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8 mai 2024

L’avenir du travail: emploi, entreprises privées et « gig economy »

La « gig economy », ou économie des petits boulots, promettait de révolutionner le monde du travail. Les travailleurs, affranchis de tout employeur unique, allaient pouvoir gérer leur propre mini-entreprise. Une nouvelle réalité profitant tant aux employeurs, qui pouvaient proposer un cadre de travail plus flexible, qu’aux travailleurs, à même de gérer leur travail en fonction de leur vie privée, et non plus l’inverse. La réalité est toutefois loin de tenir ces belles promesses.

Au départ, la « gig economy » a été considérée comme un véritable succès. Les chauffeurs de taxi et les livreurs sont devenus des indépendants, travaillant sur la base de contrats ponctuels libres avec des horaires flexibles. Les contrats de sous-traitance se sont également développés, les professionnels créant des entreprises privées et offrant leur expertise aux sociétés de manière ponctuelle ou pour une courte durée.

Toutefois, l’absence de protection de l’emploi accordée aux travailleurs de la « gig economy » est rapidement devenue un problème politique. Préoccupés par ce phénomène, les gouvernements ont cherché à le réprimer, estimant que, dans de nombreux cas, les entreprises exploitaient les travailleurs au lieu de leur offrir une certaine liberté.

Droits en matière d’emploi

En 2021, l’UE a adopté une législation visant à réglementer les plateformes telles que Deliveroo et Uber, afin de garantir que les travailleurs indépendants qui y avaient recours bénéficient des mêmes droits fondamentaux en matière d’emploi que des employés classiques, y compris le droit à des congés payés, à des indemnités de licenciement et à des conditions de travail décentes. Les États membres ont jusqu’à 2025 pour transposer ces règles dans leur droit national et veiller à leur mise en application.

Les travailleurs de la « gig economy » ont également mené leurs propres campagnes en faveur de la protection de l’emploi. Au Royaume-Uni, les chauffeurs de taxi ont assigné Uber en justice pour réclamer des congés payés, l’adoption d’un salaire minimum national et le droit à des pauses. L’affaire a été portée devant la Cour suprême, où Uber a perdu une bataille juridique qui a duré cinq ans. Le jugement a constitué un véritable défi pour le groupe, doté d’un modèle commercial à bas coût, qui s’est vu contraint d’augmenter ses prix afin de faire face à une pénurie de chauffeurs.

Les autorités fiscales se sont inquiétées de ne pas recevoir leur juste part des revenus des travailleurs.

Les autorités fiscales se sont également inquiétées de ne pas recevoir leur juste part des revenus des travailleurs. Grâce au recours à un grand nombre de travailleurs indépendants, les entreprises ont pu échapper à certains impôts et taxes sur le travail, notamment aux cotisations de retraite obligatoires. Les autorités britanniques ont pris des mesures contre l’emploi déguisé par le biais de l’IR35, une réglementation qui vise à garantir que les entrepreneurs paient le même impôt sur le revenu et les mêmes cotisations de sécurité sociale qu’un employé classique. Cette mesure s’est révélée être un casse-tête pour les employés comme pour les employeurs et a découragé l’adoption plus large de contrats plus flexibles.

Une apocalypse retardée

Au final, la révolution de l’emploi n’aura pas eu lieu. Le nombre de travailleurs indépendants au sein de la zone euro est resté relativement stable et a même quelque peu reculé ces dernières années, passant de 14,6% en 2011 à 13,3% en 2022. La pandémie de Covid-19 semble avoir encore réduit la propension à s’installer en tant qu’indépendant, puisque de nombreux employeurs ont atténué l’impact de la crise sur leurs employés grâce à des dispositifs de chômage partiel. Les indépendants se sont pour leur part souvent retrouvés en difficulté, bien que certains pays, dont le Luxembourg, aient mis en place des mesures visant à protéger leurs revenus.

Pour l’instant, la proportion de travailleurs indépendants varie en fonction du niveau de formation. Sans surprise, c’est au sein du secteur agricole qu’elle est la plus élevée, avec plus de 60% d’agriculteurs indépendants. Seuls 14,6% des membres d’une profession libérale sont indépendants, contre 13,8% dans les services et la vente.

