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25 avril 2024

Les moteurs comportementaux des marchés actions

En 2017, les marchés actions américains ont poursuivi une hausse entamée après la crise financière qui avait éclaté neuf ans plus tôt. Selon certains indicateurs, les actions n’avaient jamais été aussi onéreuses : Amazon était par exemple valorisée à environ 180x ses bénéfices annuels. Mais les investisseurs en voulaient toujours plus. Selon l’Efama (l’association européenne du secteur des fonds), ils ont injecté environ 190 milliards EUR dans des OPCVM au troisième trimestre 2017. Début 2019, les marchés sont 20 % moins chers environ, mais les acheteurs se sont volatilisés. Au troisième trimestre 2018, les investisseurs n’ont engagé que 3 milliards EUR dans des fonds. Si l’on compare ce chiffre avec les soldes de janvier, les investisseurs pouvaient y acquérir à un moindre prix le pantalon qu’ils désiraient l’an dernier, mais n’en veulent plus. Quelle explication apporter à ce comportement apparemment contradictoire ?

Des instincts bien ancrés

Le problème est que de nombreux investisseurs sont soumis à des biais comportementaux qui influencent leurs choix. Un tel comportement est inné, mais plus pertinent lorsqu’il s’agit de survivre dans les plaines d’Afrique que pour dégager des rendements sur le marché boursier. Il nous encourage à suivre le troupeau, à nous en tenir à ce que nous savons et à prendre des décisions rapides reposant sur des informations limitées. S’ils ne sont pas maîtrisés, ces biais sont souvent à l’origine de mauvaises décisions d’investissement.

La vraie question n’est pas de savoir s’il y a lieu de s’inquiéter de ces problèmes, mais de déterminer si ces craintes sont correctement intégrées dans les prix des actions.

À l’heure actuelle, les investisseurs affirmeraient certainement que l’économie mondiale est en perte de vitesse et que les perspectives sont incertaines, raison pour laquelle ils rechignent à investir dans des actions. Assurément, les motifs d’inquiétude sont nombreux : conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, confusion autour du Brexit, et instabilité politique en Italie, autant de thèmes susceptibles de miner la croissance économique mondiale. Toutefois, la vraie question n’est pas de savoir s’il y a lieu de s’inquiéter de ces problèmes, mais de déterminer si ces craintes sont correctement intégrées dans les prix des actions. Après un recul de 20 %, ces thèmes sont mieux reflétés dans les cours des actions qu’il y a un an.

Une certaine compréhension de la finance comportementale est utile pour décrypter ces comportements irrationnels et s’assurer qu’ils ne nuisent pas aux rendements des investisseurs dans le temps. Il s’agit d’un domaine en plein essor : les premiers universitaires ayant abordé le sujet n’avaient identifié qu’une poignée de caractéristiques, mais la liste en inclut désormais plus de 200, de la « positivité liée à l’âge » à « l’effet de halo ». Toutefois, un nombre limité de ces biais suffisent à expliquer l’essentiel des comportements que l’on observe au quotidien sur les marchés.

Instinct grégaire et bulles

Le comportement grégaire est l’un des plus facilement reconnaissables sur les marchés. La popularité d’un investissement rassure instinctivement les investisseurs, comme on le voit dans les secteurs de la technologie et des cryptomonnaies.

À court terme, les prix des actifs augmentent et la fête bat son plein. Il est toutefois difficile de prédire quand elle s’arrêtera, mais cette étape est toujours aussi douloureuse : un château de cartes peut rapidement s’effondrer lorsque les investisseurs perdent confiance. Le prix du bitcoin, par exemple, avait chuté de quelque 80 % début 2019 par rapport au pic atteint en décembre 2017. Ce phénomène sous-tend chaque bulle, de l’engouement pour la tulipe au 17e siècle aux Pays-Bas au boom des sociétés informatiques à la fin des années 1990.

Même les gérants les plus renommés, malgré toute l’étendue de leurs compétences et leurs analyses approfondies, ne feront probablement le bon choix que dans 60 % des cas.

Triomphe et débâcle

Les investisseurs sont enclins à l’excès de confiance si un investissement porte ses fruits, qui n’a d’égal que leur grande morosité en cas de performances décevantes. Ils ont tendance à se rappeler leurs triomphes et débâcles ; leurs réussites les poussent à penser à tort qu’ils disposent de compétences supérieures. Il peut s’agir d’une sorte de biais rétrospectif qui nous fait croire que nous avons correctement prévu les événements passés, bien que les humains soient rarement capables de prédire l’avenir de manière fiable.

