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4 octobre 2024

Droits de l’homme: aussi un sujet pour entreprises et investisseurs

En novembre 2023, le rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme Olivier De Schutter a exhorté les dirigeants de trois grandes entreprises américaines (Walmart, Amazon et DoorDash) à répondre aux accusations d’exploitation salariale qui enferme les employés dans la pauvreté et les rend dépendants des aides de l’État. Dès lors, il est clairement apparu que les questions relatives aux droits de l’homme ne sont plus un vague problème, mais une question de plus en plus pressante pour les entreprises du monde entier.

Olivier De Schutter réagissait à un rapport du Government Accountability Office des États-Unis indiquant que Walmart et Amazon figuraient parmi les premières entreprises américaines pour le nombre de bénéficiaires de Medicaid, le programme fédéral d’assurance maladie destiné aux personnes à faibles revenus (Walmart occupait le premier rang et Amazon le sixième). Cette mauvaise publicité met en évidence la pression exercée sur les entreprises pour qu’elles prêtent attention à l’impact social de leurs activités commerciales, ainsi qu’aux risques financiers et environnementaux.

Il y a peu de temps encore, les considérations relatives à l’impact social, telles que les droits de l’homme, étaient négligées par rapport aux questions climatiques et environnementales. L’accent était mis sur la façon dont les entreprises abordaient les questions ESG (qui englobent également la gouvernance d’entreprise). Alors que le changement climatique constitue désormais une priorité législative et que les investisseurs s’y intéressent de plus près, la pression exercée sur les entreprises afin qu’elles rendent des comptes sur les questions sociales – notamment les droits de l’homme – s’accentue rapidement.

Le rôle moteur de la législation européenne

La législation commence également à refléter l’accent mis sur les droits de l’homme, notamment en Europe. En février 2022, la Plateforme sur la finance durable, un organe consultatif de la Commission européenne, a publié son rapport final proposant une structure pour une taxinomie sociale, sur le modèle de la taxinomie de l’UE sur les activités durables sur le plan environnemental, un système de classification commun pour les activités et les objectifs environnementaux qui sous-tendent le Pacte vert européen et la législation de l’UE, notamment le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR).

Toutefois, le chantier de la taxinomie sociale n’avance guère, ce qui suscite une certaine frustration dans les rangs des investisseurs institutionnels désireux d’accroître leurs investissements dans des projets ayant un impact social.

Autre volet de l’impulsion législative donnée par l’UE : le projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD), qui vise à compléter la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité en développant les normes de déclaration et de vigilance pour exiger des entreprises plus importantes qu’elles identifient, fassent cesser ou préviennent, atténuent et rendent compte des impacts négatifs sur les droits de l’homme et l’environnement, non seulement en interne, mais aussi au sein de leurs filiales et de leurs chaînes d’approvisionnement.

En avril 2024, le Parlement européen a approuvé un texte de compromis appuyé par les États membres, après que l’opposition face à la proposition initiale avait failli empêcher purement et simplement l’adoption de la CSDDD. Pour définir les entreprises concernées par la directive, les seuils de taille et de chiffre d’affaires net ont ainsi été revus à la hausse, passant d’un minimum de 500 à 1.000 employés et de 150 millions EUR à 450 millions EUR respectivement, tandis que la proposition d’abaisser les seuils pour les secteurs à haut risque a été reportée d’au moins deux ans. Ces changements combinés réduiront le nombre d’entreprises entrant dans le champ d’application de la directive d’environ deux tiers.

Risque juridique

Cet accord de compromis supprime également la possibilité pour les organismes de la société civile d’engager des poursuites en justice à l’encontre des entreprises en raison de l’impact social ou environnemental néfaste de leurs chaînes d’approvisionnement. La plupart des institutions financières ont par ailleurs été exemptées et ne devront donc pas appliquer les dispositions prévues par la CSDDD, même si cela pourrait ultérieurement faire l’objet d’un réexamen.

Certaines de ces questions sont déjà traitées par la législation nationale existante. Par exemple, la France a adopté en 2017 sa propre loi sur le devoir de vigilance après le tragique effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, qui abritait des ateliers textiles où étaient fabriqués des vêtements pour de grandes marques occidentales. Cette catastrophe avait fait plus de 1.130 morts et 2.500 blessés parmi les employés. Début 2023, la loi allemande sur le devoir de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement est entrée en vigueur, obligeant les entreprises à veiller au respect des droits de l’homme dans leur chaîne d’approvisionnement.

Les violations des droits de l’homme et les conditions de travail abusives peuvent faire courir aux entreprises un risque majeur d’ordre réputationnel, juridique et financier.

Les violations des droits de l’homme et les conditions de travail abusives peuvent faire courir aux entreprises un risque majeur d’ordre réputationnel, juridique et financier, notamment pour celles qui ont recours à une main-d’œuvre bon marché dans leurs processus de fabrication. En 2021, huit enfants qui affirment avoir été réduits en esclavage dans des plantations de cacao en Côte d’Ivoire ont engagé des poursuites devant un tribunal américain contre les principaux producteurs de chocolat au monde.

