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18 novembre 2024

Vers un lifestyle compatible avec l’objectif 1,5 °C

  Olivier Goemans myINVEST 19 avril 2022 2251

À l’heure actuelle, toutes les conversations concernant des modèles économiques sont focalisées sur la durabilité et la lutte contre le changement climatique. Mais soyons francs, nous faisons face à un énorme paradoxe. Si la durabilité équivaut à essayer de pérenniser quelque chose tout en protégeant l’environnement et en améliorant l’intégration sociale, nous essayons de faire durer ce qui est par nature non-durable : nos trains de vie et de nos modèles de production et de consommation.

Le concept des principes premiers

J’ai la chance d’intervenir comme conférencier à l’Université du Luxembourg dans un cours de stratégie bancaire. Lorsque je parle aux élèves de la transformation numérique des banques, j’aborde le concept des principes premiers. Pour illustrer celui-ci, j’aime citer l’exemple de Karl Benz, l’ingénieur allemand qui a breveté la première automobile produite en série en 1885. À l’époque, tout le monde tentait d’optimiser le modèle traditionnel de voiture tirée par des chevaux, en raisonnant par analogie. Karl Benz, au contraire, a raisonné selon le concept des principes premiers. Il a réduit le problème à l’aspect de ses composantes, revenant aux caractéristiques physiques du modèle et à sa fonction. Il s’est intéressé aux principes fondamentaux du transport et a réussi à appliquer les fonctions du moteur à combustion pour créer quelque chose de nouveau. Dès lors, les choses ont évolué rapidement : bien vite, les rues de New York se sont remplies de Ford T et les épiceries1 se sont mises à vendre de l’essence.

Comme l’a dit Elon Musk par ces mots désormais célèbres, « la façon normale dont nous vivons consiste à raisonner par analogie. Cela nous amène à faire les choses parce qu’elles ressemblent à ce qui a déjà été fait, ou parce que d’autres le font déjà. Avec les principes premiers, vous ramenez les choses aux vérités les plus élémentaires… puis vous reprenez votre raisonnement à partir de là. »

Les idées révolutionnaires, celles qui bousculent l’ordre établi, sont à la base des technologies les plus disruptives. Cela vaut aussi bien pour les technologies que pour les modèles économiques.

Les idées révolutionnaires, celles qui bousculent l’ordre établi, sont à la base des technologies les plus disruptives. Cela vaut aussi bien pour les technologies que pour les modèles économiques. Le principe premier de la stratégie de l’océan bleu2, qui cherche à créer et saisir les opportunités de marché encore inexploitées en sortant des sentiers battus, consiste à observer ses utilisateurs, et non ses concurrents. En termes de vente, cela revient ni plus ni moins à éviter les écueils de la myopie marketing.

De moins de pollution à plus de biodiversité

Si l’on se penche sur la question du changement climatique, tout le monde s’accorde à dire qu’il ne suffit pas simplement de « verdir » notre économie. Investir dans les énergies renouvelables est louable, mais il faut également cesser de subventionner l’économie du carbone et mettre en place des pratiques comptables saisissant l’intégralité des coûts, y compris les impacts externes (autrement dit, qui comptabilisent le prix des émissions de carbone).Il est avéré que la préservation du climat est intrinsèquement liée à celle de la nature et de la diversité du vivant : la biodiversité.

Les pratiques traditionnelles nous amènent au-delà du point de bascule des ressources de notre planète, dans un tragique voyage sans retour. Il est grand temps de mettre en place un paradigme de régénération. Nous devons faire en sorte que l’activité humaine soit de nouveau compatible avec les limites planétaires3, dans un « espace de fonctionnement sécurisé ». La plupart de ces changements nécessitent de repenser les processus existants et de les rendre à la fois circulaires, sobres en ressources et viables sur les plans économique et écologique.

Plutôt que de limiter les dommages causés à l’environnement, nous devons essayer de trouver des solutions qui le restaurent et le régénèrent

Il nous faut plus que des changements marginaux. Plutôt que de limiter les dommages causés à l’environnement, nous devons essayer de trouver des solutions qui le restaurent et le régénèrent. Par principe, nous devons nous servir de la nature comme modèle, apprendre d’elle pour créer par biomimétisme. La nature détient la clé d’un grand nombre de nos problèmes : la nourriture que nous mangeons, l’eau que nous buvons, les vêtements que nous portons, nos emplois, etc. Nous ne pouvons y parvenir qu’en nous appuyant sur un cadre aux fondements scientifiques, et en veillant à éviter les biais cognitifs analogiques qui nous portent à tendre vers le résultat que nous voulons, comme avec un test de Rorschach.

