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24 novembre 2024

Après la « Grande stabilité » : investir dans un contexte inflationniste

L’économie mondiale vient de connaître une décennie dite de « Grande stabilité », caractérisée par la faiblesse des taux et de l’inflation et une croissance régulière et prévisible. Cette stabilité s’est reflétée sur les marchés financiers : la hausse des obligations et des actions a créé un environnement relativement propice pour faire croître vos investissements. Cette période de stabilité semble avoir touché à sa fin, et manifestement, l’ère de l’argent facile sur les marchés financiers est révolue.

La fin de la pandémie et la réouverture des économies à travers le monde ont entraîné d’importantes perturbations au niveau de l’offre, d’où les premiers signes d’inflation. La guerre en Ukraine n’a fait qu’accélérer les choses. Le prix du pétrole a explosé, passant de 20 dollars le baril en avril 2020 à quelque 120 dollars deux ans plus tard. Les prix d’autres matières premières ont également grimpé en flèche (celui du blé a ainsi doublé sur la même période), tandis que les métaux industriels ont également connu des hausses de prix significatives.

Avec l’inflation, les ménages et les entreprises ont moins d’argent à dépenser ou à investir, ce qui laisse entrevoir un risque de récession mondiale. La perspective d’une « stagflation », qui combine croissance anémique et forte inflation – phénomène observé pour la dernière fois dans les années 1970 – est plus inquiétante encore et les ménages, les gouvernements et les entreprises y sont peu préparés.

La hausse de l’inflation a incité les banques centrales à relever leurs taux d’intérêt, qui étaient restés ancrés à des niveaux historiquement bas pendant la majeure partie de la dernière décennie. Le monde entier s’est habitué à des coûts d’emprunt très faibles : les ménages ne payaient que peu d’intérêts sur les crédits immobiliers et les prêts à la consommation, tandis que les entreprises pouvaient elles aussi emprunter à bas coût, d’où un climat propice aux investissements. Le marché américain des obligations d’entreprises a ainsi atteint un niveau record de 10.500 milliards de dollars en 2021. Cependant, la hausse du coût de l’emprunt pèse sur l’activité économique, mais aussi sur les gouvernements, qui ont emprunté des sommes colossales pour soutenir les citoyens et les économies au cours de la pandémie.

Un environnement d’investissement en pleine mutation

En termes d’investissement, la période de « Grande stabilité » offrait un environnement exceptionnellement propice, en particulier sur les marchés actions. Les investisseurs pouvaient faire des profits, et ce dans presque tous les secteurs, toutes les régions et toutes les classes d’actifs.

Les actifs dits de longue durée généraient des performances particulièrement solides, qu’il s’agisse de groupes technologiques présentant un long potentiel de croissance ou d’obligations d’échéance longue offrant des flux de trésorerie prévisibles sur un grand nombre d’années.

Un climat de hausse des taux et d’inflation accrue exige une plus grande réflexion. Aucun outil ne permet de protéger à coup sûr un portefeuille contre l’inflation. Souvent, lorsque les prix augmentent, le coût des couvertures contre l’inflation les plus évidentes, telles que les obligations indexées sur l’inflation ou les actions de sociétés énergétiques, a déjà grimpé.

Toutefois, une règle judicieuse consiste à détenir des actifs dont le flux de revenus peut augmenter parallèlement aux prix, que ce soit par le biais des dividendes des entreprises ou des loyers d’immeubles commerciaux. Il convient également d’éviter les investissements qui procurent des flux de trésorerie fixes, comme la majeure partie du marché obligataire, car le rendement statique des taux d’intérêt perd de sa valeur dans un contexte d’inflation continue. Traditionnellement, les investissements sur les marchés actions offrent une meilleure protection que les obligations face à la hausse de l’inflation.

Il s’agit d’un environnement difficile où ne rien faire (en d’autres termes, conserver ses liquidités) peut faire mal, mais investir dans des actifs financiers est plus risqué du fait de la volatilité des marchés.

En outre, le fait de détenir des liquidités peut coûter très cher. Lorsque l’inflation est élevée, la valeur réelle de l’épargne en numéraire s’érode rapidement, d’où une perte de pouvoir d’achat. Il s’agit d’un environnement difficile où ne rien faire (en d’autres termes, conserver ses liquidités) peut faire mal, mais investir dans des actifs financiers est plus risqué que jusqu’il y a peu du fait de la volatilité des marchés.

Quelques nuances sur les marchés obligataires

Si la hausse de l’inflation a tendance à avoir un effet néfaste pour les obligations existantes, certaines nuances sont à noter. La valeur des obligations de qualité supérieure, telles que celles émises par les gouvernements de pays développés et les groupes d’entreprises de premier plan, devrait être principalement influencée par les prévisions d’inflation et la hausse des taux.

Toutefois, dans le cas d’obligations à plus haut rendement émises par des entreprises moins bien notées ou d’emprunts d’État de marchés émergents, le risque pour les investisseurs découle davantage de l’évaluation de la solvabilité de l’émetteur.

