Comprendre la tokenisation immobilière
L’immobilier a toujours constitué un moyen judicieux de diversifier ses placements. Avec l’évolution des technologies et l’apparition de la blockchain, des techniques innovantes d’investissement ont vu le jour, offrant ainsi de nouvelles perspectives. C’est notamment le cas de la tokenisation immobilière. De quoi s’agit-il? Comment fonctionne-t-elle? Pour vous, myLIFE vous partage l’interview d’un expert luxembourgeois de la tokenisation immobilière, Monsieur Scheuren.
La tokenisation est un processus qui consiste à représenter un actif réel (un bien, une propriété, un droit, etc.) dans le monde numérique. Plus précisément, il s’agit d’inscrire un actif et les droits qui y sont associés sur un «token» (un jeton en français) qui sera enregistré et échangeable sur une blockchain. Ce thème a été abordé de manière générale dans le contenu Qu’est-ce que la tokenisation? C’est désormais sur la tokenisation immobilière que nous allons nous concentrer.
Pour nous éclairer sur le sujet, nous avons rencontré l’expert local Jean-Paul Scheuren, co-fondateur et CEO de la société LetzToken.
Bonjour Monsieur Scheuren, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre activité?
Bonjour, je suis le co-fondateur et le CEO de la société LetzToken qui est spécialisée dans la tokenisation. C’est un «one stop shop», un guichet unique, dont le but est de faciliter et d’optimiser l’investissement dans des actifs du monde réel, comme l’immobilier, en utilisant la technologie de la blockchain. Pour cela, nous avons développé la plateforme BlocHome qui tokenise des biens immobiliers et permet ainsi de démocratiser l’accès à la propriété immobilière.
La tokenisation immobilière est une forme de tokenisation. Elle consiste à diviser un actif du monde réel, un bien immobilier par exemple, en plusieurs tokens.
En quoi consiste la tokenisation immobilière?
La tokenisation immobilière est une forme de tokenisation. Elle consiste à diviser un actif du monde réel, un bien immobilier par exemple, en plusieurs tokens. Chaque token est une représentation digitalisée d’une partie d’un bien ou d’un portefeuille de biens. Il peut, par exemple, prendre la forme d’une action donnant droit à une fraction de la propriété ou représenter une dette.
Chez BlocHome, concrètement, une société de titrisation va acheter un immeuble. Elle sera enregistrée au cadastre comme propriétaire de cet immeuble. Elle va ensuite déterminer le nombre de parts sociales qu’il faudra émettre pour couvrir l’achat du bien et les frais liés. Si l’ensemble représente 7.990.000€ et qu’une action vaut 1€, elle va émettre 7.990.000 actions qui seront représentées par autant de tokens dans la blockchain.
Ces derniers pourront ensuite être achetés par des investisseurs qui deviendront alors actionnaires de l’entreprise propriétaire de l’immeuble et pourront bénéficier d’une part des revenus locatifs générés par le bien immobilier.
Pourquoi passer par l’intermédiaire d’une société?
C’est la société qui est inscrite comme propriétaire de l’immeuble, car la plupart des cadastres dans le monde ne considèrent pas les tokens enregistrés sur la blockchain comme une représentation officielle de la propriété d’un bien. Il faut qu’elle soit inscrite sur un registre foncier pour être reconnue. C’est pour cela que l’on passe par l’intermédiaire d’une société et par le véhicule de la titrisation.
Avec la tokenisation, il n’y a pas besoin d’un syndic ou d’une assemblée générale de co-propriétaires. Les possesseurs de tokens sont inscrits comme actionnaires sur le registre des actionnaires et la société est dirigée par le conseil d’administration. Toutes les décisions sont prises par les actionnaires au cours d’assemblées générales (acquisition de nouvelles propriétés, équipements, etc.).
L’investisseur est soumis à un contrôle KYC/AML afin de prévenir les activités illégales et s’assurer qu’il réponde bien aux obligations règlementaires.
Expliquez-nous comment cela fonctionne?
