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20 avril 2024

La soupe alphabet : quel type de reprise économique y a-t-il au menu ?

Le coronavirus continue de bouleverser notre quotidien et le mois de septembre a été marqué par un pic statistique tragique et déplorable : à ce jour, le nombre de décès dépasse le million et plus de 33 millions de personnes ont été infectées. Les entreprises et les citoyens s’adaptent peu à peu aux nouvelles normes de distanciation sociale. Ces mesures ont favorisé une reprise partielle de la croissance, mais l’embellie est fragile et étroitement liée à l’évolution de la situation sanitaire.

Les espoirs d’un rebond en forme de V – c’est-à-dire un décalage dans la production avec un éventuel rebond de la croissance – s’estompent. Dans ce scénario, les taux de croissance annuelle pourraient absorber entièrement le choc (selon les définitions de la Harvard Business Review). À l’inverse, et pour la toute première fois, le FMI table sur un recul de la croissance dans toutes les régions cette année, à la seule exception de la Chine. Grâce à un soutien des Banques centrales s’apparentant à une aide inconditionnelle et aux généreuses mesures de relance budgétaire, le peu rassurant scénario de reprise en L pourrait être évité. Dans ce scénario, le Covid-19 provoquerait des dommages structurels considérables, c’est-à-dire une dégradation de l’économie sur le plan de l’offre – le marché du travail, la formation du capital…

Une hypothèse plausible se fait jour : un rebond en K qui inclut deux formes divergentes de reprise.

Une hypothèse plausible se fait jour : un rebond en K qui inclut deux formes divergentes de reprise. Le trait orienté vers le haut symbolise les secteurs de l’économie qui ont bénéficié de la pandémie : les entreprises jouissant d’un positionnement solide dans la numérisation, la vente et les divertissements en ligne, les technologies, l’IA et la robotique. Beaucoup d’entre elles continueront de tirer parti des tendances structurelles renforcées par le Covid-19, comme le télétravail, la télémédecine et l’apprentissage en ligne. Ces pratiques vont devenir des éléments permanents de notre nouvelle normalité ; même si le confinement a été levé, travailler depuis son domicile reste courant, les cours universitaires ont lieu à distance et les voyages d’affaires sont bannis pour un certain temps – à titre d’exemple, l’Arabie saoudite vient d’annoncer que le sommet 2020 des dirigeants du G20 se tiendrait virtuellement les 21 et 22 novembre. Toutefois, investir dans des actions de ces secteurs n’est pas une garantie absolue de performances élevées, comme l’a montré la violente correction de début septembre. L’épicentre de cette correction était l’indice NASDAQ, composé essentiellement de valeurs technologiques, une preuve que ces actions ne sont pas immunisées contre les soubresauts du marché.

Le trait descendant du K symbolise toutes les entreprises dont le modèle économique restera gravement affecté pendant un bon moment. La hausse des taux d’infection contraint les pays à prendre des mesures de prévention plus strictes, ce qui impacte directement le secteur des services (qui implique souvent une interaction en face à face), notamment en Europe, tandis que la pandémie semble avoir planté le dernier clou dans le cercueil de nombreux commerces physiques. Le mois de septembre aura ainsi eu raison du plus ancien complexe couvert de vente au détail d’Europe – le centre commercial Elephant & Castle à Londres. Un soutien financier sera indispensable à la survie de ces entreprises et de leurs employés. C’est pourquoi l’impasse dans laquelle se trouve le deuxième plan de relance en discussion à Washington est si problématique.

L’éléphant dans le magasin de porcelaine n’est pas celui des républicains, mais l’extrême polarisation de la politique aux États-Unis, qui menace de provoquer une désorganisation [des marchés].

L’éléphant dans le magasin de porcelaine n’est pas celui des républicains, mais l’extrême polarisation de la politique aux États-Unis, qui menace de provoquer une désorganisation [des marchés]. À l’approche des élections du 3 novembre, le ton monte entre les deux parties et l’on craint même que le Président Trump ne conteste le résultat du scrutin au motif – selon lui – que le vote par correspondance (qui sera utilisé en raison de la pandémie) favorise la fraude. Une élection contestée pourrait entraîner une crise constitutionnelle et l’indice VIX, qui mesure la volatilité attendue du S&P 500, lance un avertissement inquiétant : les marchés tablent sur une longue période de volatilité après les élections. C’est la raison pour laquelle le choix d’un candidat au siège vacant de Ruth Bader Ginsburg, récemment décédée, à la Cour suprême, revêt une telle importance : en cas de contestation ou de rejet du résultat des élections, la Cour suprême pourrait jouer un rôle crucial. La candidate soutenue par Trump est la juge fédérale Amy Coney Barrett. La commission qui doit confirmer sa nomination pourrait se réunir dès le 12 octobre, le vote en plénière au Sénat devant avoir lieu avant la fin du mois (les républicains sont majoritaires au Sénat, par 53 sièges contre 47). En attendant, les démocrates remuent ciel et terre pour essayer d’empêcher cette nomination.

Outre la pandémie et l’incertitude politique aux États-Unis, le Brexit crée un motif supplémentaire d’inquiétude.

Outre la pandémie et l’incertitude politique aux États-Unis, le Brexit crée un motif supplémentaire d’inquiétude. Le temps presse pour négocier les importantes questions des échanges commerciaux et des droits de pêche, le chef du gouvernement britannique, Boris Johnson, ayant déclaré qu’un accord commercial devrait être finalisé avant le 15 octobre pour pouvoir entrer en vigueur à la fin de la période de transition, le 31 décembre. Comme si la situation n’était pas déjà assez compliquée, Boris Johnson a présenté un nouveau projet de loi qui reviendrait à contourner une clause essentielle de l’accord de retrait signé par les deux parties en janvier, en permettant à la Grande-Bretagne de décider seule de la gestion des mouvements de marchandises en mer d’Irlande. Mais, comme les éléphants, la communauté internationale n’a pas la mémoire courte et déteste qu’un pays fasse fi d’un accord qui a déjà été signé. L’ancienne Première ministre britannique Theresa May a averti que cette manoeuvre ruinerait « la confiance dans le Royaume-Uni ».

Dans l’ensemble, l’économie progresse lentement, mais face à l’obstacle insurmontable de la pandémie, la croissance ne peut revenir à ses niveaux d’avant la crise sanitaire. Le seul chevalier blanc, le « Ganesh »1 capable de vaincre cet obstacle, c’est un vaccin. Quant aux marchés boursiers, nous continuons de penser que les estimations de bénéfices pour 2021 reflètent plutôt une reprise en V, donc qu’elles sont encore trop optimistes. Par ailleurs, le mois d’octobre pourrait être marqué par la volatilité, le sentiment des investisseurs étant influencé par le dernier tour de la course à la Présidentielle, la nomination à la Cour suprême et les négociations du Brexit. Tout ceci justifie l’adoption d’une approche prudente des risques de portefeuille et l’inclusion d’amortisseurs de la volatilité comme l’or et les obligations souveraines « core ».


1 Remarque culturelle : Ganesh, « le dieu qui élimine les obstacles », reconnaissable à sa tête d’éléphant, est l’une des divinités les plus populaires et les plus révérées du panthéon hindou.