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22 décembre 2024

Biais cognitifs dans l’investissement

Dans l’investissement, le facteur « humain » devrait pouvoir être source de valeur ajoutée. Après tout, les êtres humains devraient prendre des décisions rationnelles, fondées sur les informations à leur disposition. Il s’avère toutefois que monsieur Tout-le-Monde est sujet à divers biais inconscients qui, s’ils ne sont pas contrôlés, peuvent le conduire à prendre des décisions d’investissement désastreuses.

Ces biais cognitifs sont des raccourcis mentaux qui peuvent nous être très utiles au quotidien, mais qui s’avèrent pénalisants en matière d’investissement. S’il est impossible de les éliminer définitivement, en prendre conscience peut limiter leurs effets sur la performance et le rendement. Il est crucial, pour les investisseurs, qu’ils soient particuliers ou professionnels, de comprendre et de gérer ces biais afin d’éviter toute répercussion négative sur leur portefeuille.

Les biais cognitifs les plus évidents se manifestent dans la façon dont les investisseurs utilisent les informations. Par exemple, ils ont tendance à penser que les informations sont utiles et que, partant, disposer de davantage d’informations est encore plus utile. En réalité, l’utilisation que les investisseurs font de l’information peut mener à de mauvaises décisions. En effet, ils peuvent se concentrer sur les mauvaises données, les interpréter de manière erronée, les simplifier à outrance ou leur accorder trop d’importance.

Ces informations peuvent également entraîner une confiance excessive chez l’investisseur qui croit qu’en en possédant un volume important, il est forcément bien équipé pour prendre les meilleures décisions. Mais un trop-plein peut embrouiller plutôt qu’informer. Les investisseurs sont submergés: chiffres sur le PIB, données manufacturières, analyses des commentateurs financiers, etc. La plupart de ces renseignements sont inutiles et éclipsent ce qui importe réellement.

L’exemple le plus parlant est la décision des investisseurs d’acheter ou de vendre un titre sur la base des fluctuations à court terme du prix de l’action. Ils peuvent très bien avoir acquis des actions de la société sur un horizon de long terme, il n’en reste pas moins qu’ils sont soudainement nerveux au vu de la volatilité du cours. En règle générale, les investisseurs vendent alors lorsque les marchés sont au point bas, et achètent au point haut – soit la formule idéale pour perdre de l’argent à long terme.

Un bon investisseur se doit d’envisager les conséquences possibles d’une erreur éventuelle de sa part et de tester la robustesse de sa thèse d’investissement, en tenant compte des pour et des contre.

Sélectivité

Parallèlement, les investisseurs peuvent se montrer trop sélectifs s’agissant des informations qu’ils utilisent, un phénomène connu sous le nom de biais de confirmation. Ils choisissent uniquement les données qui confirment leurs opinions, plutôt que de remettre en question leurs points de vue et jugements. Ce faisant, ils risquent de ne pas pouvoir évaluer correctement les risques d’investissement, dans la mesure où ils occultent inconsciemment les opinions divergentes.

Un bon investisseur se doit d’envisager les conséquences possibles d’une erreur éventuelle de sa part et de tester la robustesse de sa thèse d’investissement, en tenant compte des pour et des contre afin de se faire une idée éclairée des bienfaits d’un placement.

Les investisseurs tendent également à accorder trop d’importance à des événements passés. Actuellement, de nombreux portefeuilles sont construits selon l’hypothèse que l’avenir ressemblera au passé, que les obligations et les actions évolueront en sens inverse ou que les emprunts d’État protégeront le capital des investisseurs en période de baisse.

Cette attitude, combinée à une propension à fermer les yeux sur des phénomènes tels que l’impact sur les marchés de l’assouplissement quantitatif ou des taux d’intérêt planchers ces dix dernières années, peut résulter en un portefeuille qui a été conçu pour résister ou prospérer dans des conditions de marché qui en réalité n’existent pas.

Biais rétrospectif

Ce que l’on appelle le biais rétrospectif peut également inciter les investisseurs à mal interpréter leur performance passée. Les gestionnaires de fonds pèchent souvent par leur inclination à s’accorder tout le mérite de leurs réussites tout en attribuant leurs échecs à des événements de marché imprévisibles.

Il est pourtant indispensable, pour investir avec succès, de revenir sur ses erreurs et d’étudier pourquoi elles se sont produites et comment les éviter à l’avenir. S’il ne tient pas compte du biais rétrospectif, un investisseur peut perdre en objectivité lorsqu’il évalue les décisions passées, et amoindrir sa capacité à apprendre de ses erreurs. Les marchés évoluent sans cesse, et les investisseurs doivent pouvoir s’y adapter.

