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18 décembre 2024

Parole d’expert : « Sell in May and go away »

  Fredrik Skoglund myINVEST 5 juin 2019 2180

Fredrik Skoglund, CIO à la BIL, et son équipe reviennent sur les événements marquants de mai 2019 et s’interrogent sur leurs implications pour les investisseurs.

« Sell in May and go away » (« vendez en mai et partez ») est un dicton boursier bien connu, qui repose sur la sous-performance historique de certaines actions au cours des six mois « estivaux » qui commencent en mai, par rapport aux six mois « hivernaux » allant de novembre à avril. Ce dicton viendrait à l’origine d’un vieil adage anglais qui, en l’espèce, dit : « vendez en mai, partez, et revenez à la Saint Léger ». Ce proverbe fait référence à l’exode des aristocrates, des marchands et des banquiers qui avaient coutume de quitter la moiteur de Londres pour la fraîcheur des campagnes pendant les mois d’été. L’allusion à la Saint Léger renvoie quant à elle aux « St Leger’s Stakes », une course hippique organisée à la mi-septembre.

On ne fait évidemment pas d’investissement en se fiant au folklore et aux proverbes accrocheurs. Pourtant, cette année, sous la pression des récents événements, principalement en lien avec le contexte commercial, nous avons, effectivement, vendu en mai en ramenant notre exposition aux actions à « sous-pondérer ». Difficile de dire encore combien de temps exactement nous resterons à l’écart du marché, mais il faudra d’abord que nous disposions d’éléments indiquant que les négociations commerciales ne déboucheront pas sur une détérioration durable du contexte macroéconomique.

Le 5 mai a marqué un changement de cap pour notre allocation après un tweet ravageur du président des États-Unis, Donald Trump, qui a pris les marchés au dépourvu. Pour l’anecdote, les événements de la journée ont précisément commencé (à défaut de s’achever) par une course de chevaux. Donald Trump s’est, en effet, mis en jambe sur Twitter en s’insurgeant contre la disqualification du cheval « Maximum Security », arrivé premier de la course du Kentucky Derby. Il a ensuite dégainé un autre tweet marquant un net dérapage des négociations commerciales avec la Chine au moment même où les deux superpuissances semblaient sur le point de conclure un accord.

Le président américain a annoncé de nouveaux tarifs douaniers sur les importations chinoises (avec un relèvement des droits de douane de 10 % à 25 % sur 200 milliards de dollars de marchandises) en clamant que la Chine était revenue sur certains de ses engagements. La Chine a rapidement riposté en relevant ses droits de douane (de 5 % à 15 %) sur 60 milliards de dollars de biens importés des États-Unis. Les marchés actions ont accusé le coup, l’indice VIX de la volatilité est monté en flèche et les obligations d’État « core » ont gagné du terrain. La dépréciation du yuan a particulièrement déstabilisé les investisseurs, envahis par la crainte de ce qui pourrait advenir si la Banque populaire de Chine (PBOC) autorisait sa devise à faiblir davantage, cet épisode faisant ressurgir le spectre de la dévaluation de 2015.

Plus tard au cours du mois, les États-Unis ont imposé une interdiction aux entreprises américaines de faire des affaires avec la société chinoise Huawei. En réponse, la Chine a stoppé ses achats de soja aux États-Unis et menacé de cesser d’exporter des terres rares. Le 31 mai, les risques commerciaux se sont encore intensifiés lorsque Trump a annoncé encore de nouveaux de droits de douane, cette fois envers le Mexique. À partir du 10 juin, une taxe de 5% sera appliquée, augmentant de 5% chaque mois jusqu’à atteindre 25% en octobre si le gouvernement mexicain ne prend pas de mesures pour arrêter le flux d’immigrants non autorisés.

Les données récentes mettent en lumière l’impact de cette guerre commerciale et les véritables cassures qu’elle génère dans le cycle par la perte d’élan dans les secteurs manufacturiers.

Aux États-Unis, la production industrielle s’est contractée de 0,5 %, pour la troisième fois en quatre mois.

