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22 décembre 2024

Que penser du Do-it-Yourself en investissement ?

Les études sont formelles, nous attachons plus de valeur à ce que nous construisons nous-mêmes: un gâteau fait maison, un meuble qu’il a fallu montrer, voire la constitution de son portefeuille d’investissement. Le Do-It-Yourself est-il pour autant une bonne idée lorsqu’il s’agit de vos finances? Avoir construit son propre portefeuille constitue-t-il une force ou est-ce au contraire de nature à biaiser votre jugement?

La grande majorité d’entre nous possède des constructions en Lego, un meuble Ikea ou encore un origami. Il s’agit là de trois exemples qui illustrent la tendance du DIY, comprenez le do-it-yourself. Plus qu’une mode, le DIY constitue une véritable lame de fond sur laquelle surfent les marques. La raison? Les études scientifiques ne cessent de démontrer que les consommateurs valorisent ce sentiment de fierté qui accompagne le fait de réaliser eux-mêmes quelque chose de leurs propres mains.

Mais ce sentiment positif a sa contrepartie. Si nous nous attachons davantage aux biens que nous construisons, nous avons aussi une perception biaisée de leur véritable valeur. En économie comportementale, ce biais a été appelé l’effet Ikea à cause de cette célèbre chaîne de magasins de meubles suédois qui a compris la force de l’argument marketing du DIY.

Si nous nous attachons davantage aux biens que nous construisons nous-mêmes, nous avons aussi une perception biaisée de leur véritable valeur.

Cet effet a été documenté pour la première fois en 2011 par le célèbre économiste comportemental Dan Ariely et ses collègues. Ils ont non seulement pu démontrer l’existence de l’effet Ikea, mais également sa persistance dans une grande variété de domaines.

Sans être théorisé, l’effet Ikea était déjà exploité par les marques dans les années 1950, lorsque les préparations pour gâteaux instantanés ont été introduites. Ces préparations n’ont pas immédiatement connu le succès car leur cœur de cible, les fameuses « ménagères », trouvaient le travail trop simple pour obtenir le résultat souhaité. Même si le gâteau était jugé appétissant et savoureux, le processus n’était pas assez gratifiant pour la personne qui réalisait la recette. La solution trouvée par les fabricants fut d’augmenter le niveau d’implication lors des étapes de préparation, par exemple par l’ajout manuel d’un œuf. Résultat : l’implication personnelle était suffisante pour que le succès soit au rendez-vous et il persiste jusqu’à aujourd’hui!

L’effet Ikea, entre sentiment d’efficacité et justification de l’effort

Nous avons le besoin psychologique de nous sentir compétents et capables de mener à bien les tâches qui nous sont confiées. Dès lors, nous survalorisons ce qui nous renvoie une bonne image de nous-même. Et c’est exactement ce qui se passe avec le DIY. Lorsque nous construisons nous-même un meuble ou préparons un gâteau, cela renforce non seulement notre sentiment d’efficacité personnelle, mais cela nourrit aussi le sentiment de contrôler notre vie. Voilà pourquoi nous avons tendance à considérer les objets que nous assemblons comme ayant beaucoup plus de valeur qu’ils n’en ont en réalité.

Cette surestimation de la valeur est aussi liée au mécanisme de justification de l’effort. Puisque nous passons du temps et que nous nous donnons de la peine à faire quelque chose, nous aimons croire que le fruit de notre travail a beaucoup de valeur, même si ce n’est pas toujours vrai.

Lorsque nous passons du temps et que nous nous donnons de la peine à faire quelque chose, nous aimons croire que le fruit de notre travail a beaucoup de valeur.

Sur le fond, il n’y a rien de mal à vouloir faire les choses par soi-même et à être fier de son travail. Le tout est de savoir rester lucide sur le résultat et de rester vigilant vis-à-vis des potentielles exploitations commerciales de cet effet Ikea. En effet, celui-ci s’associe volontiers avec des biais cognitifs tels que l’excès de confiance, la survalorisation, l’attachement démesuré et l’excès d’optimisme.

Ici, les fidèles lecteurs de myLIFE auront certainement reconnu des ingrédients explosifs qui peuvent conduire un investisseur non averti à commettre des erreurs d’investissement sous le coup d’émotions vives. Faut-il pour autant s’interdire de constituer soi-même son portefeuille d’investissement?

L’effet Ikea en investissement

S’il est utile de savoir reconnaître l’effet Ikea lorsqu’on achète un produit pour être certain de faire une bonne affaire, il est important de savoir si cet effet peut nous jouer des tours en matière d’investissement. Cela d’autant plus qu’il n’a jamais été aussi facile de créer son propre portefeuille. L’auto-gestion en investissement est non seulement devenue très populaire auprès de jeunes investisseurs grâce au numérique, mais aussi auprès des moins jeunes qui ont changé leurs habitudes depuis les confinements lors de la crise du Covid. Faut-il s’en inquiéter?