Non loin du biais rétrospectif, l’on retrouve également l’ancrage, un comportement selon lequel les investisseurs font trop confiance à une information passée. Par exemple, ils pourraient penser que, parce que l’action Unilever s’est toujours bien comportée, cette belle évolution se poursuivra à l’infini. Mais cette hypothèse pourrait se révéler erronée ; le vent peut toujours tourner pour les différentes entreprises, et les données passées ne doivent jamais éclipser la réalité présente.

Les dangers des prévisions

Le monde de l’investissement adore établir des prévisions. C’est sa façon de prouver ses compétences et connaissances supérieures. Il est toutefois rare que des projections soient revues a posteriori et mises en cause. Et c’est une bonne chose pour ceux qui se spécialisent dans le domaine, dès lors que des études scientifiques ont prouvé à plusieurs reprises que les êtres humains étaient de piètres prévisionnistes.

Bloomberg a par exemple découvert que les tentatives de la Banque d’Angleterre et de ses équipes d’économistes hautement qualifiés visant à prédire le taux d’inflation correctement s’avéraient plutôt médiocres.

S’il est tentant d’avancer que les hypothèses de la Banque d’Angleterre ou le raisonnement de ses économistes sont inappropriés, le problème tient plus probablement au fait que l’inflation est une question hautement complexe et que son niveau futur est très difficile, voire impossible, à prévoir – non que cela empêche les investisseurs et les économistes de s’y essayer.

La communauté d’investissement accorde une grande importance aux prévisions, et les utilise souvent comme base d’une stratégie d’investissement, dès lors que la fonction d’un gestionnaire consiste à utiliser son jugement pour positionner un portefeuille en fonction du monde tel qu’il le perçoit.

Le besoin de flexibilité

Il devient alors plus difficile de déceler les changements ou les erreurs et de s’y adapter, et c’est là où le bât blesse. Les investisseurs doivent avoir conscience qu’une prévision, même dans des domaines qui sont plus aisément appréciables que l’inflation, n’est pas gravée dans le marbre. Ils doivent donc disposer d’une certaine flexibilité et faire preuve d’humilité pour pouvoir réagir aux événements à mesure qu’ils se présentent, même si ceux-ci remettent en cause la validité de leur scénario initial.

Le problème d’excès de confiance est intégré à ce phénomène: les êtres humains tendent à entretenir la conviction qu’ils ont raison et reconnaissent difficilement leurs erreurs, ce qui peut mener à des analyses et des décisions peu judicieuses.

Citons également le problème de la pensée de groupe, qui intervient dans de nombreux domaines de notre vie et a été identifié comme un des catalyseurs majeurs de la crise financière mondiale survenue il y a dix ans. De trop nombreux cadres semblables dans des sociétés similaires sont enclins à penser de la même manière, et à exclure les opinions et idées qui ne rentrent pas dans le moule.

Dans le monde des affaires, la pensée de groupe entraîne une mauvaise gestion des risques, et explique en partie pourquoi les gestionnaires s’intéressent désormais de plus en plus aux avantages éventuels des entreprises qui disposent de cadres, de conseils d’administration et de personnel diversifiés.

Instinct grégaire

D’ordinaire, le comportement grégaire des investisseurs les rassure. Ce faux sentiment de sécurité explique à lui seul presque toutes les bulles spéculatives de l’histoire, de la crise de la tulipe à la bulle internet. Par définition, ce comportement est par ailleurs peu susceptible de faire de quelqu’un un investisseur à succès.

Il est probable de voir les investisseurs acquérir des titres lorsque tout le monde se rue sur la classe d’actifs et que les prix sont à leur sommet, et de vendre lorsque les autres participants au marché broient du noir. Baron Rothschild, membre de la célèbre famille bancaire au 18e siècle, exhortait les investisseurs à « acheter quand il y a du sang dans les rues, même si le sang vous appartient », et son conseil est toujours valable aujourd’hui.

Pour se détacher des autres, un investisseur doit s’assurer de la rigueur de ses propres analyses, qu’elles concernent l’économie dans son ensemble, le marché ou des entreprises individuelles, au risque dans le cas contraire de se laisser aller à un excès de confiance.

Nul investisseur ne peut effacer totalement les biais cognitifs, mais il faut rester conscient de leur existence et mettre en place des mesures au sein du processus d’investissement pour limiter leurs effets.