Aux États-Unis, la production industrielle s’est contractée de 0,5 %, pour la troisième fois en quatre mois. Cette baisse a été généralisée, même si elle est principalement due au ralentissement enregistré par les machines et les véhicules motorisés (tous deux en baisse de 2,6 %), confirmant une perte de dynamisme du secteur manufacturier. La décélération du secteur manufacturier s’explique, en grande partie, par la guerre commerciale et les incertitudes qui en découlent : l’activité manufacturière a diminué de 0,5 % en avril après avoir reculé dans les mêmes proportions en janvier et en février. Elle n’est restée stable qu’en mars lorsqu’une trêve semblait proche. Nous estimons, cependant, que cette faiblesse est temporaire. L’économie américaine continue de se distinguer, portée par la vigueur de l’investissement et de la consommation intérieurs, la demande domestique bénéficiant de la situation extrêmement tendue du marché du travail aux États-Unis (le chômage s’élève à 3,6 %, son plus bas niveau depuis 1969). La prévision de croissance du PIB « GDPNow » de la Fed d’Atlanta a été récemment révisée en hausse, à 1,3%, pour le deuxième trimestre, sur la base d’informations plus positives concernant la construction de logements. Le consensus des estimations établi par Bloomberg pour le PIB annuel s’établit à 2,4 %, et sans nouvelle détérioration, la croissance devrait se stabiliser, selon nous, aux alentours de 2 %, voire au-delà.

La Chine fait face à deux problèmes majeurs : une détérioration de l’accès au crédit domestique et un ralentissement de la demande étrangère.

En Chine, les ventes de détail, la production industrielle et l’investissement ont accusé un recul plus marqué qu’escompté en avril, après avoir bondi en mars. Le pays fait face à deux problèmes majeurs : une détérioration de l’accès au crédit domestique et un ralentissement de la demande étrangère. Le secteur privé est à l’origine du ralentissement de l’investissement et de la production en Chine, conséquence des incertitudes liées à la demande étrangère. Pékin a la chance de disposer d’une importante boîte à outils dont l’État a les moyens de faire usage, et y est disposé, pour stimuler son économie. Les pouvoirs publics sont allés jusqu’à acheter des actions chinoises pendant la débâcle boursière afin de limiter la casse.

Avec la guerre commerciale, la zone euro fait un pas de plus vers une récession (dans le sillage du secteur allemand des exportations). Heureusement pour la région, l’enquête « Section 232 » lancée par les États-Unis sur la sécurité automobile a été reportée de six mois, car la mise en place de tarifs douaniers sur l’automobile aurait pu être la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour le secteur européen des exportations. Reste que le secteur manufacturier est mis à rude épreuve – notamment en Allemagne. Les commandes industrielles restent déprimées (principalement dans l’automobile et l’ingénierie) en raison de la demande intérieure et étrangère. Les enquêtes PMI indiquent que la confiance des entreprises s’est sensiblement détériorée dans le secteur manufacturier – l’indice PMI ne s’élève qu’à 44,4 en Allemagne, tandis que celui de la zone euro atteint 47,9. Le seuil des 50 marque la limite entre contraction et expansion. La guerre commerciale a moins pesé sur les secteurs non manufacturiers et les indices PMI des services continuent de signaler une expansion de l’activité. Pour autant, même les bonnes nouvelles qui ressortent de ces enquêtes (redressement de la consommation en France, dû aux baisses d’impôts consécutives au mouvement des Gilets jaunes, et investissements en Espagne) ne suffisent pas à faire oublier le fort ralentissement du secteur manufacturier. Dans l’immédiat, l’Europe a un atout : des marchés du travail robustes, qui soutiennent la consommation, mais, là encore, ce coup de pouce n’est pas suffisant pour contrebalancer l’impact de l’instabilité politique et le climat macroéconomique général. Le consensus établi par Bloomberg pour la croissance du PIB a été révisé en baisse, à 1,1 %, pour 2019. Nous ne sommes pas optimistes au vu des risques baissiers relatifs au ralentissement du secteur manufacturier et au contexte politique (Brexit, défiance à l’égard du budget italien…).

Si la guerre commerciale devait continuer à freiner l’activité manufacturière mondiale, nous commencerions alors à réévaluer la santé des marchés du travail, qui représentent les principaux piliers de la consommation privée. Pour le moment, nous n’en sommes pas là, et nous continuons de penser que la croissance mondiale peut encore se poursuivre, mais à pas comptés.

Étant donné que la saison des résultats est terminée, que les banques centrales font preuve de patience et que l’incertitude persiste quant à la conclusion (ou non) d’un accord commercial, le potentiel de hausse des actifs à risque est limité et le risque baissier élevé. La crainte que Donald Trump remonte sur ses grands chevaux et la volatilité qui pourrait en résulter nous ont contraints à prendre moins de risques, et à réduire notre exposition aux actions à « sous-pondérer » dans notre allocation de mai.