Des chercheurs se sont penchés sur l’impact de l’effet Ikea en investissement auprès de ceux qui investissent par eux-mêmes. Une étude publiée en 2022 a ainsi analysé si créer son portefeuille d’investissement favorise l’émergence d’un effet Ikea et, si oui, quel pouvait en être l’impact sur les décisions d’investissement. L’étude a été conduite auprès d’un échantillon de 500 participants de tous âges et équilibré en matière de sexes.

Le résultat de l’expérience a effectivement montré que les participants ayant auto-construit leur portefeuille y étaient plus attachés que vis-à-vis d’un portefeuille similaire qui leur aurait été fourni. Toutefois les chercheurs n’ont pas trouvé de différences significatives dans les évaluations des portefeuilles auto-construits par rapport aux portefeuilles non-auto-construits. La robustesse des résultats a même permis de conclure qu’il n’existe pas d’effet Ikea économiquement significatif pour les portefeuilles financiers. Les participants n’ont pas de croyances biaisées sur la qualité fondamentale d’un portefeuille auto-construit (c’est-à-dire le rendement et le risque attendus) et il n’y a pas d’effet psychologique lié au phénomène de DIY pouvant conduire à la surévaluation de ce portefeuille.

L’auto-construction augmente bien l’attachement subjectif des investisseurs au portefeuille, mais ne biaise pas les évaluations et les décisions de trading.

L’auto-construction augmente bien l’attachement subjectif des investisseurs au portefeuille, mais ne biaise pas les évaluations et les décisions de trading. Surprenant au premier abord, ce résultat s’explique par le fait qu’un portefeuille financier n’est pas un bien comme les autres.

Un moyen intangible plutôt qu’une fin qui en jette

Un portefeuille financier est intangible, ce qui le rend plus difficile à utiliser pour démontrer sa compétence aux autres. Contrairement à un meuble bien en évidence dans votre salon ou à un gâteau posé sur la table, il y a peu d’effet de démonstration de sa compétence avec un portefeuille financier.

De plus, les portefeuilles financiers constituent rarement une fin en soi et font partie de la catégorie des biens dits intermédiaires et utilitaires. Il s’agit d’un moyen en vue d’obtenir ou de concrétiser autre chose. Or, il est établi que ce type de bien à visée utilitaire au service d’un autre objectif favorise une prise de décision plus rationnelle chez les individus.

Sur cette base, on peut penser que les portefeuilles auto-construits peuvent constituer un outil approprié pour permettre aux investisseurs de personnaliser leurs investissements. Ils pourraient même stimuler l’apprentissage et accroître le taux de participation des investisseurs individuels sur les marchés boursiers sans induire pour autant une mauvaise évaluation temporaire. Un attachement accru vis-à-vis de son portefeuille d’investissement auto-construit n’est pas négatif en soi. Deux bémols toutefois avant de tirer des conclusions hâtives:

    • l’expérience a été menée auprès d’une population variée mais tous les participants avaient déjà une expérience préalable de l’investissement.
    • il existe de nombreux autres biais cognitifs susceptibles d’influencer la prise de décision d’un investisseur et il existe beaucoup de bonnes raisons pour se faire accompagner par des professionnels.

Choisir le DIY pour investir n’est pas pour tout le monde. Avant de vous décider, il est utile de considérer quelques arguments pour ou contre. Nous vous recommandons également de prendre le temps d’en parler avec votre banquier pour bien évaluer les options possibles.

Le DIY en investissement : les pour et contre

Construire soi-même son portefeuille d’investissement est envisageable si vous:

    • avez un bon niveau d’éducation financière ou êtes prêt à investir du temps pour apprendre;
    • considérez votre portefeuille comme un moyen et pas une fin en soi, faute de quoi vous risquez d’être biaisé dans votre perception de sa valeur réelle;
    • vous n’êtes pas sujet à un excès de confiance ou d’optimisme et avez conscience des biais cognitifs susceptibles d’influencer vos prises de décision;
    • vous savourez le résultat de vos propres efforts.

Construire soi-même son portefeuille d’investissement n’est pas recommandé si vous:

    • souhaitez exhiber votre portefeuille comme une nouvelle voiture (l’effet de démonstration brouille le jugement);
    • êtes novice dans le monde de l’investissement;
    • ne souhaitez pas investir du temps et des efforts pour apprendre.

En tout état de cause, il est de bon sens de se faire accompagner par des professionnels tant que vous ne disposez pas de la maîtrise et de l’expérience nécessaire pour gérer seul vos investissements.