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26 décembre 2024

Taux d’intérêt bas : les investisseurs face à des choix cornéliens

La Banque centrale européenne (BCE) a mis un terme à sa politique d’assouplissement quantitatif en décembre dernier mais, pour le moment, il n’y a pas de signe de hausse des taux d’intérêt. Alors que les taux d’intérêt sont extrêmement bas depuis près d’une décennie et le resteront probablement dans un avenir proche, les investisseurs doivent en prendre acte. Voici quelques aspects à considérer dans un tel environnement.

Les banques centrales ont ramené leurs taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas en réaction à la crise financière mondiale. Les responsables politiques cherchaient alors à éviter une crise économique sans précédent en encourageant l’investissement, l’emprunt et la consommation. Dans ce contexte, une nette diminution des taux d’intérêt était une mesure d’urgence évidente. Néanmoins, la reprise économique est restée poussive d’un point de vue historique et, en l’absence de remontée de l’inflation, ces mesures d’urgence ont été maintenues.

La BCE a commencé à réduire ses achats d’obligations dans le cadre de sa politique d’assouplissement quantitatif vers le milieu de l’année 2018, à un moment où la croissance économique était manifestement synchronisée et les perspectives prometteuses. Depuis lors, une liste d’incertitudes sans précédent a plombé le potentiel de croissance en Europe. L’Allemagne flirte avec la récession, l’Italie peine depuis bien longtemps à enregistrer une croissance significative et, en France, le mouvement des gilets jaunes a pesé sur l’activité économique.

Dans le même temps, l’économie mondiale connaît des difficultés grandissantes. La Chine est confrontée à la menace d’un relèvement des droits de douane sur ses exportations vers les États-Unis tandis que l’impact des baisses d’impôts opérées début 2018 sur l’économie américaine commence à s’atténuer. La reprise en Europe risque donc d’avorter.

Par conséquent, les taux d’intérêt de l’euro ne devraient pas augmenter de sitôt. Actuellement, les marchés s’attendent à ce que la BCE commence à relever ses taux directeurs vers la fin de l’année ou début 2020 mais cette perspective pourrait s’éloigner si la conjoncture économique devait encore se dégrader. Une récente étude publiée par la BCE suggère que sa marge de manœuvre en matière de hausse des taux directeurs s’annonce étroite dans les années à venir. Il semble que les investisseurs devront tenir compte de la persistance de faibles taux d’intérêt dans leur stratégie.

Pourquoi les taux bas appellent un changement d’approche

En temps normal, le fait pour un investisseur de garder son argent sur un compte épargne peut engendrer un coût d’opportunité. Son capital aurait pu fructifier plus vite sur le marché actions. Toutefois, s’il privilégie la sécurité des instruments monétaires, les conséquences à long terme sont limitées : le capital augmentera malgré tout dans une certaine mesure. Si l’inflation est de 2 % et qu’un compte épargne offre une rémunération de 4 %, dans l’ensemble, l’investisseur bénéficiera d’un taux de rendement réel de 2 % par an.

À l’heure actuelle, la BCE vise une inflation de 2 %. À ce niveau d’inflation, la valeur réelle de 10.000 € de liquidités placées sur un compte épargne versant un taux d’intérêt nul tomberait à 8.170 € en l’espace de 10 ans.

Néanmoins, lorsque les taux d’intérêt sont nuls ou légèrement supérieurs à 0 %, l’équation s’en trouve modifiée : si l’inflation est de 2 % mais que l’épargne n’est rémunérée qu’à 1 %, les investisseurs perdent chaque année 1 % de la valeur de leur épargne à long terme. Sur 20 ou 25 ans, cela peut aboutir à une érosion significative de la valeur de leurs actifs. À l’heure actuelle, la BCE vise une inflation de 2 %. À ce niveau d’inflation, la valeur réelle de 10.000 € de liquidités placées sur un compte épargne versant un taux d’intérêt nul tomberait à 8.170 € en l’espace de 10 ans.

Cela change la stratégie d’un investisseur car il doit prendre des risques pour obtenir un rendement significatif. À cet égard, les liquidités deviennent un placement inintéressant. Et pourtant, c’est ce que les gens privilégient. L’Allemagne est un bon exemple : c’est l’un des pays d’Europe qui affiche le taux d’épargne le plus élevé aux côtés du Luxembourg et de la Suède. En moyenne, les Allemands épargnent environ 17 % de leur revenu annuel.

