Covid-19 et finances : ne plus confondre accessibilité et validité de l’information !
Quel rapport existe-t-il entre le papier toilette et la volatilité de marché. A priori aucun, jusqu’au démarrage de la pandémie en mars 2020. Plongés dans l’inconnu, la plupart d’entre nous s’est désespérément accrochée au moindre élément d’explication à notre portée afin de comprendre et de décider comment réagir. Quitte à surréagir à la moindre information véhiculée, sans trop se préoccuper d’en vérifier la validité.
Tout a commencé avec un virus que l’on pensait lointain et qui, presque du jour au lendemain, bouleverse pourtant notre quotidien et nous confine à la maison pendant des semaines. Totalement dépassés par la vitesse des événements et un peu pris de panique, nous avons alors ingurgité toutes les informations se présentant à nous pour tenter de comprendre et de nous adapter.
Médias officiels, réseaux sociaux ou bouche à oreille, nous avons consommé des infos non-stop, le plus souvent sans filtre et sous le coup des émotions fortes du moment. À tort. Surréagir à chaque information est le plus souvent contre-productif. Une crise telle que celle de la Covid-19 est précisément le moment où il convient d’être prudents et lucide sur les biais cognitifs pouvant fausser notre jugement et nous conduire à des comportements irrationnels.
Afin de mieux gérer nos décisions futures, tâchons de mieux comprendre le mécanisme qui a conduit beaucoup d’entre nous à surréagir au début de la pandémie, par exemple en amassant des stocks de papier toilette.
Ne pas confondre disponibilité et validité
Sur quoi avez-vous basé vos décisions pour affronter la pandémie qui se dessinait en mars 2020 ? La question peut surprendre car rares sont ceux qui se la posent. Pourtant, à moins d’être un survivaliste ou d’avoir vécu dans un pays ayant dû gérer des situations similaires comme Ebola ou les SARS, il y a très peu de chance que vous ayez eu à votre disposition immédiate le parfait petit manuel sur comment réagir en temps de pandémie.
Comme presque tout le monde au début de la pandémie, vous aviez probablement bien du mal à savoir quoi penser et vous vous êtes basé sur les informations disponibles. Mais ces informations disponibles étaient-elles valides ? Face à l’inconnu et sans référent fiable sur lequel vous appuyer, vous avez dû composer avec ce que vous aviez sous la main. Ce faisant, vous avez probablement usé et abusé du biais de disponibilité.
Le biais de disponibilité conduit les individus à confondre la validité d’une idée avec la facilité avec laquelle celle-ci leur vient à l’esprit.
Le biais de disponibilité conduit les individus à confondre la validité d’une idée avec la facilité avec laquelle celle-ci leur vient à l’esprit. Ce biais consiste à s’appuyer sur les informations immédiatement disponibles dans notre mémoire ou dans notre environnement sans les soumettre à une analyse plus approfondie. Cela peut par exemple conduire à croire qu’une information est vraie simplement parce que, étant tellement répétée et partagée, c’est celle qui nous vient immédiatement à l’esprit. Elle s’impose comme crédible à notre cerveau en proie à de fortes émotions et en recherche de repères.
Exacerbé par le sentiment de panique, ce biais peut nous conduire à prendre des décisions au mieux ridicules et, au pire, dangereuses. Ce n’est pas parce qu’une information est disponible qu’elle est valide et doit servir de socle à notre action. L’exemple de la ruée sur le papier toilette illustre cela parfaitement.
Biais de risque zéro et papier toilette
Avez-vous été de ceux qui ont fait des stocks de papier toilette ? Avec le recul, cela ne vous a-t-il pas surpris comme réaction ? Et pourtant, sur le moment et sur base des informations disponibles, cela vous a semblé la bonne chose à faire.
Tout est parti d’une rumeur sur les réseaux sociaux faisant état de ruptures des stocks de papier toilette dans des contrées lointaines comme le Japon ou l’Australie. Sur base de ces informations totalement fausses, beaucoup de consommateurs en proie à la panique se sont rués en magasin et ont créé artificiellement des pénuries. C’est le comportement irrationnels des consommateurs qui a généré une pénurie provisoire. Les stocks étaient à leur niveau habituel, mais en revanche insuffisants pour faire face à une ruée irrationnelle sur le papier toilette. C’est bien la rumeur, une fausse information disponible, qui a créé la panique et engendré une véritable pénurie. Celle-ci n’existait pas avant la rumeur.
Beaucoup d’entre nous l’ont certainement oublié mais le phénomène d’achats panique est un grand classique : il s’est produit lors de la pandémie de grippe espagnole en 1918, lors de l’épidémie de grippe H1N1 en 2009 et, plus récemment, en 2011 après le Tsunami qui a durement frappé le Japon.
