des habitats naturels et provoquent la disparition de nombreuses espèces animales et végétales.
En 2019, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), alertait sur la vitesse de l’effondrement de la biodiversité entraînée par l’activité humaine: 75% de la surface terrestre est altérée de manière significative, 66% des océans subissent des modifications importantes et 85% des zones humides ont disparu.
Si aucune mesure n’est prise, près d’un million d’espèces d’animaux et de végétaux seront menacées d’extinction dans les prochaines décennies.
Rien qu’au cours des cinquante dernières années (1970-2020), la taille moyenne des populations d’animaux sauvages étudiées a diminué de 73% (d’après le Rapport Planète Vivante 2024 du WWF). Selon les experts, si aucune mesure n’est prise, près d’un million d’espèces d’animaux et de végétaux seront menacées d’extinction dans les prochaines décennies.
L’IPBES a identifié cinq facteurs (appelés «pressions») directement à l’origine de la dégradation de la nature et des écosystèmes dans le monde:
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- La conversion des milieux naturels en milieux artificiels (urbanisation, déboisement des forêts, culture des prairies, etc.) morcelle les écosystèmes et détruit les habitats des espèces.
- La surexploitation et l’utilisation excessive des ressources (pêche abusive, braconnage, déforestation, extraction minière, etc.) compromettent le fonctionnement et le renouvellement des écosystèmes.
- Le changement climatique affecte le cycle de vie de l’ensemble des êtres vivants et bouleverse leur répartition géographique.
- La pollution de l’air, du sol et de l’eau (chimique, plastique, sonore, lumineuse, etc.) dégrade et modifie les milieux naturels et les êtres qui y vivent.
- L’introduction d’espèces exotiques envahissantes (volontaire ou non) par les hommes perturbe les écosystèmes et remplace les plantes et les animaux locaux.
Au Luxembourg, le constat est le même. Le ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité relevait en 2023 une «(…) perte et dégradation des habitats naturels et des écosystèmes, ainsi qu’une fragmentation des paysages, dues à l’expansion des agglomérations urbaines, à l’extension des réseaux de transport, à la modification des pratiques agricoles, ainsi qu’au drainage et à la transformation de zones humides et des cours d’eau. Le nombre d’espèces en danger d’extinction est plus élevé que jamais et l’effet conjugué du changement climatique risque d’accentuer cette tendance négative avec des répercussions imprévisibles pour le fonctionnement des écosystèmes terrestres et aquatiques, et en conséquence pour la santé publique, l’économie, l’agriculture et la sylviculture».
Les activités économiques, mais aussi les modèles de production et de consommation, la croissance démographique, les échanges commerciaux mondiaux ou encore l’urbanisation ont un impact négatif important sur la nature et sur la biodiversité.
Au même titre que la crise climatique, il devient nécessaire d’adopter des stratégies pour favoriser la conservation des écosystèmes et la préservation de la biodiversité.
Préserver la diversité pour protéger l’être humain et l’économie
L’érosion des ressources naturelles nécessite une prise de conscience collective. Si le capital naturel n’est généralement pas considéré dans les chiffres de la richesse des pays, il représente pourtant une valeur économique réelle et sa destruction entraîne des dépenses considérables: jusqu’à 200 milliards de dollars sont dépensés chaque année pour l’amélioration de l’état de la biodiversité (Rapport d’évaluation NEXUS de l’IPBES).
Au même titre que la crise climatique, il devient nécessaire d’adopter des stratégies pour favoriser la conservation des écosystèmes et la préservation de la biodiversité. Cela permettra d’assurer la pérennité des ressources naturelles, essentielles aux activités des entreprises et au bon fonctionnement de l’économie.
De nombreuses initiatives européennes et internationales ont déjà vu le jour. Lors de la Conférence des Nations Unies sur la Biodiversité (COP16) qui s’est tenue en Colombie en 2024, 61% des États membres ont soumis leurs objectifs nationaux pour la biodiversité. Le Luxembourg a ainsi présenté son «Plan National concernant la Protection de la Nature» (PNPN3) qui a pour objectif de travailler au rétablissement de la biodiversité d’ici 2030. Basé sur la stratégie biodiversité de l’UE, le pays s’engage notamment à assurer la protection de 30% de la superficie du territoire national (zones protégées), à enrayer toute détérioration et à rétablir ou à améliorer l’état d’au moins 30% des habitats et des espèces, etc.
Citons aussi, par exemple, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui incite les entreprises à mieux intégrer les risques liés à la biodiversité dans leur chaîne de valeur en évaluant leur impact sur les écosystèmes naturels, ou encore le cadre de la TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures) qui aide les entreprises et les institutions financières à évaluer les risques et les opportunités liés à la biodiversité.
Le rythme d’appauvrissement de la biodiversité et du changement climatique de ces 50 dernières années est inédit dans l’histoire de l’humanité. Tout comme l’intégration des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les décisions politiques, financières ou les activités d’une entreprise, il est impératif de prendre en compte l’impact de la dégradation de la nature et de la perte de biodiversité.
Nous avons tous un rôle à jouer pour restaurer et conserver le capital naturel de la planète et la santé des écosystèmes. Il en va de la bonne santé de l’économie mondiale, mais aussi du bien-être des générations actuelles et futures.