À 250.000$ la bouteille, le whisky est-il un bon investissement?
Le whisky se classe parmi les investissements les plus fructueux de ces dernières années dans le secteur des produits de luxe, grâce notamment à la reconnaissance croissante des connaisseurs du monde entier. Et quand bien même l’investissement ne s’avérerait pas rémunérateur (ce qui est peu probable), il sera toujours source de plaisirs gustatifs.
Pourtant, vous y réfléchiriez sans doute à deux fois avant d’ouvrir ce Macallan single cask en édition super limitée vendue aux enchères pour la modique somme de 250.000$ (trois fois son prix de référence maximum!) en février 2023. Il pourrait en effet s’agir de la boisson la plus chère de votre vie à 10.000$ le verre, soit plus de cinq fois son équivalent en poids d’or.
Le prestigieux Macallan détrône ainsi le Yamazaki 55, plus vieux whisky japonais jamais mis sur le marché (en septembre 2021) mais aussi le plus cher (60.000$ la bouteille). Seules 100 bouteilles ont été commercialisées, et se sont déjà échangées à des prix bien plus élevés depuis.
À l’image du vin, le whisky est un art, complexe et sophistiqué. Le Yamazaki 55 est assemblé à partir de trois single malts (whisky issu d’une distillerie unique) distillés dans les années 1960 et vieillis dans des fûts de chêne différents par autant de maîtres-assembleurs dont les styles sont reconnus par de nombreux adeptes pour leurs saveurs uniques.
Surperformance par rapport aux portefeuilles d’actions
Ces prix exorbitants ne feront pas sourciller quiconque s’est déjà intéressé aux marchés du whisky. En octobre 2021, c’est un set de six single malts issus de six décennies différentes baptisé « Dalmore Decades » qui est parti pour pas moins de 1,1 million USD dans le cadre d’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s.Le marché du whisky reste cela dit relativement modeste. Selon Noble & Co, cabinet de conseil en entreprise basé à Édimbourg, les ventes de bouteilles de whisky écossais rares ont représenté plus de 90 millions GBP en 2022.
En tant qu’investissement, le whisky a été particulièrement rémunérateur au cours de la décennie écoulée, se plaçant dix ans durant en tête de l’indice Knight Frank Luxury Investment aux côtés des sacs à main Hermès. À en juger par l’historique des enchères, la valeur des meilleurs whiskies a augmenté de 262% sur les cinq dernières années, soit environ le double du rendement d’un portefeuille d’actions mondiales.
L’indice Rare Whisky Icon 100, qui suit l’évolution des enchères des flacons les plus prisés, s’inscrivait en hausse d’un peu moins de 430% sur dix ans en février 2023.
Si l’indice Knight Frank Rare Whisky a gagné à peine 3% en 2022, sa progression sur dix ans est spectaculaire comparée à celle d’autres actifs de luxe non traditionnels. La valeur des bouteilles de whisky rares a augmenté de 373% au cours de la décennie qui s’est achevée en novembre 2022, une hausse plus de deux fois supérieure à celle des biens de collection les plus proches suivis par Knight Frank, les voitures de luxe (+185% sur 10 ans). Le whisky a dépassé le vin et les montres; l’indice des produits de luxe lui-même a augmenté de 137%, ce qui est loin d’être négligeable.
Une demande soutenue en provenance de Chine
Selon d’autres analystes, les whiskies les plus précieux connaissent une croissance plus forte encore. L’indice Rare Whisky Icon 100, qui suit l’évolution des enchères des flacons rares les plus prisés, a signé une hausse d’un peu moins de 430% entre début 2013 et fin février 2023, après s’être inscrit en hausse de plus de 500% à la mi-2022, selon le cabinet d’analyse et de données Rare Whisky 101 basé à Dunfermline.
Le marché est soutenu par la demande croissante provenant des pays en développement de la région Asie-Pacifique, au premier rang desquels l’Inde et la Chine. La valeur des exportations directes de l’Écosse vers la Chine est passée de moins de 10 millions GBP au début des années 2000 à environ 107 millions GBP en 2020. Selon la Scotch Whisky Association, en 2022, la Chine a importé pour un total de 233 millions GBP de whisky écossais, une hausse de 18% par rapport à l’année précédente.
La demande est telle qu’en juillet 2021, c’est toute une distillerie de whisky « en kit » qui a été expédiée de l’Écosse vers la Chine, ce qui représente tout de même 35 tonnes de matériel. Le spécialiste des équipements de distillerie Forsyths, basé à Rothes près d’Inverness, a envoyé une équipe de cinq ingénieurs pour superviser le montage de l’installation et dispose d’une équipe à Hong Kong pour assurer le service après-vente.
En l’absence de référence unique pour le prix de gros du whisky, il peut s’avérer difficile d’en évaluer les performances financières. Il arrive par exemple que les bouteilles moins onéreuses se portent bien alors que la situation se dégrade pour les variétés plus haut de gamme, et vice versa. Ces dernières années, un indice représentatif des 50 whiskies les plus rares a ainsi fait du surplace sur fond de bonne tenue des prix des produits (relativement) bon marché. En 2020, le commerce des bouteilles de plus de 5.000£ a diminué de 25%, tandis que les échanges de produits de moins de 1.000£ ont progressé de plus de 10%.