De telles réactions s’expliquent par l’angoisse qui naît chez certains lorsqu’une situation globale se détériore et échappe à leur contrôle. Survient alors le biais de risque zéro, c’est-à-dire la volonté de contrôler les risques mineurs sur lesquels nous avons une prise, en l’occurrence ici le papier toilette comme un symbole de sécurité primaire. Tandis qu’on a le sentiment que tout se dégrade rapidement autour de nous et qu’on ne peut rien y faire, on se rassure en se disant qu’on a repris le contrôle sur au moins un aspect du problème.
Résultat, certains consommateurs vont amasser des stocks de papier toilette. D’autres, à la base moins anxieux, trouvent tout d’abord ces comportements incompréhensibles et haussent les épaules. Mais peu après, ils décident malgré tout de faire des réserves en se disant « que c’est plus sûr au cas où ». Les médias et les commerces peuvent bien tenter d’expliquer que la chaîne d’approvisionnement fonctionne normalement, il est trop tard. L’effet boule de neige est lancé et finit par effectivement générer la rupture de stock tant redoutée.
Le biais de risque zéro nous pousse à nous focaliser sur la recherche absolue de l’élimination d’un petit risque en méprisant l’appréciation du risque global.
Le problème du biais de risque zéro est qu’il nous pousse à vouloir éliminer les petits risques sans considération du risque global au prétexte qu’on ne peut pas le contrôler personnellement. Le résultat est un comportement qui engendre une augmentation plutôt qu’une diminution de ce risque global. Par exemple, les attroupements sans masque en grande surface en mars 2020 pour stocker du papier toilette constituaient un risque nettement plus important sur le plan sanitaire face à un virus inconnu, que le manque imaginaire de papier toilette.
Une infodémie très néfaste…
La conclusion est sans appel : les émotions fortes associées à la dissémination d’informations non vérifiées constituent une très mauvaise base pour prendre des décisions. Malheureusement, l’omniprésence et la puissance des réseaux sociaux ne laissent plus de répit aux consommateurs pour vérifier systématiquement s’ils ont affaire à une rumeur ou à une information sérieuse.
Face à une crise majeure, il y a une prolifération d’informations likées et partagés sans même parfois être lues sur les réseaux sociaux et médias en ligne. Déjà éprouvés par l’anxiété d’une situation stressante, nous sommes saturés d’informations et nous finissons par croire l’information la plus aisément disponible au détriment de la plus valide. La désinformation s’impose et, dans le cas précis du Covid-19, la pandémie s’est doublée de ce que l’Organisation Mondiale de la Santé a qualifié « d’infodémie ».
… y compris pour vos finances
Vous l’aurez compris, il est primordial de garder la tête froide et d’apprendre à contrer ses instincts primaires pour prendre les bonnes décisions en cas de situation stressante. Et ce qui est vrai pour une pandémie peut aussi s’appliquer en cas de forte volatilité de marché.
Tout comme des achats paniques, il faut se méfier de ce que Robert J. Schiller, Prix Nobel d’Économie, nomme les narrations économiques : ces histoires au fondement fragile et si virales qu’elles deviennent réelles simplement parce qu’elles sont partagées.
Se focaliser à court terme sur une surabondance d’informations négatives est contre-productif sur le long terme.
Méfiez-vous donc des rumeurs, particulièrement en période de crise et spécifiquement quand il s’agit de protéger vos investissements. Arrêtez de faire du « doomscrolling », cette tendance qui nous pousse à regarder sans interruption les news surtout quand les choses vont mal et que les marchés souffrent. Se focaliser à court terme sur une surabondance d’informations négatives est contre-productif sur le long terme.
Pour vous aider à y voir plus clair, appuyez-vous sur des experts dont c’est le métier. Ils vous aideront à bien distinguer entre informations disponibles et informations valides. Contextualiser, voilà ce qui manque souvent cruellement dans les informations disponibles en temps de crise.
A l’aune de la pandémie, votre banquier peut également vous aider à (re)calibrer vos investissements sur base d’une actualisation de votre profil d’investisseur. La crise a pu fonctionner pour vous comme un révélateur et vous a sans doute permis de voir la vie autrement. Certains pourraient ainsi se révéler plus frileux que ce qu’ils avaient déclaré. D’autres, à l’inverse, vont peut-être se révéler plus résilients ou téméraires. Pour ces derniers, il conviendra malgré tout de vérifier avec leur banquier qu’ils ne souffrent pas d’un excès d’optimisme ou du biais de normalité. Ce biais consiste à sous-estimer la probabilité qu’à l’avenir un évènement rare et fortement porteur de risques comme une pandémie, puisse se reproduire. Il faut poser ses choix sur base du monde telle qu’il est, pas sur la croyance que tout redeviendra comme avant.
Finalement, il va falloir se doter des bons outils pour combattre ces réflexes émotionnels qui ne nous aident pas à prendre le bonnes décisions en cas de situation stressante ou anxiogène. Car le plus gros risque pour la plupart d’entre nous n’est pas la pandémie ou la volatilité sur les marchés, mais bien la façon dont nous réagissons à ce type d’évènements.