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19 mai 2024

Comprendre les émissions directes et indirectes

Les mesures visant à encourager les entreprises à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre constituent une arme majeure au sein l’arsenal à disposition des autorités dans la lutte contre le changement climatique. Jusqu’à présent, cet arsenal se concentrait sur l’obligation, imposée aux entreprises, d’assurer la surveillance et le reporting de leurs émissions directes, c’est-à-dire celles découlant de leurs propres activités et processus. Toutefois, l’attention se porte de plus en plus sur les émissions indirectes, ou « induites », c’est-à-dire celles générées par les fournisseurs de l’entreprise en question. Cette évolution pourrait avoir de sérieuses répercussions pour les entreprises du Vieux Continent.

Le cadre de surveillance et de reporting sur les émissions s’appuie sur le Protocole des gaz à effet de serre (Greenhouse Gas Protocol), institué en 1998 par le World Business Council for Sustainable Development et le World Resources Institute. Il est aujourd’hui largement reconnu comme un outil de quantification des émissions par les gouvernements et les leaders du monde de l’entreprise.

Le protocole couvre les six principaux gaz à effet de serre, à savoir le dioxyde de carbone, le méthane, le protoxyde d’azote, l’hydrofluorocarbure, le perfluorocarbure et l’hexafluorure de soufre. À partir de 2025, pas moins de 50.000 entreprises à travers l’Europe, y compris les groupes étrangers qui exercent leurs activités sur le Vieux Continent, seront tenues de déclarer leurs émissions résultant de tous les domaines définis par le Protocole comme de niveau 1, 2 et 3.

Les sources d’émission que les entreprises détiennent ou contrôlent

Le reporting des émissions de niveau 1 exige des entreprises qu’elles comptabilisent l’ensemble des émissions provenant de sources qu’elles détiennent ou contrôlent, y compris celles produites par les usines de groupes manufacturiers ou le chauffage des bâtiments utilisés par les entreprises de services. Il est relativement aisé pour la plupart des entreprises de comprendre où et comment ces émissions se produisent et comment les mesurer.

Les émissions de niveau 2 sont celles générées par l’énergie achetée par une entreprise, que ce soit sous forme d’électricité, de vapeur, de chauffage ou de refroidissement, dans l’usine où l’énergie est produite ou transformée. En tant que consommatrice d’énergie, l’entreprise doit assumer la responsabilité des émissions nécessaires pour créer l’énergie qu’elle consomme au quotidien.

Les émissions de niveau 3 sont de loin les plus complexes à calculer: elles proviennent des activités de l’entreprise, mais ne sont pas directement générées par celle-ci.

Les émissions de niveau 3 sont de loin les plus complexes à calculer: elles proviennent des activités de l’entreprise, mais ne sont pas directement générées par celle-ci. Elles comprennent, par exemple, les émissions générées par les fournisseurs de l’entreprise lors de la création des produits, des services et des matières premières qu’elle consomme, ainsi que par les déplacements professionnels ou domicile-travail de leurs employés. Elles incluent également l’utilisation des produits ou services des entreprises. Pour les entreprises de combustibles fossiles, il s’agit des émissions résultant de leur utilisation directe ou à des fins de production d’électricité.

Les sources d’émissions de niveau 3 peuvent inclure l’élimination des déchets, le transport et la distribution en amont et en aval, ainsi que les investissements réalisés par l’entreprise, les actifs qu’elle loue ou encore ses franchises. Pour de nombreuses entreprises, les émissions de niveau 3 peuvent constituer, de loin, le plus grand volume d’émissions résultant de leurs activités – en règle générale, les chaînes d’approvisionnement génèrent 11 fois plus d’émissions que les activités propres d’une entreprise.

Du reporting à l’atténuation

Alors qu’il est plus simple de calculer les émissions des niveaux 1 et 2, le niveau 3 nécessite d’obtenir des informations de la part des fournisseurs et d’adéquatement allouer leurs données concernant les émissions. La norme de niveau 3 du GHG Protocol est devenue la référence pour les entreprises en matière d’identification et de gestion des émissions de niveau 3.

