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18 novembre 2024

50 nuances d’hydrogène

  Olivier Goemans myINVEST 23 juillet 2021 2453

Comment atteindre la neutralité carbone ? Entre les tenants du principe de responsabilité qui invitent à ralentir sensiblement la consommation et les chantres de l’innovation technologique comme remède à tous nos maux, il n’est pas simple de choisir où concentrer les efforts en priorité. Et si la solution se trouvait dans l’hydrogène ?

Dans un article récent, nous abordions l’urgence climatique et les avancées de la mobilité électrique. Quelques semaines après avoir rédigé l’article, une vidéo en ligne postée par la chaîne « Economics Explained » était consacrée à l’accident du porte-conteneur Evergreen. Ayant bloqué le transport maritime dans le canal de Suez pendant plusieurs jours, cet accident illustre parfaitement cette rupture de nombreuses chaînes d’approvisionnement qui préoccupent les économistes depuis quelques mois. La vidéo suggérait alors de transformer cette crise en opportunité et de transformer le transport de marchandises, aussi bien maritime que routier, en transport aérien au moyen de ballon dirigeable gonflé à l’hydrogène. Ma première vision était la perspective d’une version moderne du désastre de l’Hindenburg1, avant de me raviser et de comprendre. Nous étions tout simplement le 1er avril et il s’agissait d’un canular. J’avoue m’être laissé piéger.

Cette anecdote illustre assez bien un débat stigmatisant sur la problématique du réchauffement climatique. Alors que tout le monde s’accorde aujourd’hui sur l’impérieuse nécessité de la neutralité carbone, le cheminement pour y arriver reste un casse-tête. D’un côté, la sobriété avec comme adeptes les communautés d’activistes et une frange de plus en plus large de la communauté scientifique. Dans le camp opposé, les partisans, probablement plus néo-libéraux dans l’âme, pour qui les progrès technologiques apporteront les solutions adéquates pour relever ces défis.

L’économie de l’hydrogène

C’est ici qu’entre en jeu le concept de l’économie de l’hydrogène. Ce terme a été inventé il y a plus de 50 ans par l’électro-chimiste John Bockris qui décrivait alors la vision d’une économie où les villes seraient alimentées par l’énergie renouvelable, mais où l’hydrogène compenserait le caractère intermittent de l’approvisionnement. Une vision largement inspirée du roman de « l’Île mystérieuse » de Jules Vernes qui écrivait en 1875 « je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. »

Certaines banques d’investissement recommandent expressément à leurs clients de miser sur l’hydrogène comme une alternative révolutionnaire.

Rien de surprenant donc à ce que certaines banques d’investissement recommandent expressément à leurs clients de miser sur l’hydrogène comme une alternative révolutionnaire pour toute les formes de transport, de chauffage, pour l’industrie lourde (aciérie, cimenterie, …) et pour l’industrie chimique, pour stocker les excédents des énergies renouvelables intermittentes (éolien, solaire, marémotrice, …). Bref une économie du futur où l’hydrogène se substituerait au pétrole.

Vision d’un futur prometteur, mais vision partiellement utopiste. Même si l’hydrogène est l’élément le plus abondant de l’univers et vraisemblablement inépuisable, il n’existe pas à l’état pur sur notre planète. Sur terre, l’hydrogène est toujours lié à d’autres éléments chimiques, dans des molécules comme l’eau (H20) et le méthane (CH4). Ainsi pour « fabriquer » de l’hydrogène il faut utiliser de l’énergie (via électrolyse ou via reformage2 de méthane).

Quoi qu’en pensent les futurologues, les lois de la thermodynamique sont implacables. Pour extraire l’hydrogène, l’énergie nécessaire est exactement égale à l’énergie que l’hydrogène fournira quand il brûlera, c’est-à-dire lorsqu’il s’associera de nouveau à de l’oxygène pour reformer de l’eau !

Tout aussi important, l’hydrogène n’est renouvelable que si le procédé et la source de fabrication sont eux aussi renouvelables. Ainsi, il est de coutume de parler d’hydrogène vert pour l’hydrogène produit par électrolyse avec de l’électricité verte, d’hydrogène bleu produit à partir reformage à la vapeur de méthane et pour autant que les émanations de carbone soient captées (technologie balbutiante) et finalement d’hydrogène gris (voir noir) pour le reste (charbon, pétrole et gaz sans capture du CO2 émis).