Une deuxième affaire, introduite par l’organisation International Rights Advocates en 2023, visait à contraindre le gouvernement américain à appliquer une loi fédérale adoptée dans les années 1930 qui prévoit l’interdiction d’importer dans le pays des produits fabriqués par des enfants. Si les sommes en jeu peuvent être relativement limitées pour les grandes entreprises, les atteintes à leur réputation peuvent être considérables.

Coût financier

Dans certains cas, la négligence en matière de droits de l’homme peut également avoir un impact financier substantiel. Le groupe britannique de prêt-à-porter Boohoo s’enorgueillissait de produire au Royaume-Uni mais, pendant la pandémie de Covid-19, les médias ont découvert des preuves d’exploitation dans ses usines à Leicester. Le cours de bourse de Boohoo a dévissé de 90% par rapport au pic de 413£ atteint en juin 2020 et n’a toujours pas retrouvé son niveau de l’époque.

Un rapport publié en 2021 par des économistes de l’université Monash à Melbourne et de l’université d’Oxford confirme que le fait d’être lié de quelque manière que ce soit à des violations des droits de l’homme peut avoir un impact négatif considérable sur la capitalisation boursière d’une entreprise. Dans les cas particulièrement graves, cela peut obliger une entreprise à mettre tout simplement la clé sous la porte.

Même dans les cas moins graves, de telles accusations sont susceptibles d’entraîner une augmentation significative des coûts, avec des pertes conséquentes à la clé, en particulier si les entreprises sont obligées de trouver de nouveaux fournisseurs, ce qui peut occasionner des ruptures de stock. Les entreprises concernées sont susceptibles d’enregistrer un manque à gagner en raison d’un boycott des clients, d’avoir plus de mal à recruter des employés et d’abîmer définitivement leur image de marque, autant de répercussions qui peuvent amoindrir le rendement pour les investisseurs.

Évaluer les risques en matière de droits de l’homme

Comment les investisseurs peuvent-ils s’assurer que les entreprises dont ils sont actionnaires sont attentives aux menaces potentielles dans leur chaîne d’approvisionnement qui pèsent sur leur rentabilité? L’évaluation des risques n’est pas toujours simple. Les entreprises doivent tenir compte non seulement de la situation de leurs propres employés, mais aussi de ce qui se passe dans l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. L’excuse avancée par le passé, à savoir que la fabrication était effectuée dans un pays lointain par une entreprise soumise aux règles locales, ne suffit plus à les exonérer de toute responsabilité.

Les entreprises doivent surveiller et comprendre les activités qui font partie de leur chaîne d’approvisionnement, partout dans le monde, et être en mesure de répondre rapidement à toute critique ou allégation d’actes répréhensibles. Certaines entreprises ont réagi en choisissant des fournisseurs plus proches géographiquement (les perturbations liées à la pandémie de Covid-19 ont également joué un rôle dans cette décision) ou en se tournant vers des fournisseurs de confiance mais potentiellement plus chers.

Les sociétés de gestion de fonds et les gestionnaires de fortune disposent de plus en plus souvent d’équipes qui dialoguent avec les entreprises en portefeuille sur des questions telles que le respect des droits de l’homme, les conditions d’emploi et d’autres questions sociales. Ces équipes examinent attentivement les relations que les entreprises en portefeuille entretiennent avec leurs fournisseurs et la manière dont celles-ci traitent leurs employés, entament un dialogue avec les dirigeants des entreprises en cas de problème et, le cas échéant, s’efforcent de faire en sorte d’y apporter une solution le plus rapidement possible.

Bien souvent, des investisseurs unissent leurs forces pour exercer une pression plus forte sur les entreprises en portefeuille afin qu’elles procèdent à des changements. Il peut s’agir d’une mesure importante pour préserver la valeur de leurs investissements et encourager des changements plus vastes dans les secteurs d’activité ou les économies nationales. Si toutefois les entreprises refusent de transiger, les gestionnaires d’investissement peuvent en dernier recours vendre leurs actions, ce qui peut inciter d’autres actionnaires à se désengager.

Ces initiatives d’investisseurs activistes sont susceptibles de gagner en importance à mesure que les autorités prudentielles renforcent leur contrôle, que de nouvelles lois mettent l’accent sur les facteurs sociaux et que l’impact des droits de l’homme et des questions connexes sur les résultats financiers d’une entreprise est de mieux en mieux cerné par la communauté des investisseurs dans son ensemble.

Les entreprises accusées de violations des droits de d’homme sont susceptibles d’enregistrer un manque à gagner en raison d’un boycott des clients, d’avoir plus de mal à recruter des employés et d’abîmer définitivement leur image de marque et, par ricochet, d’amoindrir le rendement pour les investisseurs.