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22 décembre 2024

Parole d’expert : art, science, philosophie et gestion de portefeuilles

Les gérants de portefeuilles, et plus généralement les spécialistes de la finance, doivent faire preuve à la fois d’humilité et d’assurance pour servir au mieux leurs clients, selon Olivier Goemans, head of investment services and innovation à la Banque Internationale à Luxembourg. Dans un long entretien, ce dernier affirme que si la réussite en matière d’investissement suppose d’être disposé à apprendre tout au long d’une carrière, elle doit aussi reposer sur une philosophie qui ne change pas au gré des inévitables fluctuations des marchés et des aléas du cycle économique et qui permette aux clients de comprendre pourquoi, par exemple, les gérants ne se limitent pas à tout miser sur un marché actions en pleine ascension.

Selon lui, il est primordial de comprendre le facteur humain, qui joue un rôle important dans les flux et reflux des marchés de titres, ainsi que les travers et les biais qui, s’ils ne sont pas dûment identifiés et compris, peuvent empêcher les investisseurs d’atteindre leurs objectifs.

L’humilité est essentielle dans un processus d’investissement qui relève autant de l’art que de la science (cette dernière résidant principalement dans la compréhension des motivations et des interactions des hommes). « Même si nous avons recours à l’analyse quantitative, au bout du compte, c’est le comportement des hommes que l’on trouve derrière », souligne Olivier Goemans. « Il y a beaucoup d’art dans nos modèles économiques, beaucoup d’hypothèses concernant l’avenir ».

Cependant, il faut également faire preuve d’assurance dans la lecture des marchés et la prédiction de l’interaction des facteurs économiques et politiques. « Nous avons besoin de convictions sans pour autant pécher par excès de confiance à l’heure de formuler nos hypothèses car il s’agit de prévoir ce que feront des êtres humains à l’avenir », observe-t-il. « La finance comportementale est un facteur important de la dynamique des marchés financiers. Néanmoins, nous devons avoir des convictions. C’est notre travail ».

Lorsque nous cherchons à accroître la valeur de nos portefeuilles, nous devons nous souvenir qu’il s’agit de patrimoines privés qui n’ont pas été constitués du jour au lendemain.

Une philosophie à long terme

Même si Olivier Goemans et ses collègues ont leurs propres opinions sur la situation des marchés et une vision de l’avenir, susceptible d’être revue en fonction de la dynamique des marchés et des modifications de leurs hypothèses, l’approche sous-jacente de la banque est une philosophie de gestion qui n’est peut-être pas « gravée dans le marbre », mais qui dicte la façon dont le processus d’investissement et l’allocation d’actifs sont déterminés. « Cela ne veut pas dire que nous devons nous y tenir pendant les 50 prochaines années », souligne-t-il. « Mais il doit s’agir d’un point d’ancrage à long terme pour notre façon de travailler ».

La philosophie d’investissement reflète les leçons tirées de la crise financière intervenue il y a dix ans et son impact sur les investisseurs privés qui comptent parmi les clients de la banque : « Nous avons défini notre philosophie en fonction des attentes, des besoins et des objectifs de notre clientèle privée car nous la comprenons. Il s’agit d’un facteur clé de notre différenciation et de notre positionnement dans le secteur ».

« Lorsque nous cherchons à accroître la valeur de nos portefeuilles, nous devons nous souvenir qu’il s’agit de patrimoines privés qui n’ont pas été constitués du jour au lendemain. Par exemple, même si nous affectionnons la gestion active, la capacité à explorer les limites haute et basse de nos mandats est une approche de bon sens. Ainsi, le trading à haute fréquence n’en fait pas partie. La gestion active n’est pas une fin en soi ».

De l’importance de la diversification

En tant que pierre angulaire de l’approche d’investissement, la philosophie donne régulièrement lieu à des échanges avec les clients de la banque. « Comme je ne peux pas prédire l’avenir, ce que je communique aux prospects et aux clients, c’est notre humilité, notre passion pour notre métier, et notre approche active de la gestion de fortunes privées », souligne Olivier Goemans.