L’usage commercial de l’intelligence artificielle pourrait en fin de compte bouleverser beaucoup plus les modèles de travail traditionnels que la « gig economy ».

Toutefois, il semblerait que le monde du travail pourrait changer de manière plus significative à l’avenir. L’usage commercial de l’intelligence artificielle pourrait en fin de compte bouleverser beaucoup plus les modèles de travail traditionnels que la « gig economy ». Selon McKinsey, un travailleur sur seize dans huit des plus grandes économies de la planète (Allemagne, Chine, Espagne, États-Unis, France, Inde, Japon et Royaume-Uni) – soit plus de 100 millions de travailleurs – pourrait devoir changer de métier d’ici 2030.

L’essor des chatbots d’IA

L’avènement de la plateforme d’IA accessible au public ChatGPT, soutenue par Microsoft, et des concurrents d’autres groupes tels que Google, fait frémir de nombreuses professions, notamment dans les milieux académiques, ainsi que dans le monde du journalisme et du droit. Si un robot peut rédiger des articles, des rapports ou des documents juridiques, qu’adviendra-t-il des personnes qui sont actuellement payées à cet effet?

Selon le rapport de McKinsey, la croissance de l’emploi se concentrera au niveau des postes les plus qualifiés, notamment dans les secteurs de la santé, des sciences, de la technologie et de l’ingénierie, ainsi que dans d’autres secteurs spécialisés. Pour les auteurs du rapport, « L’essor du commerce en ligne a créé une demande de magasiniers, les investissements dans l’économie verte pourraient accroître les besoins en techniciens d’éoliennes, le vieillissement de la population dans de nombreuses économies développées augmentera la demande d’infirmières, d’aides à domicile et de techniciens en prothèses auditives, tandis que les enseignants et les formateurs continueront à trouver du travail au cours de la prochaine décennie ».

Toutefois, les emplois moyennement ou peu qualifiés dans des secteurs tels que la restauration, l’industrie manufacturière et les services de bureau sont vulnérables aux perturbations. Les supermarchés sont de plus en plus nombreux à installer des lignes de caisses automatiques, tandis que les restaurants et les hôtels commencent à automatiser l’enregistrement des clients et les commandes de repas. La numérisation exerce déjà un impact majeur sur ces secteurs.

Le télétravail offre à beaucoup la flexibilité promise initialement par la « gig economy », mais dans le cadre d’une structure d’emploi réglementée.

Le télétravail, une tendance appelée à perdurer

La pandémie a également donné un élan important et inédit au travail à distance; aujourd’hui, il est difficile d’envisager une inversion de cette tendance, malgré l’opposition de nombreux cadres appartenant à la vieille école – dont certains dans des secteurs alimentés par la technologie numérique. La plupart des entreprises ont désormais adapté leurs lieux de travail et leurs systèmes informatiques pour permettre le télétravail deux ou trois jours par semaine. Cette nouvelle réalité modifie également la nature du travail et offre à beaucoup la flexibilité promise initialement par la « gig economy », mais dans le cadre d’une structure d’emploi réglementée.

Pour l’instant, de nombreux aspects des révolutions censées intervenir sur le lieu du travail demeurent de l’ordre du théorique et de l’expérimental, et ne sont pas encore monnaie courante. La « gig economy » s’est peut-être révélée moins disruptive et moins ambitieuse que prévu, mais l’IA et la numérisation pourraient entraîner des changements bien plus importants dans les modèles de travail.

Dans ce contexte, il incombera davantage aux travailleurs de maintenir leurs compétences à jour, d’économiser de l’argent pour les périodes creuses et de suivre de nouvelles formations si nécessaire. Les entreprises les plus réactives tentent de s’assurer qu’elles ont accès à une base de compétences flexible, au travers de laquelle le personnel peut travailler au sein de différentes équipes. Cela impliquera probablement une formation plus formelle et des programmes de mentorat efficaces.

Mais des questions plus importantes se posent. Si la technologie remplace une part importante des tâches réalisées par des humains, quelle forme prendront les augmentations d’impôts par les gouvernements? Les travailleurs dont les emplois sont devenus obsolètes devraient-ils recevoir un salaire national minimum? Autant de questions qui devront être abordées par les gouvernements futurs à mesure que le marché du travail évolue.