Les banques et le financement de la transition énergétique
Des considérations liées à la réglementation, à la réputation et à la gestion des risques amènent les banques à jouer un rôle central dans la décarbonation de l’économie mondiale. La législation européenne relative à la publication d’informations concernant les émissions pour les entreprises du secteur des services financiers et d’autres entreprises incite ces dernières à aider leurs clients à identifier et à mettre en œuvre les changements dont ils ont besoin pour adopter un modèle économique durable.
Pour les banques, il existe un certain nombre de raisons impérieuses de s’intéresser à l’impact climatique des entreprises avec lesquelles elles font affaire, à commencer par le fait qu’il s’agit d’un pilier essentiel de la gestion des risques. Les entreprises qui n’abordent pas de manière adéquate les risques liés à leurs émissions de carbone exposent leur modèle d’affaires à des menaces opérationnelles et réglementaires.
De nombreuses banques se considèrent également comme un important facilitateur de changement: il est clair que les gouvernements n’ont pas les ressources nécessaires pour gérer seuls les énormes défis que pose la décarbonation. Le secteur financier est en effet appelé à jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre de la transition.
Par ailleurs, les établissements financiers ont à prendre en compte les aspects liés à leur réputation et à la réglementation. Les émissions de carbone et les pratiques de développement durable des clients pour lesquels les banques fournissent des financements ou souscrivent à des émissions sur le marché des capitaux se reflètent de plus en plus sur l’image des organismes financiers eux-mêmes.
Un nombre croissant d’exigences législatives et réglementaires obligent en outre les banques à publier des informations concernant les émissions dites de niveau 3, définies par le Protocole de 1990 sur les gaz à effet de serre (Greenhouse Gas Protocol) comme étant celles générées dans la chaîne de valeur d’une entreprise ou par l’utilisation de ses produits et services par ses clients. Pour les banques, cela implique de fournir des informations sur tous les investissements directs qu’elles réalisent ainsi que sur leurs activités de prêt et de souscription, ce qui pourrait bien représenter la part la plus importante des émissions qu’elles déclarent.
La gestion des risques et au-delà
La gestion des risques représente un aspect de plus en plus critique en raison de l’attention croissante que portent les autorités prudentielles aux questions liées au développement durable dans le cadre de leur mandat de surveillance. Les institutions financières devront non seulement prendre la mesure des émissions générées par leurs activités propres, mais aussi de celles générées tout au long de leurs chaînes de valeur.
Plus les entreprises repoussent l’évaluation de leurs risques liés à l’environnement et au climat, plus la transition vers la décarbonation sera complexe et coûteuse, et plus les risques opérationnels qu’elles courent seront importants.
Plus les entreprises repoussent l’évaluation de leurs risques liés à l’environnement et au climat, plus la transition vers la décarbonation sera complexe et coûteuse, et plus les risques opérationnels qu’elles courent seront importants. Les banques qui fournissent des financements et d’autres services sont exposées, par ricochet, à l’impact de ces risques.
La possible évolution du comportement du client représente un autre facteur dont il convient de tenir compte. De plus en plus soucieux de l’impact environnemental des produits et services qu’ils utilisent, les clients font preuve d’un plus grand discernement à cet égard. Alessandra Simonelli, Responsable du développement durable à la Banque Internationale à Luxembourg: «Ne pas s’aligner sur cette évolution vers un monde à faibles émissions de carbone représente un risque majeur pour les entreprises, sans parler des raisons opérationnelles telles que la réduction des coûts, y compris de l’énergie. Il s’agit de s’assurer que le modèle d’affaires d’aujourd’hui s’inscrit dans le monde de demain».
L’autre rôle important joué par les banques est celui de facilitateur de la transition. Le passage à une économie à faibles émissions de carbone nécessitera des investissements considérables que les gouvernements ne peuvent financer seuls. En soutenant les pratiques commerciales durables, les banques peuvent aider leurs clients à mettre en œuvre les changements qui s’imposent. «Nous pensons faire partie de l’équation qui permettra d’assurer la transition», déclare Mme Simonelli.
Certaines entreprises se retrouvent face à des questionnements quasiment existentiels, y compris, dans certains cas, celui de la viabilité, à terme, de leur modèle d’affaires.
Suivi de l’évaluation du modèle d’affaires des entreprises
Les banques s’efforcent de veiller à ce que tous leurs clients évaluent l’adéquation de leur modèle d’affaires face à un environnement en pleine évolution, les risques auxquels ils sont confrontés et les mesures qu’ils doivent prendre, qui varieront considérablement d’une entreprise à l’autre. Certaines devront simplement améliorer leur efficacité énergétique, par exemple en optant pour un système de chauffage et de ventilation alimenté par des énergies renouvelables plutôt que par des combustibles fossiles. Mais d’autres se retrouvent face à des questionnements plus existentiels, y compris, dans certains cas, celui de la viabilité, à terme, de leur modèle d’affaires.
