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19 avril 2024

Investissement : ne pas confondre perte, douleur et incertitude

Nombreux sont les investisseurs qui, au lieu d’acter une perte dans leur portefeuille, préfèrent ne rien faire avec l’espoir de voir leurs titres repartir à la hausse. Ce faisant, ils évitent peut-être la douleur associée à la perte, mais se chargent du stress lié à l’incertitude. Un très mauvais deal!

Etes-vous du genre à retarder le moment de savoir si votre investissement est un top ou un flop? Si oui, cet article devrait vous faire réfléchir. Et pour cause, les études sont formelles: il est psychologiquement moins douloureux et plus bénéfique de regarder la réalité en face et d’accepter une perte plutôt que de demeurer dans l’incertitude. D’ailleurs, faire face permet non seulement de réduire la peur de l’inconnu, mais aussi de tirer profit des opportunités qu’il apporte.

Apprivoiser le stress

Tous les investisseurs ou presque ont déjà refusé de voir la réalité en face en retardant le moment d’acter une perte liée à un mauvais investissement. La raison est simple: éviter la douleur psychologique qui s’ajoute à la perte financière. Mais ce faisant, ils s’infligent le stress causé par l’anticipation de devoir potentiellement faire face à une situation identique, voire plus mauvaise, dans un avenir plus ou moins lointain. Ce qui est pire que d’accepter d’affronter la réalité. Voici une petite expérience pour s’en convaincre.

Imaginez un jeu virtuel dans lequel il faut prédire si un serpent se cache ou non sous des pierres que les participants sont invités à soulever. Les joueurs sont répartis en deux groupes.

    • Groupe 1: si le participant échoue à prédire où se trouve le serpent, il sait qu’il a 50% de chances de recevoir une petite décharge électrique et 50% de chances de ne subir aucune punition.
    • Groupe 2: si le participant échoue à prédire où se trouve le serpent, il sait qu’il a 100% de chances de recevoir une décharge électrique plus intensive et de faire donc face à une situation très désagréable.

À votre avis, pour les participants de quel groupe l’expérience fut-elle la plus stressante? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est le groupe 1 confronté a davantage d’incertitude qui a subi le plus gros stress. Cela a été mis en évidence par une étude très sérieuse réalisée par l’institut de neurologie de l’University College de Londres (UCL). Avoir la certitude de recevoir une décharge en cas d’erreur est psychologiquement moins pénible que l’incertitude.

Il s’avère qu’il est pire de ne pas savoir si l’on va recevoir un choc ou non, que d’avoir la certitude d’en recevoir un.

L’auteur principal de cette étude, Archy de Berker, a commenté ce résultat comme suit: « Notre expérience nous permet de tirer des conclusions relative à l’effet de l’incertitude sur le stress. Il s’avère qu’il est bien pire de ne pas savoir si l’on va recevoir un choc ou non, que d’avoir la certitude d’en recevoir un. »

Si cette étude quantifiait pour la première fois l’effet de l’incertitude sur le stress, le principe est compréhensible et s’explique aisément: l’incertitude nous rend anxieux. Il suffit de penser à l’attente de résultats médicaux, à la quête d’informations sur les retards de trains ou au comportement de notre portefeuille d’investissements face à un choc financier imprévu.

Cette anxiété est-elle forcément mauvaise? Pas forcément. Ce stress est un mécanisme hérité de notre évolution qui peut aider à mieux s’adapter à l’environnement incertain dans lequel nous évoluons. Ainsi, dans l’expérience évoquée plus haut, ceux qui ressentaient le plus de stress face à l’incertitude de recevoir un choc sont finalement ceux qui ont le mieux appris au fil du temps à prévoir où le serpent pouvait se trouver dans le jeu! La raison est simple: ceux qui ressentent le plus de « douleur » sont les plus motivés à progresser afin de pouvoir la faire baisser.

Faire face à la tempête

Quelle leçon tirer de cette expérience pour notre investisseur qui refuse d’affronter en face la réalité de sa situation et d’acter ses pertes. S’il retarde le moment fatidique, c’est sans doute qu’il craint la douleur que va engendrer la perte. Cette douleur ressentie face à une perte est due à notre aversion à la perte héritée de nos ancêtres. Or, la douleur psychologique que nous ressentons dans cette situation précise est du même ordre d’un point de vue neurologique que celle ressentie par une douleur physique.

À la lumière de l’expérience évoquée, on comprend que ce comportement n’est pas bon. L’investisseur, qui pense sans doute se protéger en demeurant dans l’incertitude, amplifie en réalité son stress et sa douleur en faisant l’autruche. Plus grave encore, il retarde le moment de prendre les décisions urgentes qui s’imposent pour ses investissements.

L’investisseur se torture parfois inutilement en confondant risque et incertitude!

La passivité est certainement la réaction la plus dommageable que puisse adopter un investisseur qui fait face à l’inconnu. Pourquoi s’y complaît-il alors si souvent? S’il refuse à tout prix de faire face à ses pertes, c’est peut-être aussi qu’il ressent un sentiment de culpabilité associé au fait qu’il aurait mal calculé les risques. Or, il commet ici une autre erreur et se torture inutilement en confondant risque et incertitude!