La biodiversité est en crise et nous sommes face à une urgence planétaire. Il est grand temps de repenser notre relation avec la nature. La croissance économique non-durable a des conséquences dévastatrices pour les écosystèmes menacés par le changement climatique, l’extinction des espèces et l’insécurité hydrique.

Prévenir les mauvaises allocations de capital

La préservation et la régénération de la nature s’imposent désormais rapidement comme la nouvelle frontière, non seulement du développement durable, mais aussi de la finance durable. La protection de la nature nécessite d’œuvrer à changer les attitudes, les comportements, les moyens d’existence et les trains de vie.

Si l’ambition est non seulement de stopper les financements des activités nuisibles, mais aussi d’investir proactivement dans une nouvelle génération de produits financiers dédiés à la nature, une mauvaise allocation du capital peut tout à fait être évitée grâce à l’analyse et l’intégration d’indicateurs d’impact sur la biodiversité.

Dans cette perspective, plusieurs étapes phares pour la biodiversité ont jalonné l’année 2021, grâce au consensus croissant des régulateurs, des gouvernements et des entreprises au sujet de l’importance du capital naturel. Au chapitre de ces réalisations a figuré la signature de la déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres à l’occasion de la COP26. Cet engagement a été signé par plus de 120 pays, qui ont tous promis de cesser et d’inverser d’ici 2030 toute activité dégradant les terres et contribuant à la déforestation. Soulignons également l’adoption de la déclaration de Kunming4, qui fixe l’agenda d’un Cadre mondial pour la biodiversité appelant à l’alignement des flux financiers avec les objectifs mondiaux en matière de biodiversité et au renforcement des investissements dans les solutions naturelles à la question climatique.

Alors que le Cadre mondial de la biodiversité impose aux entreprises « d’évaluer et de déclarer leurs dépendances et leurs impacts sur la biodiversité », « de réduire leurs impacts négatifs sur la biodiversité » et « de réduire les risques liés à la biodiversité pour les entreprises », il importe maintenant d’observer si, malgré son haut degré d’ambition, ce cadre est transposé dans des orientations moins vagues, plus précises et cohérentes permettant de calculer l’impact sur la biodiversité. Dans cette optique, espérons que des initiatives comme le Groupe de travail sur les informations financières liées à la nature (TNFD) connaissent le même succès que le TCFD (groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat) et facilitent l’évolution des normes afin que le secteur financier intègre les risques et les opportunités liés à l’environnement.

En tant qu’investisseurs, nous devons désormais apprendre à financer des solutions éco-vertueuses

Alors que les entreprises apprennent comment mesurer et déclarer leurs impacts sur la biodiversité, les sociétés de gestion d’actifs et les banquiers font aussi leurs classes sur la manière d’intégrer ces impacts dans l’évaluation des modèles économiques, des valorisations et des niveaux de solvabilité, ainsi que sur la divulgation transparente de leurs risques financiers liés au climat et à la nature. En tant que citoyens du monde, nous sommes en train de transformer nos trains de vie, nos habitudes et nos modèles de consommation. En tant qu’investisseurs, nous devons désormais apprendre à financer des solutions éco-vertueuses. Il est grand temps de cesser d’investir selon les vieux schémas destructeurs qui laisseront aux générations futures une planète dévastée. Investir dans l’avenir impose une finance verte, durable et régénératrice.


1 Avant les stations-service modernes, les conducteurs achetaient leur essence dans les pharmacies et les épiceries du coin, là où ils se fournissaient en kérosène pour les lampes du foyer.

2 Publié en 2004 dans sa version originale, Stratégie Océan Bleu est un ouvrage de W. Chan Kim et Renée Mauborgne, professeurs à l’INSEAD. Ses auteurs y avancent que sur un marché saturé, réussir durablement implique de créer des « océans bleus », autrement dit des nouveaux espaces non disputés et suffisamment matures pour être développés. Le monde des affaires s’est emparé de ce concept, des entreprises du monde entier esquivant les zones d’affrontement rouge sang de leurs concurrents afin de créer leur propre espace vierge, leur « océan bleu ».

3 Le concept de limites planétaires (mis au point par le Stockholm Resilience Centre) décline neuf seuils aux fondements scientifiques, en deçà desquels l’humanité peut continuer à se développer et à prospérer pour les générations à venir.

4 La déclaration de Kunming a été adoptée en octobre 2021 par plus de 90 pays lors du premier volet de la 15ème session virtuelle de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique. Celle-ci appelle ses signataires à généraliser la protection de la biodiversité dans leurs prises de décisions et à reconnaître l’importance de cette préservation dans les efforts de protection de la santé humaine.