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22 novembre 2024

Capital naturel: comprendre la vraie richesse d’un pays

L’augmentation de la production économique d’un pays, également appelée « produit intérieur brut » (PIB), a progressivement été assimilée à un indicateur de sa croissance économique. Toutefois, de plus en plus d’observateurs soulignent le caractère imparfait de cette mesure, notamment car elle ne tient pas compte des ressources consommées pour générer l’activité économique, ni de la durabilité de cette dernière sur le long terme. C’est là qu’intervient le concept de capital naturel.

Le capital naturel, ou capital environnemental, est un terme utilisé pour décrire la valeur économique des ressources naturelles. Il fait référence à la valeur des écosystèmes, de la biodiversité et même des « services » que ceux-ci nous apportent, tels que la pollinisation, la filtration de l’eau ou encore la production alimentaire. La valeur économique de la nature est souvent négligée, mais la pureté de l’air, de l’eau et de la nourriture ainsi que la prévisibilité des régimes climatiques sont indispensables au bon fonctionnement de la société et des entreprises, et donc à la création de richesse. La destruction irréfléchie d’« actifs » tels que les forêts, les rivières et les sols a un coût économique et environnemental considérable.

Le cabinet de services professionnels Deloitte estime que plus de la moitié du PIB mondial dépend, modérément ou largement, de la nature. En d’autres termes, la perte d’actifs naturels représente une menace de 44.000 milliards de dollars pour l’économie mondiale. Même les entreprises qui ne sont pas directement touchées pourraient en subir les conséquences par le biais de leurs chaînes d’approvisionnement ou du bien-être de leurs employés.

Si la croissance du PIB ou des bénéfices est souvent considérée comme un critère de réussite économique, elle risque d’être de courte durée si elle se fait au détriment des ressources naturelles d’un pays.

Avantage éphémère

Si la croissance du PIB ou des bénéfices est souvent considérée comme un critère de réussite économique, elle risque d’être de courte durée si elle se fait au détriment des ressources naturelles d’un pays. Une entreprise chimique peut accroître ses bénéfices à court terme en déversant ses déchets dans un cours d’eau plutôt que de les éliminer correctement, mais cela finira par affecter l’approvisionnement en eau local. Le nivellement de mangroves ou la destruction de zones humides peut apporter un avantage économique à court terme, mais prive les communautés côtières d’une protection vitale contre les ondes de tempête, les inondations ou les coulées de boue. Dès lors que le capital naturel joue un rôle clé dans le maintien d’un environnement sain et durable, il est crucial de l’évaluer correctement afin, d’une part, de prendre des décisions économiques éclairées et, d’autre part, de mesurer le coût des activités potentiellement nuisibles à l’environnement.

Le monde est encore loin d’avoir trouvé le bon équilibre. La déforestation, la pollution et la destruction de la biodiversité portent atteinte au capital naturel et, partant, à la croissance économique durable ainsi qu’à la qualité de vie sur le long terme. Dans un rapport intitulé The Economics of Biodiversity publié en 2021, un groupe d’experts mandaté par le Trésor britannique dresse le constat suivant: « Il est de plus en plus évident qu’au cours des dernières décennies, l’humanité a dégradé son bien le plus précieux, à savoir la nature, à un rythme effréné. Parallèlement, le niveau de vie moyen dans le monde est aujourd’hui plus élevé que jamais. »

« Cependant, pour en arriver là, nous avons endommagé la biosphère au point que nous lui demandons des ressources qu’elle n’est absolument pas en mesure de nous offrir de manière durable. Cela ouvre des perspectives particulièrement sombres pour nos descendants et suggère que nous avons vécu à la fois la meilleure et la pire des époques. »

La nature peut-elle être mesurée?

Cette prise de conscience a suscité un intérêt accru pour la mesure du capital naturel. « Dans les pays où le PIB est obtenu en consommant ou en dégradant progressivement des ressources naturelles, par exemple du fait de la surpêche ou de l’appauvrissement des sols, la richesse totale diminue », indiquent les analystes de Deloitte. « Un tel phénomène n’est pas incompatible avec une augmentation du PIB, mais il compromet la prospérité future. »

De plus en plus d'études examinent l'empreinte naturelle des pays et des entreprises.

De plus en plus d’études examinent l’empreinte naturelle des pays et des entreprises.

