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24 novembre 2024

Le net zéro et le secteur bancaire

Le monde devra redoubler d’efforts s’il veut atteindre ses objectifs climatiques. C’est la conclusion d’un rapport dressé récemment par le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Un rapport qui met aussi en avant les lacunes présentes dans les plans d’action climatique nationaux pour parvenir à maintenir le réchauffement climatique à maximum 1,5°C au-delà des niveaux préindustriels, conformément à l’objectif défini en 2015 par l’Accord de Paris. Le secteur bancaire a un important rôle à jouer afin d’aider les entreprises et les individus à atteindre leurs objectifs de zéro émission nette de gaz à effet de serre, fixés pour la plupart à l’horizon 2050.

Selon Simon Stiell, secrétaire exécutif de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques: « Les mesures prises par les gouvernements du monde entier pour éviter la crise climatique sont minimes. [Ces derniers] doivent non seulement convenir d’actions climatiques plus fortes, mais également afficher des plans concrets pour les mettre en œuvre. »

Alors que nombre de gouvernements s’inquiètent de plus en plus des coûts qu’engendrera la transition vers le net zéro pour leurs citoyens, M. Stiell prend le contrepied: « Il est grand temps de mettre en avant les avantages considérables qu’apporte dès aujourd’hui une action climatique plus audacieuse: multiplication des emplois, salaires accrus, croissance économique, opportunités et stabilité, pollution réduite et meilleure santé. » La démarche climatique s’accompagne d’importants bénéfices, mais les entreprises ont besoin d’une incitation pour pouvoir en profiter.

Il est grand temps de mettre en avant les avantages considérables qu’apporte dès aujourd’hui une action climatique plus audacieuse.

Les intentions sont bien là: 140 pays se sont fixé un objectif de zéro émission nette, couvrant 88% des émissions mondiales. Le problème réside dans la mise en œuvre. Selon les Nations unies, plus de 9.000 entreprises, 1.000 villes, 1.000 établissements d’enseignement et 600 institutions financières ont pris part à sa campagne mondiale « Objectif zéro », qui vise à rassembler les initiatives et le soutien en faveur d’une action immédiate pour diviser par deux les émissions mondiales d’ici 2030. Le Luxembourg s’est engagé en faveur d’objectifs de zéro émission nette à travers l’Union européenne.

Le rôle des banques

Les banques occupent une position unique. Elles doivent d’une part améliorer leur propre empreinte carbone, en s’assurant d’utiliser avec parcimonie les ressources naturelles pour leurs opérations quotidiennes, tout en traitant leurs collaborateurs de manière responsable dans le cadre d’engagements de durabilité plus larges. Mais elles exercent d’autre part une grande influence à travers leur approche en matière de prêts et d’investissements, qui constituent les principales sources d’émissions liées aux banques et les segments au sein desquels elles peuvent opérer le changement le plus important.

Pour ces établissements, il en va également de la gestion du risque. La réglementation ne cesse d’évoluer; les entreprises qui ne tiennent pas compte de leur empreinte environnementale (tout du moins en publiant leur impact en toute transparence) pourraient à l’avenir se voir imposer des amendes ou autres sanctions. Par ailleurs, la taxe carbone, qui exige des entreprises de payer un impôt calculé sur la base de leurs émissions, est adoptée par un nombre toujours croissant de pays dans le monde. L’aspect lié à la réputation est à prendre en compte également: les actionnaires attendent de plus en plus des entreprises qu’elles gèrent efficacement leurs risques environnementaux, tandis que les employés et les consommateurs sont susceptibles de privilégier les groupes qui réalisent des progrès tangibles dans la réduction de leurs émissions.

Grâce à la Directive de l’UE sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, le nombre d’entreprises qui seront tenues de publier des informations en matière environnementale croîtra pour atteindre à terme quelque 50.000 sociétés selon les estimations, et le niveau de détail de ces publications augmentera progressivement à partir de 2025 et jusqu’en 2029. Il s’agit d’une étape cruciale pour le secteur bancaire et les autres acteurs de l’industrie financière, grâce à laquelle ils pourront plus aisément mesurer l’impact de leurs décisions de prêt et d’investissement en termes d’émissions.

La publication d’informations sur les émissions est régie par des normes internationales. Le Greenhouse Gas Protocol, lancé au départ par le World Resources Institute et le World Business Council for Sustainable Development, défini trois catégories d’émissions de gaz à effet de serre:

    • les émissions de niveau 1, soit celles générées par les activités propres d’une entreprise;
    • les émissions de niveau 2, soit les émissions indirectes provenant de l’énergie achetée par une entreprise;
    • et les émissions de niveau 3, qui proviennent de la chaîne de valeur, telles celles engendrées par les fournisseurs et l’utilisation de ses produits et services par les consommateurs.

