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11 décembre 2024

Le profit, l’homme et la planète

  Olivier Goemans myINVEST 25 août 2020 2149

Le rôle des économistes devrait être de nous guider en fonction de l’évolution des conditions de marché et de nous aider à mieux comprendre le système économique, ses rouages ainsi que les lois et dynamiques qui le régissent. Ils ne devraient en revanche en aucun cas définir nos objectifs. Tel est en tout cas le point de vue de Yuval Noah Harari, auquel je ne peux que souscrire compte tenu de mon éducation essentiellement néo-libérale.

Pour reprendre les mots de Y. N. Harari : « Le problème n’est pas tant que les économistes se trompent souvent (la prévision économique n’a rien d’une science), mais plutôt que tout le monde attend d’eux qu’ils définissent nos objectifs. L’être humain n’a jamais eu pour vocation de créer de la richesse, et le PIB ne doit d’ailleurs pas être considéré comme un indicateur « magique » de réussite. Les théories et modèles économiques sont indispensables pour comprendre les tendances en matière de production et de consommation et planifier un meilleur avenir économique, mais ne doivent pas être utilisés pour définir des objectifs. Il appartient à chaque individu de se fixer ses propres objectifs ».1

En ce qui me concerne, j’ai pour ambition d’être à la hauteur de ce que mes enfants voient en moi et des espoirs que mes parents avaient placés en moi. Une voie dénuée de toute considération scientifique, placée sous le signe de la subjectivité et ponctuée de faux pas et de mauvaises décisions, mais qui n’en exige pas moins des efforts incessants.

Plutôt que de se concentrer sur le seul profit, il s’agit pour les entreprises de mesurer leurs résultats à l’aune de trois facteurs de même importance : le profit, bien sûr, mais également l’homme et la planète.

En tant que société, nos objectifs devraient tendre vers un monde plus durable, où la pérennité environnementale, l’inclusion sociale et l’expansion économique cohabiteraient en parfaite harmonie. Baptisé « triple performance » (ou « triple bottom-line » en anglais), ce concept voit les entreprises accorder la même importance aux préoccupations environnementales et sociales qu’à la génération de bénéfices. Plutôt que de se concentrer sur le seul profit, il s’agit de mesurer les résultats à l’aune de trois facteurs : le profit, bien sûr, mais également l’homme et la planète. Pour bien saisir la situation dans sa globalité, nous devons comprendre et mesurer le coût global de fonctionnement des entreprises, qui ne se limite pas à leur compte de résultat. En réalité, ces trois facteurs sont déterminants pour savoir si une entreprise est en mesure de poursuivre ses activités et de générer des bénéfices. Nulle entreprise ne peut survivre avec seulement un seul d’entre eux.

Ignorer cette réalité de la « triple performance » peut entraîner de funestes répercussions, un risque aujourd’hui de plus en plus manifeste, mais également de mieux en mieux compris par les entreprises et les investisseurs. Cela dit, risque et opportunité vont souvent de pair. La durabilité peut – et devrait – être considérée comme une opportunité exceptionnelle de croissance et de leadership pour les entreprises. Les 17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies couvrent les principaux aspects du capital (humain, social, physique et naturel) nécessaire à des entreprises et des investissements durables.

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière nos lacunes, sans toutefois entamer l’enthousiasme en faveur des investissements reposant sur des principes de durabilité et de responsabilité. Les objectifs des investisseurs n’ont jamais été aussi bien servis qu’en cherchant à encourager une reprise saine et verte. La Banque des règlements internationaux elle-même (BRI, présentée comme la banque des banques centrales) a souligné que « les effets des risques mondiaux tels que les pandémies illustrent le compromis entre efficacité et résilience à l’œuvre au sein de nos systèmes de production… De nombreux décideurs politiques prônent une ‘reprise verte’, tirant les leçons de la crise mais reconnaissant également les défis à relever. De nombreuses suggestions pratiques ont été émises à cet égard, concernant notamment le déploiement d’investissements publics massifs mais sélectifs, qui pourraient contribuer à assurer une ‘reprise verte’ opportune et plus durable assortie d’une empreinte carbone plus faible, en atténuant ou tout du moins en n’aggravant pas les risques inhérents aux nouveaux cygnes verts ».2

La principale différence entre la crise que nous traversons aujourd’hui et la précédente est que les personnes les plus riches sont nettement moins affectées que les personnes moins fortunées (faible niveau d’épargne, emploi/logement précaire, salaire médian ou inférieur), qui subissent de plein fouet l’impact de la pandémie. Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, a récemment annoncé qu’environ 40 % des Américains gagnant moins de 40.000 dollars par an avaient perdu leur emploi en mars. « Les mots me manquent pour décrire la souffrance provoquée par ce revers de fortune, qui a bouleversé tant de vies et nous laisse dans un contexte de grande incertitude quant à l’avenir », a-t-il déclaré.

La pandémie actuelle amplifie et accentue les inégalités sociales. Il nous faudra faire face à une crise économique, sociale et de la richesse. La crise attire l’attention sur les politiques sociales des entreprises vis-à-vis de leurs principales parties prenantes, parmi lesquelles employés, fournisseurs et clients. D’autres changements comportementaux en faveur d’objectifs sociaux sont à attendre de la part des entreprises lorsque nous sortirons de cette crise et nous sommes convaincus que la tendance à l’investissement socialement responsable est appelée à perdurer.

Favoriser l’inclusion sociale, la pérennité de notre planète et l’allocation efficace des ressources est la définition même du développement durable.

En conclusion, favoriser l’inclusion sociale, la pérennité de notre planète et l’allocation efficace des ressources est la définition même du développement durable. Le développement durable doit permettre de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Un rôle qui correspond somme toute à celui de tout parent. Il s’agit là en soi d’une simple question de bon sens, que le conditionnement de l’éducation et des privilèges m’avait trop longtemps fait perdre de vue. Il n’est jamais trop tard pour se réveiller et agir, mais aujourd’hui plus que jamais, le temps presse. Agissons donc sans attendre au travers de l’investissement responsable.


1 Podcast Outrage & Optimism, épisode 15 « The history of our future ».

2 « Green Swan 2 – Climate change and Covid-19: reflections on efficiency versus resilience ». Discours de Luiz A Pereira da Silva, sur la base de remarques faites lors des Chief Economist Talk Series de l’OCDE, Paris, 23 avril 2020, et du Research Webinar de la BRI, 13 mai 2020.