Avant tout, il faut s’inscrire sur la plateforme qui tokenise les biens immobiliers. Pour cela, l’investisseur est soumis à un contrôle KYC/AML (ndlr: «Know your Customer» pour la connaissance du client et «Anti-Money Laundering» pour la lutte contre le blanchiment d’argent) afin de prévenir les activités illégales et s’assurer que chaque investisseur réponde bien aux obligations règlementaires. L’identité va être vérifiée ainsi que le lieu d’habitation, l’origine de ses fonds, etc. C’est comme un onboarding bancaire classique, mais en digital.
L’objectif est de créer l’identité digitale de l’investisseur. Une fois celle-ci vérifiée et validée, il devient possible de décider du montant que l’investisseur souhaite investir et d’acheter des tokens sur la plateforme en fonction.
Sur BlocHome, par exemple, un token est égal à 1,60€ et il est possible d’investir à partir de 1.000€ ou alors de prendre un abonnement de 50€ par mois. Dans ce dernier cas, l’investisseur construit progressivement son patrimoine, tout en bénéficiant des revenus locatifs générés par la propriété.
Par la suite, l’acquéreur pourra continuer à se procurer des tokens afin d’accroître son patrimoine immobilier, décider de les vendre sur le marché secondaire ou encore les convertir en euros.
Comment peut-on acheter ou vendre des tokens?
Les opérations d’achat et de vente se font sur les plateformes de tokenisation spécialisées, comme BlocHome. La communauté des investisseurs accède aux opportunités d’investissement et peut directement acquérir ou vendre des tokens. Les transactions sont automatiquement réalisées sur la blockchain grâce à ce qu’on appelle un «smart contract».
Il s’agit d’un algorithme qui définit les conditions dans lesquelles les opérations doivent se dérouler: modalités d’achat et de vente des tokens, versement des revenus locatifs, etc. Toutes les actions sont exécutées de manière autonome sur la blockchain, sans intervention humaine. Cela réduit le nombre d’intermédiaires, limite les coûts et diminue considérablement le risque d’erreurs.
Un marché secondaire pour échanger ses tokens
En décembre 2024, LetzToken a lancé le tout premier marché secondaire européen «peer-to-peer» (de pair à pair) pour les actifs réels tokenisés (RWA ou Real World Assets). Les investisseurs peuvent désormais échanger directement leurs tokens entre eux sur la blockchain, sans avoir besoin de passer par l’émetteur ou un acteur tiers pour valider la transaction. Cette évolution va rendre les échanges encore plus rapides, accessibles et liquides. |
Ces opérations sont-elles sécurisées?
Oui, notamment grâce à la technologie blockchain qui est utilisée derrière la tokenisation. C’est une forme de base de données décentralisée, transparente et sécurisée. Elle permet d’enregistrer les données, de les échanger et d’accéder à un historique non modifiable des opérations. Elle est partagée en réseau sur plusieurs ordinateurs et gérée par les utilisateurs qui s’assurent que les opérations effectuées sont saines. Grâce à elle, les transactions sont sécurisées et on peut connaître le nombre de tokens en circulation, suivre les échanges, savoir combien de tokens sont en possession des investisseurs, etc.
La propriété devient accessible à un public plus large, puisqu’il est désormais possible de n’acheter qu’une portion d’un bien immobilier avec un capital réduit.
Quels sont les avantages de la tokenisation immobilière?
Je vois plusieurs avantages par rapport à un achat immobilier classique.
Tout d’abord, la tokenisation démocratise l’investissement immobilier. La propriété devient accessible à un public plus large, puisqu’il est désormais possible de n’acheter qu’une portion d’un bien immobilier avec un capital réduit. Cela permet, par exemple, d’accéder à des biens haut de gamme auparavant réservés à de grands investisseurs. Vous pouvez ainsi bénéficier de revenus locatifs, proportionnels à votre investissement, sans avoir à s’occuper de la gestion locative.
La liquidité des actifs est un autre point positif. Comme ce sont des tokens qui sont échangés et non le bien immobilier lui-même, les actifs sont plus liquides et facilement transférables, puisqu’il suffit de passer par une plateforme pour vendre ou acheter des tokens à la communauté.
Cela simplifie les démarches et baisse les coûts. En accédant à la propriété sans avoir à passer par un agent immobilier ou un notaire, on diminue le nombre d’intermédiaires, ce qui accélère les procédures et réduit les frais.