Pour les banques, ce sont les émissions de niveau 3 – à savoir celles qui proviennent des entreprises auxquelles elles prêtent de l’argent en vue d’investissements – qui sont les plus importantes.

Si les établissements qui fournissent les financements privent certaines entreprises des capitaux dont elles ont besoin pour modifier leur modèle d’affaires, ces dernières pourraient manquer à la fois des mesures d’incitation et des moyens pour y parvenir.

Épouser la transition

Pour les banques, la solution de facilité serait de ne pas prêter aux entreprises affichant des émissions de carbone élevées, mais cela met gravement en péril les objectifs de la transition climatique. Si les établissements qui fournissent les financements refusent de travailler avec certaines entreprises, les privant ainsi des capitaux dont elles ont besoin pour modifier leur modèle d’affaires, ces entreprises pourraient manquer à la fois des mesures d’incitation et des moyens pour y parvenir. Les entreprises à émissions élevées pourraient ainsi se tourner vers d’autres prêteurs moins préoccupés par les objectifs de durabilité.

Alessandra Simonelli, Head of Sustainable Development à la Banque Internationale à Luxembourg: « Certains établissements déclarent ne pas vouloir prêter de l’argent à des entreprises actives dans des secteurs fortement émetteurs. Mais cela ne règle pas le problème ni ne contribue à réduire les émissions globales. De nombreuses entreprises ont besoin d’investir pour opérer la transition nécessaire. L’industrie automobile, par exemple, délaisse les moteurs à combustion pour se tourner vers les véhicules électriques. Les entreprises doivent toutes investir pour pouvoir modifier leur modèle d’affaires et ainsi contribuer à la transition globale.

Notre rôle consiste donc plutôt à discuter de la façon de les soutenir dans leur transition, mais aussi à leur présenter des défis à relever et à les comparer. Nous nous chargerons d’évaluer leur performance ESG et leurs plans de transition. Si nous constatons qu’elles ne tiennent pas leurs promesses, nous pourrions réévaluer le soutien que nous souhaitons leur apporter à l’avenir. »

Alessandra Simonelli note également que, lorsque la banque accorde un financement à une entreprise, elle relève le volume d’émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise cible liées au financement et l’intègre au calcul des émissions de la BIL.

La situation n’est pas parfaite. Il existe encore beaucoup d’entreprises qui ne publient pas d’informations exhaustives et ne seront pas tenues de le faire avant plusieurs années. Même en Europe, où la législation sur la transparence climatique est la plus exigeante, il sera difficile de constater les progrès réalisés au fil des ans avant que les paramètres de publication d’informations soient mieux définis. Toutefois, certaines entreprises prennent les devants en participant à des démarches volontaires, tandis que certaines initiatives, telles que la Net Zero Banking Alliance, entendent contribuer à fixer des normes et des meilleures pratiques pour le secteur.

Accompagner les individus dans leur démarche écologique

Parvenir au net zéro ne se résume pas aux prêts aux entreprises – les banques doivent également se pencher sur leur relation avec les consommateurs individuels. Les prêts hypothécaires verts et autres types de crédits se font de plus en plus courants, et sont destinés à acheter des logements économes en énergie ou à rendre plus durables des logements existants. Les banques ont tout intérêt à encourager les clients à améliorer leur efficacité énergétique, afin d’augmenter la valeur et l’attrait de l’actif auquel est adossé le prêt. Le risque est lié à l’introduction d’une nouvelle loi qui rendrait plus difficile la vente de logements qui n’ont pas appliqué ces changements, ou qui interdirait aux propriétaires de louer leur bien.

Les segments dans lesquels les banques investissent directement leur capital propre revêtent également une grande importance. Alessandra Simonelli affirme que la BIL entend contribuer au financement d’entreprises qui fournissent des solutions visant à atténuer le changement climatique: « Garantir le bien-fondé de nos investissements représente une part importante de notre activité. Nous souhaitons soutenir les entreprises qui se démarquent réellement en matière de gestion environnementale. »

Le secteur bancaire a un rôle crucial à jouer afin d’encourager les entreprises et les individus à réduire leur empreinte carbone et les règles de publication d’informations pour les entreprises, qui seront prochainement mises en œuvre dans l’UE, fourniront bientôt des informations supplémentaires qui permettront aux banques de mieux remplir ce rôle. La position unique des banques en matière de prêts et d’investissements est appelée à influencer sensiblement les progrès réalisés pour atteindre les objectifs de zéro émission nette.

Refuser de prêter de l’argent à des entreprises actives dans des secteurs fortement émetteurs ne contribue pas à réduire les émissions globales; beaucoup d’entreprises ont besoin d’investir pour prendre part à la transition climatique.