Durabilité : ne rien faire serait le véritable échec
En matière de durabilité, il convient avant tout de déterminer les axes prioritaires. Pour dire les choses clairement, l’importance relative (materiality en anglais) est tout simplement primordiale, en particulier lorsque l’enjeu est, au moins en partie, de protéger les autres. Une fois les problèmes identifiés, on peut concentrer ses efforts sur la recherche de solutions.
Les controverses et les polémiques sont de toute évidence nombreuses. Certains estiment que les considérations paternalistes et morales n’ont pas lieu d’être. D’autres se plaignent des promesses vaines et de la lenteur des initiatives.
Dans un monde où l’innovation technologique ne cesse de croître, l’intelligence émotionnelle et l’empathie sont, à mes yeux, essentielles. Les pratiques barbares considérées comme normales jusqu’au XIXe siècle ne sont désormais plus socialement acceptables. Pour Morgan Housel, « si la misère limitait la compassion des hommes vis-à-vis de leurs semblables, le progrès et l’amélioration de la santé et des conditions de vie notamment impliquent que l’on se soucie moins de son entourage, alors que ce comportement ouvrait la voie à l’empathie ».1
La pandémie ne pourra être maîtrisée que si elle l’est partout.
Aujourd’hui, les restrictions de déplacement et les mesures de distanciation sociale visent à aplanir la courbe de la pandémie. S’il m’arrive de m’interroger sur l’efficacité du port du masque pour me protéger, je finis par me dire que la question n’a pas lieu d’être. L’idée est bien de protéger ceux qui m’entourent, et non moi-même. Quel que soit mon « goût du risque » ou mon mode de vie, je n’ai pas le droit de jouer avec la vie des autres. La pandémie ne pourra être maîtrisée que si elle l’est partout. La collaboration, la solidarité et l’entraide sont dans l’intérêt de tous. Il s’agit là d’un parfait exemple d’empathie.
Sur la scène politique, l’agnotologie2 est trop souvent manifeste. Il ne s’agit nullement d’une vision étroite des choses, mais d’un aveuglement. La confiance dans la science et les experts est fondamentale. C’est certes plus facile à dire qu’à faire dans la réalité lorsqu’il faut peser le pour et le contre de chaque décision. Je n’ai nullement l’ambition de blâmer qui que ce soit, de juger ou de me montrer condescendant. Pour moi, tout l’art de la politique consiste à adopter une vision du monde actuel qui se rapproche un peu plus de l’empathie et de la compréhension des autres.
Il est facile de susciter des controverses à coups de sophismes. Cela garantit également une diffusion virale et de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Les lacunes et les erreurs font partie du long chemin à parcourir pour s’adapter et atténuer les effets néfastes de la situation actuelle. Mais l’engagement et une feuille de route solide permettront de nous rapprocher davantage des changements souhaités.
Il est erroné de vouloir un retour au « bon vieux temps ». À mes yeux, la Belle au bois dormant a des airs de momie et je ne peux adhérer à une vision du monde qui nous ramènerait à l’Âge de pierre.
Les politiciens, toujours perdus sur le sujet, auraient tout intérêt à découvrir la sculpture provocatrice de l’artiste de rue espagnol Isaac Cordal intitulée « Politicians discussing global warming ». Celle-ci évoque sans détour toute la difficulté d’une action commune.
Le scepticisme est partout. Dans les débats politiques, dans l’industrie financière et entre pairs et collègues. La perfection est à mes yeux l’ennemi du progrès. Je ne souhaite pas que quelqu’un partage les mêmes opinions que moi, mais je peux tenter d’agir en leader du changement tout en me montrant humble et transparent sur la voie de la résilience.
La fenêtre de temps disponible est courte et l’horloge tourne. Néanmoins, la pandémie a également démontré que des changements transformateurs sont possibles lorsqu’ils sont indispensables. Les décisions et les mesures que nous prenons maintenant auront de profondes conséquences, favorables ou non, et ce pour toutes les espèces, dont la nôtre. L’heure est désormais venue de renoncer aux pratiques habituelles dans toute une série de nos activités. Nous devons agir afin de protéger les écosystèmes et la santé des individus. Ces propos sont certes profondément moralisateurs mais c’est bien là mon intention.
Le Covid-19 a également mis en évidence et exacerbé les inégalités entre les pays et au sein même de ceux-ci. À ce jour, la Nouvelle-Zélande apparaît comme le pays le plus performant dans la lutte contre le Covid-19. Les raisons de son succès sont multiples : des mesures gouvernementales crédibles et cohérentes dès les premiers jours de propagation du virus, une communication efficace de la part des autorités, un niveau élevé de confiance et de recours à la science pour la prise de décisions, un dépistage et un tracing de masse efficaces, une bonne adhésion du public, un niveau élevé de confiance vis-à-vis du gouvernement et une solidarité au sein de la population… Certes, des spécificités telles que les considérations géographiques sont également propices (île relativement isolée, faible densité de population…), mais en substance, la Nouvelle-Zélande, sa population et son gouvernement serviront de référence dans le monde d’après. « [Une société] plus verte et fondée sur la connaissance, où l’égalité, la confiance et la solidarité sont encore plus fortes. »3
Rien de ce que nous faisons ne sera parfait, mais ne rien faire serait un véritable échec.
Tout ceci nous apprend que l’on ne peut se permettre d’attendre d’avoir trouvé la mesure parfaite à adopter. Pour progresser, nous devons être prêts à accepter qu’une action imparfaite puisse nous faire avancer. « Rien de ce que nous faisons ne sera parfait, mais ne rien faire serait un véritable échec »4. Et cela vaut pour chacun d’entre nous, en tant que citoyen du monde. Ce principe est d’autant plus vrai pour moi, en tant que banquier et investisseur. Le rythme du changement ne répondra jamais à mes attentes, mais cela ne m’empêchera pas de plaider pour celui-ci et d’agir en ce sens. L’idée ici n’est pas de se sentir bien, mais plutôt d’agir pour le bien. Si je suis convaincu que l’on ne peut arrêter le financement des combustibles fossiles sans prendre le risque de ruiner l’économie, les mesures incitatives en faveur des énergies propres et renouvelables bouleversent les considérations financières. Les banques et les banquiers avancent également dans leur quête de finalité sociétale et trouvent les voies de leur utilité sociale.
1 Morgan Housel – « You can see where this is going »
2 L’agnotologie désigne le fait que l’ignorance et le doute pourraient être construits culturellement par des groupes d’intérêts spéciaux en vue de dissimuler la vérité sur des questions critiques. Voir la page https://my-life.lu/le-developpement-durable-theme-disruptif-par-excellence-30501/
3 Joseph Stiglitz – Vaincre la Grande Fracture
4 Sue Senger, Medium, Why We Need More Role Models To Spark Sustainable Behaviors