Travailler avec un proche ?
« Est-il raisonnable d’embaucher mon frère comme directeur financier de l’entreprise ? N’est-ce pas trop risqué de mélanger le travail et la famille ? » Telles sont les questions que se pose Simon, un entrepreneur du Grand-Duché, sur l’opportunité de travailler avec un proche.
Plantons le décor
L’entreprise de Simon se développe à vitesse grand V. Les affaires vont bien, il faut maintenant embaucher pour permettre la croissance de cette société qu’il a démarré seul dans son garage il y a à peine 10 ans. Sa priorité numéro 1 : embaucher un directeur financier. Ça tombe bien, son grand frère ambitionne de le devenir dans une entreprise qui l’emploie depuis plusieurs années.
A première vue, Simon se dit que s’il pouvait profiter de l’expertise de son frère et lui offrir cette évolution de carrière, c’est faire d’une pierre deux coups ! La famille, ça compte pour lui et il est très proche de son frère. Oui mais voilà, si le tableau semble parfait, Simon a bien conscience que « c’est plus compliqué que ça… »
Embaucher un membre de la famille ou un ami de longue date, c’est peut-être une fausse bonne idée. Entretenir des rapports professionnels directs avec son frère pourquoi pas. Mais comment gérer le déséquilibre hiérarchique avec son grand frère se demande Simon ? Ce n’est pas comme s’ils étaient deux collaborateurs au service d’un même employeur, ce qui serait bien plus commode.
Il ne nous appartient pas de dire à Simon quoi faire. En revanche, nous pouvons aborder avec lui les éléments qu’il devrait considérer.
Éviter le sentimentalisme
La première chose à considérer est de ne pas embaucher un proche pour de mauvaises raisons comment la compassion ou la volonté de faire plaisir. Pour Simon, engager son frère pour seul motif que c’est un membre de la famille serait la plus mauvaise idée. Ce n’est pas le cas, son frère dispose d’une véritable légitimité pour le poste envisagé.
Il ne faut pas embaucher un proche parce que c’est un proche, mais parce que c’est un professionnel compétent.
Il ne faut pas embaucher un proche parce que c’est un proche, mais bien pour ses compétences professionnelles. Cela semble évident, mais si ce postulat n’est pas respecté, l’équilibre futur risque d’être précaire, notamment si les choses ne se passent pas bien. Seules les compétences professionnelles, hard et soft skills, légitiment une collaboration et sa rupture. Pas les seuls liens familiaux. Il n’y a rien de mal à préférer un proche qui a votre confiance parmi plusieurs candidats, tant que ce choix se fait « à compétences égales ou similaires ».
Soit, cette question ne se pose pas pour Simon puisque son frère Martin est tout à fait compétent pour occuper ce poste. Poursuivons la réflexion…
Être capable d’éviter la confusion des genres
En cas d’embauche, Martin et Simon devront résoudre ensemble un problème délicat : réussir à éviter la confusion des genres, c’est-à-dire maintenir des barrières claires entre les sphères professionnelles et privées. Qui est assis à table pendant la pause-déjeuner, un frère ou un collaborateur ? Les repas de famille sont-ils des moments opportuns pour parler des dossiers brûlants en cours ? Et que dire de toutes les informations dont Simon dispose sur la vie privée de Martin ? Doit-il faire comme s’il les ignorait et ne rien dire si Martin se fait porter pâle le jour même où il fait changer le carrelage de sa cuisine ?
Comment rester objectif vis-à-vis de quelqu’un proche de nous ? Comment exercer une autorité hiérarchique neutre avec une personne dont on partage beaucoup de sa vie privée ? Comment redevenir le petit frère en famille, lorsque l’on a exercé la fonction de supérieur hiérarchique toute la semaine ? Pire encore, comment licencier un membre de sa famille si cela devait s’avérer nécessaire ? Ou comment le féliciter s’il le mérite sans craindre que les autres collaborateurs y voient du favoritisme ?
Il n’existe pas de recette miracle pour éviter la confusion des genres. C’est une discipline qu’il faut s’imposer au quotidien en acceptant que, selon les périodes, les frontières se déplacent un peu. Si cette discipline est au-dessus de vos forces ou de celles de votre proche, réfléchissez bien avant d’envisager une collaboration !
Argent et sentiments, un couple explosif
Qui dit relation professionnelle, dit forcément question financière. N’en faisons pas mystère, l’argent est souvent source de conflits ou de frustrations dans la sphère professionnelle comme dans la sphère privée. Alors imaginez si ces deux sphères s’entremêlent.
Pour les deux intéressés, des rancœurs et des rancunes peuvent très vite apparaître. L’issue étant que la frustration rencontrée au niveau de la sphère professionnelle n’affecte petit à petit la sphère privée… au point de détruire les deux si une solution n’est pas trouvée. L’échec serait donc professionnel et personnel. On imagine mal pire scénario pour Simon.