L’atténuation représente la dernière pièce du puzzle. La principale raison de la collecte de données sur les émissions est de permettre à une entreprise de comprendre comment elle peut réduire son empreinte carbone. La volonté des décideurs politiques est d’inciter les entreprises non seulement à gérer leur propre chaîne d’approvisionnement, mais aussi à limiter leurs relations avec les fournisseurs à fortes émissions, créant ainsi un cercle vertueux.

La volonté des décideurs politiques est d’inciter les entreprises non seulement à gérer leur propre chaîne d’approvisionnement, mais aussi à limiter leurs relations avec les fournisseurs à fortes émissions, créant ainsi un cercle vertueux.

Une fois qu’une entreprise a recueilli les données nécessaires, elle peut cibler les domaines les plus préjudiciables, au niveau du climat, dans sa chaîne d’approvisionnement et dans les produits et services qu’elle fournit. La norme de niveau 3 identifie 15 catégories d’activités en amont et en aval, dont certaines peuvent être plus faciles à atténuer que d’autres en fonction de l’activité de l’entreprise. Dans certains cas, il peut ainsi être relativement aisé de diminuer les voyages d’affaires ou les déchets, tandis que la recherche de nouveaux fournisseurs ou la réorganisation des processus d’entreprise impliquent des projets à plus long terme.

Toutefois, la compréhension des sources d’émissions fournit aux entreprises des indications clés sur les domaines à privilégier et peut aider à identifier les fournisseurs ou les secteurs d’activité qui posent problème. À son tour, elle peut aider les fournisseurs à améliorer leur efficacité énergétique et à prendre des décisions mieux informées en matière d’approvisionnement, de développement de produits et de logistique. Elle peut encore contribuer à la mise en œuvre d’initiatives en matière de ressources humaines, visant par exemple à encourager les employés à réduire les émissions découlant de leurs déplacements.

Directive concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises

Alors que les décideurs politiques se sont principalement concentrés sur les grandes entreprises, l’impact des nouvelles normes de déclaration contenues dans la directive européenne concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) se fera sentir tout au long des chaînes d’approvisionnement. Lorsqu’elles ont le choix, les grandes entreprises sont susceptibles de sélectionner des fournisseurs dont l’empreinte carbone est plus faible afin de minimiser leurs propres émissions de niveau 3 – poussant ainsi les petites entreprises qui ne sont peut-être pas elles-mêmes couvertes par la législation européenne à s’attaquer à leurs propres émissions afin de conserver leurs clients existants ou d’en attirer de nouveaux.

Les banques et autres institutions financières devront également tenir compte des données relatives aux émissions dans leurs décisions de prêt et d’investissement, étant donné que le financement de clients à fortes émissions augmentera leurs propres niveaux d’émissions de niveau 3. Les entreprises qui ne veulent ou ne peuvent pas s’attaquer à leurs émissions de carbone risquent donc d’être confrontées à une augmentation du coût du capital, à moins d’obtenir des financements auprès d’institutions qui ne sont pas soumises à des règles de déclaration dans l’UE ou ailleurs. Elles pourraient également réduire leurs émissions de carbone en sollicitant des prêts verts ou en émettant des obligations vertes, dont les produits doivent être affectés au financement de solutions/adaptations d’atténuation.

Celles qui prennent des mesures pour réduire leur empreinte carbone globale peuvent bénéficier d’une amélioration de leurs performances commerciales si leurs coûts d’investissement sont inférieurs à ceux de leurs concurrents et si leurs produits et services sont perçus comme plus attrayants par les clients soucieux du climat.

Le secteur privé européen se cherche encore quelque peu dans ce domaine, et pour les entreprises non cotées et les petites entreprises, la date limite de mise en conformité au reporting CSRD arrivera plus tard dans la décennie, au fur et à mesure que la législation entre progressivement en vigueur. Beaucoup choisissent de confier à des spécialistes la surveillance et l’analyse des émissions de niveau 3, mais il ne s’agit pas d’une question que les entreprises, grandes ou petites, peuvent ignorer, car l’attrait des partenaires commerciaux en termes de volonté de traiter les émissions pourrait être un facteur important, de nature à bouleverser les chaînes d’approvisionnement en Europe et ailleurs.

S’il peut être relativement aisé de diminuer les voyages d’affaires ou les déchets, la recherche de nouveaux fournisseurs ou la réorganisation des processus d’entreprise impliquent des projets à plus long terme.