Malheureusement, une bonne partie de cet argent est placée sur des comptes épargne qui ne rapportent rien tandis que les Allemands comptent parmi les Européens qui détiennent le moins d’actifs financiers. Lorsque la rémunération des liquidités est si faible, l’épargne d’un pays connaît une érosion constante.

Les obligations comme solution de rechange ?

La faiblesse des taux d’intérêt à court terme pèse également sur les rendements obligataires à plus long terme, qui sont traditionnellement une source importante de revenus pour les investisseurs. Les investisseurs qui doivent faire fructifier leur épargne devront s’intéresser à d’autres placements, généralement plus risqués, pour obtenir la même rémunération que celle obtenue autrefois grâce aux obligations. Par exemple, le rendement des emprunts d’État allemands à 10 ans est actuellement de 0,22 %, un taux inférieur à celui de la plupart des comptes épargne. Par conséquent, le Bund n’est plus une source de rendement viable.

Pour faire fructifier leur argent, les investisseurs doivent se tourner vers les marchés actions. Cela a fait grimper les cours des actions assimilables à des obligations (celles d’entreprises aux bénéfices et aux flux de trésorerie réguliers, capables de verser un dividende stable). Ces entreprises affichent désormais une valorisation relativement élevée mais leur cours de bourse peut être vulnérable à un changement d’environnement de taux d’intérêt.

Les entreprises classées parmi celles en forte croissance (notamment celles issues du secteur technologique) sont très prisées des investisseurs depuis quelques années. Un petit groupe de géants technologiques à l’échelle mondiale, basés pour la plupart aux États-Unis, a vu ses cours de bourse augmenter substantiellement, les investisseurs recherchant la croissance à tout prix.

Il y a là une certaine logique : à un moment où la croissance économique est relativement faible, les entreprises qui continuent à croître plus vite que leurs concurrentes ont davantage de valeur. Ce constat alimente les comparaisons avec les années 1960 et le début des années 1970. À l’époque, une période de croissance molle du PIB avait attiré des investisseurs américains vers les « nifty fifty », une poignée d’entreprises en forte croissance, américaines pour la plupart, cotées à la bourse de New York. Cela dit, il faut admettre qu’une comparaison entre le Netflix d’aujourd’hui et le Polaroïd des années 1970 est trop simpliste.

Lors des turbulences qui ont secoué les marchés en octobre 2018, les marchés d’actions et d’obligations ont chuté à l’unisson, ce qui est contraire à la théorie traditionnelle de l’investissement.

La structure du portefeuille devient plus importante

Le marché baissier des années 1970 a fini par avoir raison des « nifty fifty » et, dans l’environnement actuel, même les géants technologiques sont vulnérables à des facteurs de risque qui évoluent. Les obligations semblent vulnérables à un rebond des taux d’intérêt mais il en va de même pour un certain nombre d’actions.

Lors des turbulences qui ont secoué les marchés en octobre 2018, les marchés d’actions et d’obligations ont chuté à l’unisson, ce qui est contraire à la théorie traditionnelle de l’investissement. Les obligations sont censées protéger un portefeuille lorsque les marchés actions sont en proie à la volatilité.

Tout ceci oblige les investisseurs à repenser la structure de leur portefeuille et à réévaluer les sources de risque. Un portefeuille mixte comportant à la fois des actions et des obligations n’offrira pas forcément aux investisseurs la protection qu’ils recherchent. Cette situation plaide pour l’inclusion de classes d’actifs non traditionnelles, ainsi que pour une allocation d’actifs prudente. Se peut-il aussi qu’elle illustre à la perfection le fait que les corrélations ne sont pas constantes et que la diversification a besoin de plus de temps pour produire ses effets positifs ?

Plus que jamais, les investisseurs doivent faire preuve de diligence en prenant les précautions d’usage : diversification mûrement réfléchie, sélection rigoureuse des actifs et bonne connaissance des risques.

Les taux d’intérêt bas ont changé le paysage de l’investissement. Ils obligent de nombreux investisseurs à prendre plus de risques que prévu afin d’obtenir le même niveau de rendement. Dans la mesure où cet environnement n’est guère susceptible de changer à court terme, les investisseurs doivent faire preuve de diligence en prenant les précautions d’usage : diversification mûrement réfléchie, sélection rigoureuse des actifs et bonne connaissance des risques.