Les obligations d’État indexées sur l’inflation devraient, à première vue, offrir une protection aux investisseurs, mais leur prix est lié aux anticipations d’inflation plutôt qu’au taux réel d’augmentation du coût de la vie. Les investisseurs en quête d’une protection contre l’inflation doivent être attentifs à ce qui est déjà intégré dans les cours. Les obligations indexées sur l’inflation ne seront pas d’une grande aide si l’inflation est déjà élevée et si l’on s’attend à une nouvelle hausse.

Les matières premières : une couverture contre l’inflation

Comme de coutume, les matières premières ont jusqu’à présent fourni une protection significative face à la poussée inflationniste. Les prix des matières premières ont augmenté en raison de plusieurs facteurs, dont une forte demande due au rebond de l’économie après la pandémie de Covid-19, des pénuries liées aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les répercussions de la guerre en Ukraine.

Les programmes mis en place par les gouvernements afin de stimuler les infrastructures vertes et la mobilité ont entraîné une forte hausse de la demande de matériaux tels que le cuivre et le lithium, ce qui a également fait grimper les prix. Les sociétés minières et énergétiques ont affiché de belles performances, même lorsque les marchés boursiers dans leur ensemble ont été à la peine. Les matières premières agricoles peuvent également réaliser un beau parcours dans un contexte d’inquiétudes croissantes quant au risque de pénurie alimentaire à l’échelle mondiale.

Si l’or est traditionnellement considéré comme une protection contre l’inflation, il n’est pas toujours parfaitement fiable.

Si l’or est traditionnellement considéré comme une protection contre l’inflation, il n’est pas toujours parfaitement fiable. En fait, le métal jaune a tendance à évoluer davantage en fonction des taux d’intérêt réels (ajustés de l’inflation), en hausse lorsqu’ils sont négatifs et en baisse lorsqu’ils augmentent. Il pourrait néanmoins bien se comporter dans un environnement de stagflation si les investisseurs perdent confiance dans les autres classes d’actifs. En un mot, l’or ne constitue pas tant une protection contre l’inflation mais plutôt un outil de diversification structurelle.

Privilégier les valeurs de rendement

Dans un environnement inflationniste, les liquidités ont plus d’attrait aujourd’hui que demain. Cette situation joue en faveur des valeurs de rendement : généralement, des sociétés bien établies bénéficiant d’une demande solide et prévisible pour leurs produits et services et qui, dans de nombreux cas, versent des dividendes élevés.

Les entreprises technologiques, en particulier celles qui ne sont pas encore rentables ou dont l’évaluation comporte un élément spéculatif, ont perdu de leur attrait. Les investisseurs recherchent avant tout des entreprises dotées d’un pouvoir de fixation des prix, qui leur permet de répercuter les hausses des coûts sur leurs clients finaux.

Parmi les autres classes d’actifs qui méritent que l’on s’y intéresse, citons l’immobilier et les infrastructures qui offrent des flux de revenus ajustés de l’inflation. Les propriétaires de biens commerciaux pourraient être en mesure d’augmenter leurs loyers, ce qui permettrait de protéger dans une certaine mesure le flux de revenus.

Il convient toutefois de bien choisir son bien. Certains segments du marché rencontrent des problèmes structurels, comme les commerces de détail en centre-ville et certains pans du segment des bureaux pour lesquels l’impact à long terme du télétravail n’a pas encore été pleinement mesuré. Les actifs liés aux infrastructures bénéficient souvent d’une protection contre l’inflation intégrée aux contrats de construction et d’exploitation dans le cas d’installations telles que des écoles, des hôpitaux, des routes à péage ou des pipelines.

La qualité avant tout

Lorsque les marchés vont bien, les investisseurs misent sur la croissance. Lorsqu’ils sont mal orientés, ils cherchent surtout à s’en sortir. Dans ce dernier cas, il n’y a pas de formule miracle, et les investisseurs risquent de devoir endurer une mauvaise passe à court terme. La volatilité est néanmoins source d’opportunités et, si les valorisations boursières ont chuté, cela fait suite à des années de croissance. L’environnement exige une analyse rigoureuse, mais les entreprises de qualité, faiblement endettées, dotées de modèles d’entreprise solides et de produits uniques (valeur de rareté) peuvent prospérer même dans un contexte d’inflation en hausse.

Les investisseurs ont également tout intérêt à respecter quelques bonnes pratiques en matière d’investissement. Investir à intervalles réguliers sur le marché permet d’acquérir des titres à différents niveaux de prix, et ainsi de lisser le retour sur investissement dans le temps. Ils doivent par ailleurs éviter de se laisser influencer par la rumeur du marché, en d’autres termes éviter de paniquer lorsque les marchés chutent ou de tenter de repérer de manière opportuniste les bonnes affaires au milieu de la morosité ambiante. Mieux vaut adopter une stratégie et s’y tenir.

Face à l’environnement volatil, les actifs susceptibles de performer et ceux en difficulté ne seront plus les mêmes. L’environnement est sans aucun doute plus complexe et plus exigeant pour les investisseurs que pendant la majeure partie de la dernière décennie, mais des opportunités devraient encore se présenter.

La perspective d’une « stagflation », qui associe croissance anémique et forte inflation, est plus inquiétante encore et les ménages, les gouvernements et les entreprises y sont peu préparés.