Les investisseurs doivent comprendre que le coût de production de l’hydrogène vert est actuellement 2,5 à 5 fois plus élevé que les alternatives grises.

Partie de la solution ou du problème ?

Avec autant de nuances dans la palette de couleurs de l’hydrogène, il est évident que la plupart d’entre elles font partie du problème, pas de la solution. L’hydrogène vert est le seul qui ait du sens comme alternative aux combustibles fossiles. Avant de prétendre qu’il pourrait être le Saint Graal, les investisseurs doivent comprendre que son coût de production est actuellement 2,5 à 5 fois plus élevé que les alternatives grises.

Combler cet écart de prix nécessitera un soutien financier à la fois du côté de la production et du côté de la demande pour enclencher des effets de masse et d’échelle, permettant à l’hydrogène vert d’être compétitif. Pas étonnant que l’industrie lourde, premier utilisateur potentiel d’hydrogène vert en matière de volume, de rentabilité et d’impact écologique milite intensément pour intégrer celui-ci dans les transports et ainsi partager une partie des coûts.

Pour le transport via véhicules légers, le consensus est qu’une motorisation à batterie électrique est plus adaptée. Pour un citoyen lambda, fabriquer son électricité à partir du solaire reste évidemment plus accessible que de se lancer dans l’électrolyse maison. La question reste de savoir si l’hydrogène pourra se faire une place dans le transport lourd et de longue distance. A ce jour, la déperdition de la conversion de l’électricité en hydrogène, ensuite retransformé en électricité, dégage un rendement énergétique très faible. Pire encore si l’on intègre les dimensions transport et stockage, l’hydrogène ayant une densité très faible, nécessite une énergie importante pour être comprimé à de fortes pressions afin d’être transportable dans un volume raisonnable.

Pour surmonter la question du coût de production de l’hydrogène vert, il faut pouvoir disposer de grandes quantités d’électricité, tout au long de l’année, à des prix très bas. Des prototypes sont à l’étude3, notamment dans des zones qui bénéficient d’une surabondance en production de l’éolien et du solaire difficilement réinjectable sur le réseau électrique existant.

Personne ne peut prétendre aujourd’hui savoir précisément quel sera le rôle de l’hydrogène sur le chemin de la décarbonisation, le battage médiatique autour de l’économie de l’hydrogène étant exagéré.

Il est important de ne pas de faire miroiter un avenir où la technologie aura résolu tous nos problèmes, mais de prendre des mesures immédiates pour réduire considérablement nos émissions.

Il est avant tout important de ne pas de faire miroiter un avenir où la technologie aura résolu tous nos problèmes, mais de prendre des mesures immédiates pour réduire considérablement nos émissions. Pour l’investisseur particulier et sans dénigrer le fait qu’il s’agit d’un pari industriel potentiellement très intéressant, il est bon de se rappeler que la transition vers une économie neutre en carbone repose sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables et l’électrification directe comme principales solutions à la problématique du réchauffement climatique. L’hydrogène intervient autour de cela. L’hydrogène fait partie de la boîte à outils de la transition énergétique, mais n’est certainement pas la panacée.


1 L’Hindenburg était le plus grand dirigeable commercial jamais réalisé et affecté sur une ligne régulière Europe-États-Unis. Après 14 mois de service actif, le dirigeable est détruit par un incendie, le 6 mai 1937, lors de son atterrissage à Lakehurst dans le New Jersey. Sa destruction fut un événement médiatisé dans le monde entier et qui mettra fin à l’aventure du transport transatlantique par dirigeable.

2 Le reformage du méthane est une réaction chimique qui consiste à produire de l’hydrogène à partir du méthane présent dans le gaz naturel ou du biométhane.

3 Par exemple dans les îles Orkney en Ecosse, ou aussi aux Pays-Bas avec le projet de ‘vallée’ de l’hydrogène (HEAVENN : H2 Energy Applications in Valley Environments for Northern Netherland)