Il est évident qu’un pourcentage important d’entre elles ne pourront pas survivre, du moins sous leur forme actuelle. Prenons l’exemple d’un fabricant de papier n’ayant d’autre choix que de réaliser un investissement considérable pour financer sa transition, qui ne pourra être amorti que par la production de davantage de papier. Mais l’entreprise pourrait se rendre compte qu’elle ne dispose pas des ressources naturelles nécessaires pour produire suffisamment de papier, alors que – plus important encore – la demande est en baisse pour le papier à usage unique qu’elle fournit. Pour ces entreprises, la décarbonation impliquera un changement radical des pratiques et des processus commerciaux.
Les entreprises doivent être conscientes des risques tout au long de leur chaîne de valeur. Une grande partie de l’impact climatique direct (conditions météorologiques extrêmes, élévation du niveau de la mer, sécheresse et hausse des températures) pourrait davantage affecter l’Asie et l’Afrique que l’Europe, mais de nombreuses entreprises s’approvisionnent en matières premières dans ces régions ou y ont leurs usines. La pandémie de Covid-19 nous a montré à quel point la perturbation des chaînes d’approvisionnement peut avoir un impact profond sur les entreprises, et il s’agit d’un risque qu’elles doivent gérer.
Les chemins de la décarbonation
Les banques entendent collaborer avec chacun de leurs clients afin d’évaluer leur exposition aux risques environnementaux et climatiques, ainsi que les mesures qu’ils mettent en place pour y faire face. À l’image d’autres «stakeholders», tels que les actionnaires, les banques ont besoin de comprendre la trajectoire et les objectifs des entreprises afin d’être en mesure d’évaluer leurs progrès.
Dans de nombreux cas, les banques ne disposent pas de toute l’expertise nécessaire en interne et collaborent donc avec des experts en énergie. La BIL s’associe, par exemple, au cabinet de conseil luxembourgeois energieagence, avec lequel elle réunit des clients pour les aider à tracer les contours de leur trajectoire de décarbonation. Elle organise par ailleurs des conférences conjointes pour aider les clients à s’orienter, en leur expliquant les premières étapes et ce qu’ils peuvent faire pour améliorer leur efficacité énergétique.
La trajectoire sera différente pour chaque secteur. Chacun doit déterminer son budget carbone, en indiquant comment il se maintiendra sous le niveau maximal d’émissions qui permettrait d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, à savoir veiller à ce que le réchauffement climatique ne dépasse pas 1,5°C par rapport aux températures moyennes de l’ère préindustrielle. La vitesse de décarbonation n’est pas la même pour chaque secteur et sera liée aux règles spécifiques qui s’y appliquent, ainsi qu’à la disponibilité des technologies appropriées.
Quid en cas de non-conformité?
La plupart des entreprises sont actuellement au début de leur parcours de transition; les banques évaluent leur capacité à accepter le changement et les aident à mettre en place des plans. Pour l’heure, les conséquences d’un échec ou d’une non-conformité n’entrent pas encore dans l’équation. Toutefois, il s’agira d’un facteur à long terme, et les institutions financières devront décider de la manière dont elles le gèrent. Si les risques des clients sont particulièrement élevés, cela peut avoir un impact sur le coût du crédit, par exemple, voire sur leur capacité à emprunter à l’avenir.
Dans tous les cas, les banques doivent d’abord chercher à comprendre les difficultés auxquelles les entreprises sont confrontées: s’agit-il d’un manque d’expertise, de ressources inadéquates ou d’une mauvaise compréhension? En fin de compte, la décarbonation devrait se faire dans l’intérêt de l’entreprise et de ses actionnaires, et les banques devront donc se pencher sur les obstacles qui les empêchent d’agir.
La voie à suivre deviendra probablement plus claire à mesure que le périmètre de divulgation et de reporting en vertu de la Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises s’étendra au cours de cette décennie. La législation imposera à terme à quelque 50.000 entreprises européennes (et à certaines entreprises étrangères) répondant à au moins deux des critères suivants – avoir au moins 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, 25 millions d’euros d’actifs et 250 employés – de publier des informations quantitatives et qualitatives sur leur impact, leurs opportunités et leurs risques en matière de développement durable, y compris les émissions de niveau 3. Cela permettra de mettre en perspective l’ensemble des chaînes de valeur des entreprises.
Les banques ont un rôle essentiel à jouer non seulement pour soutenir les entreprises dans leurs efforts de décarbonation, ce qui est également vital dans le cadre de leur propre gestion des risques et de leurs obligations réglementaires, mais aussi pour faire avancer la transition vers la décarbonation dans son ensemble.
Le passage à une économie à faibles émissions de carbone nécessitera des investissements considérables que les gouvernements ne peuvent financer seuls. Les banques peuvent aider leurs clients à mettre en œuvre les changements qui s’imposent.