Risque et incertitude

Beaucoup d’investisseurs confondent le risque et l’incertitude. Le risque peut être estimé par des observations statistiques (corrélation et écart-type des rendements) et décrit par des distributions probabilistes, qu’il s’agisse de la probabilité de gagner ou de perdre à la roulette ou des risques qu’il y a à voler en avion dans des conditions normales. Davantage qu’un monde où règne le risque, le monde de l’investissement est un monde fait d’incertitudes!

S’il existe bien évidemment tout un tas de paramètres objectifs à étudier avant de prendre une décision d’investissement, il faut avoir conscience qu’investir constitue toujours un pari sur l’avenir. Et le problème avec l’avenir est qu’il est largement imprévisible. Les investisseurs professionnels font de leur mieux pour estimer et prévoir ce qui va se passer, mais, en fin de compte, ils investissent toujours dans des environnements inconnus et incertains. Ils ont l’expertise pour minimiser les risques, pas la clairvoyance pour résorber l’incertitude. C’est une des raisons pour lesquelles les investisseurs sont invités à faire preuve d’humilité, à diversifier leurs investissements et à adopter une approche de long terme.

Attention, il n’est pas question pour nous de prétendre que l’investissement se résume à un jeu de hasard. Les théories financières traditionnelles fonctionnent relativement bien pour quantifier des risques dans des environnements normaux, mais s’effondrent dans les situations extrêmes. Aucune de ces théories ne permet de prévoir l’émergence d’une pandémie et ses conséquences sur les marchés. La théorie économique ne résout pas la question de l’incertitude.

La meilleure décision en situation de risque n’est pas la meilleure décision en situation d’incertitude.

Avec l’incertitude, tout est ouvert. Le résultat ne peut être connu ou calculé. La meilleure décision en situation de risque n’est pas la meilleure décision en situation d’incertitude. Alors, que faire si on ne peut pas prédire l’incertitude? Il reste la possibilité de se préparer aux situations extrêmes afin de pouvoir naviguer en eaux troubles lorsque la tempête se lève.

Préparer le pire, espérer le meilleur et rester patient

Par définition, un avenir incertain ne se laisse pas prévoir. Cela ne signifie pas qu’il est impossible de se préparer à y faire face. La première étape de cette préparation consiste à accepter que des situations d’incertitude se produisent. Se comporter comme une autruche et mettre la tête dans le sable ne constitue pas une solution.

La deuxième étape consiste à analyser son portefeuille actuel et sa stratégie d’investissement en fonction de cette incertitude. Si l’on ne peut pas prédire les causes ou l’ampleur des événements extrêmes, il est possible avec l’aide de son banquier d’intégrer une hypothèse d’échec dans une stratégie d’investissement puis d’étudier les options pour atténuer les pertes potentielles. L’idée de fond est de sélectionner judicieusement des actifs résistants à différents scénarios et de mieux comprendre les investissements que vous possédez. Cela ne règle pas l’incertitude, mais cela vous équipe afin de pouvoir surmonter vos émotions en cas de crise et de retrouver rapidement un raisonnement logique par rapport à une perspective de long terme.

Faites-vous accompagner pour élaborer des scénarios dans lesquels votre portefeuille est soumis virtuellement à des chocs pour déterminer le degré de souffrance que vous pouvez supporter. Un expert pourra vous aider à scénariser des chocs éventuels et vous guider dans la répartition d’actifs pour mitiger ceux-ci.

La troisième étape consiste à garder son sang-froid et à adopter une attitude positive face à l’incertitude. En effet, un événement extrême peut parfois être source d’opportunités pour des investissements. De plus, une crise ou un mouvement de marché extrême s’inscrit rarement dans la durée. Or, au-delà des turbulences momentanées, c’est bien votre objectif d’investissement sur le long terme qui est important. Ne perdez pas cela de vue.

Avec comme leitmotiv de protéger et, au fil du temps, d’accroître la valeur totale du portefeuille, ne vous focalisez pas sur le nombre « d’échecs » subis en chemin, mais sur l’ampleur de vos pertes ou de vos gains dans la durée. Les investisseurs qui ambitionnent de ne subir aucune perte sacrifient souvent à cet objectif une part importante de leur croissance potentielle. Ceux qui peuvent supporter certaines pertes ponctuelles et tenir le cap seront aussi les investisseurs qui seront capables de profiter des opportunités qui se présentent.

Les investisseurs qui ambitionnent de ne subir aucune perte sacrifient souvent à cet objectif une part importante de leur croissance potentielle.

L’essentiel est d’accepter l’incertitude et de se préparer à y faire face sereinement. C’est une condition naturelle pour bien investir. L’objectif n’est pas d’éliminer l’incertitude, mais de l’accepter et de la gérer. Si vous acceptez l’incertitude, elle n’est plus une situation à craindre, mais une opportunité à exploiter. En bonus, vous vous débarrasserez d’un stress important et plus « douloureux » que la peine ressentie en actant vos pertes du moment. Autrement, un tel stress peut vous conduire à prendre de mauvaises décisions, voire à ne plus rien décider du tout dans des moments où l’inaction peut avoir des conséquences dramatiques.