Pour éviter cet écueil autant que possible, Simon doit avoir une vision claire sur le package qu’il est prêt à consentir pour son futur directeur financier, indépendamment de la personne retenue. De même, Martin ne doit pas fixer ses demandes en fonction de son frère, mais selon ce qu’il pense pouvoir exiger pour la fonction à laquelle il prétend. Sur cette base, un terrain d’entente est possible ou non.
Au Luxembourg, les exemples de saga entrepreneuriales familiales sont nombreux, dans plusieurs domaines d’activités.
Les exemples de succès
Simon est un entrepreneur solide qui a la tête sur les épaules. Son succès le démontre et il décide d’aborder la question avec un peu de recul, en regardant justement comment les choses se passent dans son réseau professionnel, au sein des entreprises qui ont fait le pari de travailler en famille. Des PME florissantes de la région ou du pays, aux multinationales bien connues, nombreuses sont les entreprises qui, non seulement se sont constituées à partir d’un schéma familial, mais poursuivent leur développement depuis plus de 100 ans selon cette structure. Au Luxembourg, les exemples de saga entrepreneuriales familiales sont nombreux, dans plusieurs domaines d’activités.
Simon se dit que ces entreprises familiales ont sans doute connu des épisodes difficiles liés à cette structuration particulière. Mais le fait qu’elles existent encore, et même qu’elles progressent toujours à partir d’un schéma d’organisation familial montre bien que c’est possible. De ces rapports familiaux (cela vaut pour des rapports amicaux aussi) mêlés au travail, elles ont su tirer le meilleur parti.
Les liens entretenus avec un proche peuvent sublimer le travail, dans un climat de confiance que deux collaborateurs « lambda » n’atteindront jamais.
Il n’y a pas que des inconvénients à travailler avec des proches se dit Simon ! Le type de lien que l’on entretient avec ces êtres chers peut sublimer le travail, aider à aller plus loin, dans un climat de confiance que deux collaborateurs « lambda » n’atteindront jamais.
Une deuxième difficulté fait cependant tiquer notre ami, alors qu’il interroge des confrères autour de lui. Il s’aperçoit tout de même que ces entreprises familiales ont aussi vite compris qu’il fallait parfois confier certaines thématiques, comme les questions financières notamment, à un tiers, à un non-membre de la famille ou bien à un expert-comptable ou à un banquier. Ainsi, les décisions liées à ce sujet ne sauraient manquer d’objectivité. Or, le poste qu’il réserve à son frère est précisément celui de directeur financier…
Entre acting et mental twisting
Simon a bien conscience que les liens familiaux et les liens professionnels ne doivent jamais se trouver en confrontation. Il convient donc… de totalement les séparer. Logique se dit-il, mais comment faire concrètement ? Comment distinguer les rôles ? Les « rôles » est le mot juste car il s’agit de jouer la comédie d’une certaine façon. A l’image d’un acteur qui sait très bien que face à lui ce n’est pas Cyrano mais bien un autre acteur, Simon doit voir un collaborateur face à lui, et non son frère Martin.
Simon reconnait ensuite qu’une telle collaboration nécessite de faire preuve d’une certaine schizophrénie ou du moins d’une grande flexibilité mentale. De 9h à 19h, il sera un chef d’entreprise. De 19h à 9h et tous les week-ends, il sera un frère, un intime. Cette organisation devra être mise en place et acceptée par les deux, dès le départ.
Le lien familial qui l’unit à son frère ne mènera à aucun favoritisme, aucune tolérance supplémentaire. De la même façon, Simon s’attend à ce que son frère le traite lui-même comme un employeur lambda. Pour lui non plus ce n’est pas simple à imaginer d’ailleurs !
Au-delà de toutes dimensions affectives ou familiales, les décisions devront être prises pour le bénéfice de l’entreprise.
Au-delà de toutes dimensions affectives, les décisions devront être prises pour le bénéfice de l’entreprise et non de l’un ou de l’autre. L’entreprise devient un tiers symbolique régulateur devant lequel les deux frères se soumettent d’une certaine manière. Ainsi, c’est à la logique de l’entreprise qu’ils se soumettent et qui structurent leurs rapports pendant leur temps de travail.
Epilogue
Simon a tranché, il ne travaillera pas avec son frère. Il a préféré pour le moment continuer à gérer les finances de l’entreprise lui-même, appuyé par un comptable externe et les conseils experts de son banquier. La suite des événements a d’ailleurs « accompagné » sa décision, puisque son frère a finalement obtenu le poste convoité dans l’entreprise où il travaillait et est ravi. En revanche, Simon a embauché une cousine comme chef de projet et tout se passe très bien jusqu’ici. Comme quoi, une situation n’est pas l’autre.
Et vous, qu’auriez-vous fait à la place de Simon ? Travailler avec un proche, comme dans le cas de notre ami, est une décision qui mérite une réflexion approfondie. Chacun aura sa réponse à cette question, notre objectif ici était simplement de vous rendre attentif aux enjeux qui l’accompagnent.