Mais la rareté est un atout indéniable, en particulier pour les distilleries qui ne produisent plus. Un indice des single malts très rares produits par la distillerie Brora, située sur la côte du Sutherland, au nord d’Inverness, restée fermée pendant près de quarante ans avant que le groupe multinational de spiritueux Diageo ne la rouvre en 2019, a presque été multiplié par sept au cours de la décennie clôturée fin 2022.
Bouteilles ou fûts ?
La plupart des investisseurs se contentent d’acheter et de vendre des bouteilles individuelles, qu’ils peuvent obtenir auprès de revendeurs spécialisés ou dans le cadre de ventes aux enchères, et qui doivent impérativement être stockées dans de bonnes conditions. Les investisseurs doivent ainsi majorer le prix d’achat de 15% au titre des frais de stockage et de vente aux enchères. Attention toutefois: le secteur regorge d’escrocs. Il n’est pas rare de tomber sur des contrefaçons ou des bouteilles vides sur Internet. Les ventes aux enchères confèrent un certain degré de protection aux acheteurs.
Une autre option consiste à acheter un fût, qui peut produire entre 200 et 1.000 bouteilles. Il est possible d’en trouver auprès de groupes spécialisés dans le whisky, moyennant au minimum 5.000£, même si leur prix peut atteindre plusieurs millions. Un fût très recherché d’Ardbeg 1975, propriété du groupe de luxe LVMH, a ainsi été vendu pour 16 millions GBP en 2022. Les investisseurs doivent tenir compte du coût de la mise en bouteille, qui peut être réalisée par des prestataires. En Écosse, qui fait partie du Royaume-Uni, les droits d’accise sont normalement payables lorsque les bouteilles sont expédiées à l’acheteur.
Le fût peut également être vendu à d’autres investisseurs ou à un acheteur qui souhaite procéder à la mise en bouteille du whisky. La durée de détention conseillée est de 20 à 30 ans. L’achat d’un fût présente des risques accrus, mais le jeu en vaut la chandelle si le whisky mûrit bien. Notons à cet égard qu’en vertu de la loi, le whisky écossais ne peut être mûri que dans un entrepôt d’accise situé en Écosse qui a été vérifié par l’autorité fiscale HM Revenue and Customs.
Avec environ 90% de parts de marché, l’Écosse est un excellent point de départ pour les investisseurs s’intéressant au whisky.
Avec environ 90% de parts de marché, l’Écosse est un excellent point de départ pour les investisseurs s’intéressant au whisky. Le pays bénéficie par ailleurs d’une culture très dynamique en la matière, alimentée par de nombreux blogueurs, experts et visites guidées, sans oublier la Scotch Whisky Association et son site Internet riche en informations sur l’histoire et la fabrication du précieux breuvage.
Les experts préviennent que le soufflé pourrait cela dit retomber, malgré la vigueur de la demande en provenance d’Asie. Tout est une question de capacité – au cours du XXe siècle, le nombre de distilleries a varié considérablement, les installations étant souvent mises en sommeil lorsque la demande était faible, et le nombre d’entreprises actives est passé de 159 à 93 entre le début et la fin du siècle. Mais selon certaines estimations, 42 distilleries ont ouvert leurs portes depuis le début du siècle et 60 autres sont en projet.
Développement durable
L’industrie du whisky écossais s’engage résolument sur la voie du développement durable. La Scotch Whisky Association a été le premier organisme professionnel britannique du secteur de l’alimentation et des boissons à s’associer à la campagne « Race to Zero » des Nations Unies visant à promouvoir les initiatives de réduction des émissions de carbone à l’échelle mondiale. L’association s’est fixé pour objectif que le secteur atteigne la neutralité carbone d’ici 2040.
C’est déjà le cas pour certains producteurs, à l’image de la distillerie Nc’nean, basée à Morvern, près de l’île de Mull, dans l’ouest de l’Écosse, qui affiche une empreinte carbone équivalente à celle d’un unique vol entre les États-Unis et le Royaume-Uni pour l’ensemble de ses opérations, qu’elle compense en plantant des arbres. L’entreprise recourt aux énergies renouvelables, recycle 99,97% de ses déchets, déploie des mesures visant à garantir la neutralité carbone de sa chaîne d’approvisionnement et utilise du verre recyclé pour fabriquer ses bouteilles.
Une telle approche pourrait offrir un important facteur de différenciation aux fabricants de whisky, à l’heure où le mouvement mondial en faveur de la réduction des émissions de carbone s’accélère. Mais ce n’est pas tout: Nc’nean affirme que son whisky présente « des notes de crème de citron, de pêches pochées, d’abricots juteux et de poivre blanc épicé ». Il devrait ravir le palais des amateurs tout en les aidant à sauver la planète… avec sagesse et modération.