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19 décembre 2024

Finances durables: le grand fossé

  Olivier Goemans myINVEST 12 juin 2023 2682

La transition écologique requiert des financements massifs et nécessite la mobilisation de tous les acteurs de la finance, publics et privés. Le secteur financier doit prendre sa part et être un facilitateur de cette transition. Pour faire partie de la solution et non du problème, il est temps de réaliser que la bonne volonté ne suffira pas. Il faut y ajouter la compétence et cela passe par une formation plus poussée sur ces sujets.

Les professionnels de la finance ont un rôle majeur à jouer dans la transition écologique. Pour ce faire, ils doivent être en mesure de bien comprendre les contraintes physiques et la finitude des ressources, ainsi que les implications de ces limites dans leurs métiers. Une certaine expertise indispensable pour comprendre les causes et les conséquences de la crise écologique, pour maîtriser les enjeux environnementaux spécifiques à chaque secteur d’activité ou pour intégrer le cadre réglementaire de la finance durable. Définir des politiques d’investissement qui tiennent compte des limites planétaires ne va pas de soi. Les financiers sont-ils équipés pour gérer le risque de bilan en intégrant des trajectoires climatiques et dépendances à la biodiversité, ou encore pour comprendre la criticité des ressources et pour mesurer l’impact dans la transition écologique?

Gagner en expertise

S’engager résolument sur le bon chemin nécessite une montée en compétence des financiers sur tout un tas de sujets auxquels ils n’ont jamais été formés pour la grande majorité d’entre eux. Et s’ils l’ont été, c’est souvent de manière simpliste. Par exemple, actualiser les cash-flows à leur valeur présente n’est plus suffisant. Dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’actualisation des émissions de gaz à effet de serre futures est tout aussi importante.

Replacer le système économique et financier dans le cadre des limites planétaires nécessite la mobilisation des acteurs de l’enseignement. Former pour transformer est une nécessité.

Non seulement l’acquisition de ce type de compétences doit se baser sur des formations initiales solides, mais celles-ci doivent en outre être enrichies de formations continues. Se contenter de fournir quelques heures d’introduction et de sensibilisation au sujet ne suffira pas pour obtenir des résultats significatifs. L’acquisition des compétences sur ces sujets constitue un processus de longue haleine, mais un processus vertueux dans lequel le cheminement stimule l’appétence. Replacer le système économique et financier dans le cadre des limites planétaires nécessite la mobilisation des acteurs de l’enseignement. Former pour transformer est une nécessité.

L’enseignement des enjeux écologiques en finance est essentiel. En toile de fond, il y a l’impérieuse nécessité de réinventer les pratiques, les outils et les modèles économiques et financiers. L’intermédiaire financier d’aujourd’hui se doit d’être un citoyen éclairé. Si, de nos jours, l’enseignement des crises financières et bancaires est un prérequis des cursus classiques, il est également grand temps de placer en haut de l’agenda l’enseignement de l’impact de la finance sur les enjeux écologiques et sociétaux.

Comment imaginer que les intermédiaires financiers puissent financer massivement la transition écologique sans comprendre les limites planétaires et les implications de celles-ci sur les risques et les rendements dans l’allocation de capital? Et comment imaginer ensuite qu’ils puissent à leur tour faire preuve de pédagogie et inciter leurs clients à se soucier de l’impact de leurs investissements? Le conseiller en investissement se doit de comprendre l’investissement durable s’il veut être capable d’y accompagner ses clients en adéquation de leurs préférences et priorités.

Les acteurs de l’économie, de la finance et de l’éducation doivent prendre leurs responsabilités et contribuer à relever les défis de la transformation des modes de production et de consommation.

Remettre l’église au milieu du village

Quand on parle des émissions de gaz à effet de serre, on pense souvent aux industries lourdes, au secteur de l’énergie ou au secteur du transport. À l’évidence les émissions directes de gaz à effet de serre d’une banque, c’est-à-dire les émissions provenant des bureaux, du chauffage et d’électricité de son exploitation sont dérisoires par rapport à celles d’une activité industrielle. Mais le constat est radicalement différent si l’on y intègre les émissions indirectes, c’est-à-dire les émissions financées par les investissements et les prêts des banques. Ainsi, pour les intermédiaires financiers, et dans la lutte contre le réchauffement climatique, les émissions induites du fait de la détention d’un actif financier (investissement et financement), se doivent d’être un levier prioritaire.