« Même si nous restons tenus par un indice de référence, jamais je ne pourrais me satisfaire de dire aux clients que nous avons signé une belle performance en ne perdant que 20 % tandis que le marché a chuté de 25 %. Cela signifie aussi que dans le cadre de la gestion pour une clientèle privée, nous avons une certaine préférence pour le style “rendement”, ce qui n’est pas courant dans notre métier. Naturellement, nous apprécions les thèmes de croissance mais sans jamais perdre de vue la dimension “rendement”. »

Après plusieurs années d’un marché haussier très médiatisé pour les actions, il est important de faire comprendre aux clients que les marchés actions ne sont pas un pari à sens unique

Avec plusieurs années d’un marché haussier très médiatisé pour les actions jusqu’en 2020, il était important de faire comprendre aux clients que les marchés actions ne sont pas un pari à sens unique. « Un ingrédient essentiel de notre philosophie consiste à trouver le bon équilibre entre la conviction et la diversification, qui est nécessaire et pas seulement utile », souligne Olivier Goemans. « Il n’est pas toujours facile de convaincre les clients des bienfaits de la diversification lorsque l’investissement sur les marchés actions semble aisé. Depuis le début de la pandémie, le message passe plus facilement ».

La puissance de la pensée positive

Et d’ajouter : « En outre, l’idée de protection du capital est un vœux pieux. Il existe bien des techniques de protection du capital, comme la couverture ou la réduction de l’effet de levier d’un portefeuille en fonction de la dynamique des marchés, mais elles sont complexes et onéreuses. La diversification est la seule mesure qui ne coûte rien. Nous ne pouvons pas prédire les fluctuations des marchés, c’est pourquoi nous devons construire un portefeuille capable d’endurer différentes conditions de marché ».

Au passage, Olivier Goemans cite le podcast Curious Investor du gestionnaire quantitatif américain AQR Capital Management : « Il s’avère que les génies les plus célèbres [tels que] Warren Buffett, Bill Gross, George Soros et Peter Lynch (…) n’ont pas de baguette magique. Tous ces investisseurs à succès ont connu de longues périodes de sous-performance. Néanmoins, ce qui leur a permis de se démarquer, c’est qu’ils étaient convaincus qu’ils devaient rester fidèles à leur philosophie, même lorsque la situation se corsait pour eux ». « Voilà qui plaide vraiment pour une philosophie d’investissement », estime Olivier Goemans.

Ce dernier est convaincu qu’il faut porter un regard résolument optimiste sur le monde, ce qui permet d’éviter qu’une actualité négative ne remette en cause des stratégies mûrement réfléchies. « Les mauvaises nouvelles ont plus d’impact que les bonnes. Par ailleurs, on entend souvent dire que “c’était mieux avant” mais cette perception n’est étayée par aucune étude sérieuse, même s’il n’est pas toujours facile de mesurer des évolutions positives ou d’attester leur réalité. Lorsque l’on observe le monde, on constate toujours d’immenses problèmes d’inégalités mais, objectivement, la proportion de la population mondiale qui vit sous le seuil de pauvreté a diminué. Il y a plus d’individus dans le monde qui mangent trop que d’individus qui meurent de faim ».

Rester curieux tout au long de sa vie

Un point de vue optimiste souligne les avantages des intérêts composés sur le long terme : « Lorsque j’explique aux clients le mécanisme des intérêts composés, cela paraît extrêmement ennuyeux au départ mais, à mesure que l’on rentre dans les détails, cela devient de plus en plus passionnant.

Lorsque l’on investit à long terme, le plus tôt est le mieux pourvu que l’on gère comme il se doit les risques qui pèsent sur le portefeuille. Nous conseillons également aux clients de tirer parti d’achats périodiques par sommes fixes et d’affecter, à intervalles réguliers, une partie de leur épargne à un support d’investissement. En cas de correction des marchés, ils peuvent ainsi accroître leur portefeuille à moindre frais ».

Selon Olivier Goemans, la curiosité est une qualité fondamentale pour réussir la gestion d’un portefeuille (aussi bien pour les professionnels de l’investissement que pour leurs clients). « Je pense qu’il est primordial de ne jamais cesser d’apprendre. C’est une histoire sans fin : les marchés financiers, l’économie et la société sont bien vivants et en mouvement ».

« Il ne suffit pas d’être un spécialiste des aspects techniques des marchés : il faut avoir la soif d’apprendre. Nous sommes de plus en plus en concurrence avec des machines et nous devons nous en servir, mais cela ne relativise en rien l’importance d’apprendre sur un tas de choses et de le faire en permanence ».

Nous ne pouvons pas prédire les fluctuations des marchés, c’est pourquoi nous devons construire un portefeuille capable d’endurer différentes conditions de marché.