De plus en plus d’études examinent l’empreinte naturelle des pays et des entreprises, dans l’optique d’identifier les éléments les plus dépendants de la nature au sein d’une chaîne de valeur. Le groupe activiste Capitals Coalition a créé le Natural Capital Protocol, un cadre de gestion des risques visant à évaluer les risques et à aider les décideurs politiques à prendre de meilleures décisions.

À l’instar des informations sur le climat élaborées par la Taskforce for Climate-related Financial Disclosures (TCFD) et adoptées dans le monde entier, le Conseil de stabilité financière a mis sur pied en 2020 la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), afin d’aider les entreprises et les institutions financières à prendre les mesures urgentes qui s’imposent pour arrêter et inverser la perte de nature.

De nombreuses entreprises ont par ailleurs développé leurs propres instruments, en se fondant sur un cadre de pertes et profits environnementaux, afin de quantifier leur impact sur le monde naturel. Le spécialiste du luxe français Kering a ainsi mis au point un outil qui prend en compte les émissions de carbone, l’utilisation et la pollution de l’eau, l’utilisation des sols, la pollution de l’air et les déchets dans l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement et de ses opérations pour les traduire en une valeur monétaire pouvant être utilisée en support aux prises de décisions.

Résilience des écosystèmes

Pour Sir Partha Dasgupta, président du groupe d’experts à l’origine du rapport The Economics of Biodiversity et professeur d’économie à l’Université de Cambridge, il serait souhaitable que ce type d’indicateurs se généralise: « Les économistes savent qu’il est sage de répartir leurs investissements sur un large éventail d’activités, dans l’optique de résister aux aléas susceptibles d’affecter un actif donné. »

« Il en va de même dans le monde naturel. Si les conditions changent, que ce soit sur le plan climatique ou à la suite d’un nouveau développement dans la compétition perpétuelle entre les espèces, l’écosystème dans son ensemble est capable d’y faire face et de prospérer. » La conclusion générale de son groupe d’experts est que la nature doit être traitée comme un actif et que le capital naturel doit être inclus dans les mesures nationales de santé économique.

Outre la réduction des émissions de carbone, une meilleure utilisation du capital naturel permet également de protéger l’ensemble de l’écosystème dont dépend la prospérité économique. Cela englobe des concepts tels que l’économie circulaire, qui vise à passer d’une culture du jetable à un système dans lequel la réparation et la réutilisation sont intégrées au processus de conception et de fabrication.

Restaurer la biodiversité

Des initiatives sont en outre lancées pour restaurer les écosystèmes et la biodiversité. La réhabilitation des forêts et la réduction de la pollution, par exemple, permettent respectivement d’améliorer le captage du carbone et de redynamiser la faune et la flore. La biodiversité bénéficie désormais de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique ainsi que de conférences dédiées réunissant les parties au traité, dont la plus récente, la COP15, s’est tenue à Montréal en décembre 2022. Elle joue par ailleurs un rôle de plus en plus important dans les stratégies de gestion d’investissement.

Toute croissance fondée sur la destruction de ressources naturelles comporte inévitablement des limites.

Qu’est-ce que cela implique pour les investisseurs? L’investissement est une discipline de long terme. Les gestionnaires de fonds recherchent bien souvent des entreprises capables de générer en permanence une croissance solide sur un horizon de cinq, dix ou même vingt ans, en oubliant que toute croissance fondée sur la destruction de ressources naturelles comporte inévitablement des limites. En revanche, les entreprises à même de démontrer qu’elles utilisent les ressources naturelles de manière durable sont mieux placées pour enregistrer une croissance pérenne sur le long terme.

À mesure que les décideurs politiques prennent conscience du coût économique de l’épuisement des ressources naturelles, les entreprises qui détruisent des habitats, polluent des rivières ou émettent du carbone sont de plus en plus susceptibles de voir leurs activités soumises à des sanctions ou à des contraintes opérationnelles ou de se trouver dans l’impossibilité d’obtenir les financements nécessaires à leur exploitation ou à leur expansion, autant de risques auxquels les investisseurs n’ont aucun intérêt à s’exposer.

L’intégration du capital naturel dans les calculs de la croissance économique donne une image plus précise et tridimensionnelle de la richesse dans son sens le plus large et, surtout, de son caractère durable sur le long terme, un facteur qui devrait constituer une priorité pour tous les investisseurs.

Outre la réduction des émissions de carbone, une meilleure utilisation du capital naturel permet également de protéger l’ensemble de l’écosystème dont dépend la prospérité économique.