La fiscalité est avantageuse, particulièrement pour les résidents luxembourgeois. Puisqu’il s’agit d’actions, la plus-value de la vente des tokens n’est en principe pas soumise à l’impôt, à condition notamment d’être en possession des tokens depuis plus de 6 mois et de détenir moins de 10% du capital de la société, ce qui est généralement le cas. Il est ici recommandé de prendre conseil auprès d’un expert sur le sujet pour plus de précisions sur le régime qui s’applique à chaque situation.
La tokenisation permet enfin d’avoir, au moins en théorie, accès à un marché international, puisqu’il est possible d’investir partout dans le monde sans avoir besoin de se déplacer. C’est ainsi un moyen supplémentaire de diversifier ses placements et de diminuer son exposition au risque.
Le principal point d’attention est de s’assurer du sérieux du porteur du projet qui propose la tokenisation immobilière.
Quelles sont les limites ou les risques liés à la tokenisation immobilière?
Il n’y en a pas! Non, je plaisante. Le principal point d’attention est de s’assurer du sérieux du porteur du projet qui propose la tokenisation immobilière. Il faut un audit sérieux pour vérifier les procédures mises en place et s’assurer que le registre des actionnaires représente bien ce qui est inscrit dans la blockchain. Les erreurs humaines restent toujours possibles, mais elles sont très rares, car les opérations sont automatisées.
La complexité de la tokenisation est un aspect qui est souvent sous-estimé. Les notions de blockchain, token ou smart contract, demeurent difficilement accessibles au grand public. Il faut trouver un opérateur qui maîtrise la technologie et crée des interfaces qui vont permettre de vulgariser et de simplifier l’accès à toutes les opérations. L’objectif est que tout le monde puisse investir. Cela doit être aussi naturel que de consulter ses comptes bancaires ou de faire un virement.
Le troisième volet porte sur l’aspect règlementaire. Il y a beaucoup de nouvelles règlementations qui sont en train de voir le jour. Elles visent à contrôler les émetteurs et à sécuriser les opérations. Cependant, des aspects ne sont pas encore 100% clairs, notamment concernant le traitement fiscal de certains revenus ou la législation applicable selon la nature des tokens. Avec BlocHome, par exemple, la règlementation MiCA (Markets in Crypto-Assets) ne nous concerne pas, car nous fonctionnons comme un fonds d’investissement. Nous sommes soumis à la loi sur les prospectus, dans les mêmes conditions qu’un fonds. Il faut donc être très attentif aux évolutions législatives dans ce domaine et s’adapter.
N’y a-t-il pas un danger lié à l’utilisation de ces technologies?
Selon moi, le risque technologique est assez faible. Un «wallet», une sorte de portefeuille digital où sont stockés les tokens, est en principe très sécurisé. Avec le système que nous utilisons, en cas de perte ou de vol de son téléphone et donc de l’accès à son wallet, nous avons des preuves que la personne est propriétaire de tokens. Il y a un suivi grâce à la blockchain. D’autant qu’aujourd’hui, plus personne n’utilise la blockchain sans une vérification rigoureuse de l’identité. On peut ainsi détruire les anciens tokens perdus et en émettre de nouveaux. C’est l’avantage du «security token» et du standard que nous utilisons. Tout est suivi et sécurisé.
Pour terminer, avez-vous un conseil à donner à ceux qui souhaiteraient se lancer?
Mon principal conseil, c’est de bien vérifier le sérieux et la crédibilité de l’entité qui propose les tokens. Il faut toujours se demander qui sont les individus ou entités derrière le projet? Dans quel pays sont-ils situés? Sont-ils contrôlés et par qui? Les projets sont-ils viables? Avant de s’engager, il est impératif de se renseigner sur Internet, de chercher des avis, afin de vérifier que l’entité est fiable. Demander l’avis d’experts est fortement recommandé si vous êtes néophytes.
Pour plus d’informations sur le sujet, n’hésitez pas à consulter nos contenus: Qu’est-ce que la tokenisation?; Comprendre la blockchain; Cryptomonnaie, Bitcoin: comment ça marche?