Les catastrophes peuvent rendre les investisseurs extrêmement pessimistes, les faire douter de leurs capacités et les inciter à croire qu’ils s’en sortent mieux en conservant leurs liquidités. Mais en vérité, personne ne prend systématiquement les bonnes décisions. Même les gérants les plus renommés, malgré toute l’étendue de leurs compétences et leurs analyses approfondies, ne feront probablement le bon choix que dans 60 % des cas. Les marchés sont tout simplement imprévisibles. Pire encore, une morosité excessive peut empêcher les investisseurs de tirer parti de la croissance à long terme des marchés actions en adoptant une allocation d’actifs trop prudente.

Le biais de confirmation est étroitement associé : les investisseurs interprètent les preuves de manière à soutenir leurs convictions, écartant souvent celles qui les contredisent. Si une société est florissante pendant longtemps et a permis aux investisseurs d’engranger des sommes importantes, ils pourraient ignorer les signaux d’alerte, notamment des problèmes sur un marché clé ou le mauvais démarrage d’un nouveau produit. Au contraire, ils recherchent tout élément suggérant que l’investissement dans cette société est encore intéressant, comme une équipe de direction expérimentée et un historique de dividendes réguliers. Ce type de prise de décision irrationnelle est susceptible d’aveugler les investisseurs.

Les investisseurs soumis à un biais d’ancrage ont tendance à conserver des placements qui ont perdu de la valeur car ils ont basé leur estimation de la juste valeur sur le prix initial et non sur les fondamentaux de la société.

Ancrage et pensée de groupe

D’autres caractéristiques comportementales susceptibles d’influencer les prix des actions incluent l’ancrage, qui amène les individus à accorder une importance disproportionnée à une information initiale (comme le prix d’achat de l’actif) dans leurs décisions ultérieures. Les investisseurs soumis à un biais d’ancrage ont tendance à conserver des placements qui ont perdu de la valeur car ils ont basé leur estimation de la juste valeur sur le prix initial et non sur les fondamentaux de la société.

Les analystes financiers peuvent également jouer un rôle dans l’ancrage, car leurs efforts de prédiction des bénéfices futurs d’une société influencent collectivement le prix des actions. Si les bénéfices d’une entreprise sont supérieurs aux prévisions des analystes, ses actions auront tendance à augmenter, tandis que des résultats décevants peuvent entraîner une baisse. Une société pourrait ainsi voir ses revenus croître de 50 %, mais le cours de ses actions chuterait très probablement si les marchés avaient anticipé une augmentation de 100 %.

Si un analyste détecte quelque chose d’inhabituel concernant une entreprise, par exemple un nouveau produit dont les ventes sont largement ignorées ou sous-estimées, il pourrait décider de se détacher du lot et fournir des prévisions qui s’écartent considérablement de celles du reste du marché. Toutefois, étant donné qu’il est souvent difficile de rompre avec le consensus, les analystes peuvent avoir tendance à ajuster quelque peu leurs opinions, ralentissant potentiellement l’effet des évolutions positives sur les prix des actions.

Les illusions de l’histoire

Les investisseurs peuvent également accorder une importance excessive à la valorisation historique des actifs : si l’Eurostoxx 50 n’est pas descendu en deçà des 1.810 points au cours de la dernière décennie, il n’y a pas de raison qu’il le fasse aujourd’hui. En réalité, rien n’empêche l’Eurostoxx de chuter en dessous de ce niveau s’il est dicté par des centaines de milliers de décisions d’investissement individuelles, mais les investisseurs ont tendance à être rassurés à tort par l’histoire et n’évaluent pas correctement les risques.

Il existe d’autres biais, certains plus excentriques que d’autres. L’« homme au marteau » considère tout problème comme un clou ; l’effet du chiffre rond voit les investisseurs privilégier les chiffres ronds, plus faciles à analyser ; l’effet Ikea signifie quant à lui que les personnes ont tendance à octroyer une valeur excessivement élevée aux choses qui leur ont demandé un effort personnel.

Ces caractéristiques ne disparaîtront jamais totalement, mais les connaître peut contribuer à minimiser un éventuel impact négatif sur la composition et la performance du portefeuille d’un investisseur. La prise de décisions d’investissement ne peut être entièrement rationnelle, mais l’identification des biais inconscients permet indéniablement d’effectuer de meilleurs choix.