L’incohérence des politiques publiques se combine visiblement à une sous-estimation des risques financiers liés au climat.

À l’heure actuelle, et malgré les engagements pris lors de l’Accord de Paris d’aligner les flux financiers avec les objectifs de mitigation et d’adaptation au changement climatique, la transition écologique souffre d’un déficit de financement criant. Dans le même temps, les financements des énergies fossiles se maintiennent à des niveaux importants. L’incohérence des politiques publiques se combine visiblement à une sous-estimation des risques financiers liés au climat. À l’évidence, les trajectoires de réduction des émissions de CO2 basées sur une analyse coût/bénéfice sont futiles face à un budget carbone défini. De même, les analyses du coût de remplacement de la biodiversité s’appuient sur une vision erronée des impacts combinatoires, exponentiels et irréversibles. L’érosion de la biodiversité est un problème particulièrement complexe et encore très mal compris par les marchés financiers, qui oublient bien souvent que les gains en un endroit ne compensent en rien les pertes ailleurs, contrairement aux émissions de gaz à effet de serre.

Greenwashing et Competence greenwashing

Si le mot écoblanchiment1 est aujourd’hui entré dans le langage courant, un nouveau terme pointe le bout de son nez: le « competence greenwashing ». Le terme trouve son origine dans une publication du professeur Kim Schumacher2, « the impacts of greenwashing and competence greenwashing on sustainable finance and ESG investing ». En identifiant d’une part le fossé entre les déclarations des entreprises et des acteurs de la finance et, d’autre part, les ressources et capacités organisationnelles dédiées à assurer la précision et la consistance des mesure d’impacts, Kim Schumacher dénonce le manque criant de compétences des acteurs concernés.

Si vous êtes amateur de bande dessinée, vous vous souvenez peut-être que dans l’album n°25 d’Astérix intitulé « le Grand Fossé », un village Gaulois qui est coupé en deux par un grand fossé, se perd en querelles intestines. Du pain béni pour l’infâme Acidenitrix, un sombre manipulateur à tête de hareng saur, toujours prêt à vous faire une queue de poisson. De même, le fossé mesuré par le professeur Schumacher favorise le greenwashing et décrédibilise les efforts en faveur de la transition écologique.

Le greenwashing est dangereux car il est trompeur et peut entraver les efforts pour atteindre les objectifs de durabilité. Il est également dévastateur car il génère le doute et jette l’opprobre sur la finance durable.

Le greenwashing est dangereux car il est trompeur et peut entraver les efforts pour atteindre les objectifs de durabilité. Mais le greenwashing est aussi dévastateur car il génère le doute et jette l’opprobre sur la finance durable. Parmi les Acidenitrix d’aujourd’hui, on retrouve les marchands de doute, les fabriques d’ignorance, les entrepreneurs de l’agnotologie, les illusionnistes de la science et de l’information.

Relayer le message du professeur Schumacher et appeler à une montée en compétence du secteur financier sur ces sujets est indispensable. Le moment est venu de prêcher pour renforcer l’éducation des intermédiaires financiers à la durabilité, mais aussi pour insister sur la nécessité de partenariats entre le monde de la finance et le monde de la science afin de garantir un maximum de robustesse, d’intégrité et de consistance scientifique. Il est temps de militer pour l’humilité des banquiers et pour proscrire l’utilisation d’une terminologie d’expert en développement durable sans expertise scientifique. La feuille de route de la finance verte se doit d’être réelle et pas virtuelle. Elle doit être concrète, transparente et honnête, sans minorer les impacts négatifs ni majorer les impacts positifs.

1 Ou « greenwashing », pratique qui consiste à mettre en avant des arguments écologiques qui ne correspond pas, ou correspond insuffisamment, à la teneur du message.

2 Kim Schumacher est maître de conférences en finance durable et stratégie ESG à l’institut de technologie de Tokyo.