Parole d’expert : « Un conte de deux moitiés »
« C’était le meilleur et le pire des temps, le siècle de la sagesse et de la folie, l’ère de la foi et de l’incrédulité, la saison de la lumière et des ténèbres, le printemps de l’espérance et l’hiver du désespoir… » (Charles Dickens, Un conte de deux villes)
Le mois de février a été marqué par deux phases pour le moins contrastées sur les marchés. Lors de la première quinzaine, les principaux indices boursiers américains ont atteint de nouveaux sommets historiques. Lors de la deuxième, d’autres records moins réjouissants ont été battus : l’indice S&P 500 a enregistré la correction la plus rapide de son histoire tandis que les rendements des bons du Trésor américain à 10 et à 30 ans (des valeurs refuge traditionnelles) sont tombés à des niveaux historiquement bas.
« Elle était tiraillée entre l’espoir et le doute… » (Charles Dickens, Un conte de deux villes)
Ces fluctuations marquées sont le fruit de l’épidémie de coronavirus qui sévit actuellement. Dans un premier temps, les marchés avaient bon espoir que Pékin parvienne à endiguer la maladie et annonce des mesures de relance massives pour amortir le choc économique induit par la fermeture de nombreuses entreprises et le confinement de quelque 40 millions de personnes.
Mais par la suite, ce qui était considéré comme un problème spécifique à la Chine n’a pas tardé à frapper à la porte de l’Europe. Environ 100 000 Italiens ont été mis en quarantaine après l’apparition de cas de coronavirus dans le nord du pays, en Lombardie et en Vénétie. Depuis lors, des cas ont été déclarés dans 52 pays et le Centre américain de contrôle et de prévention des maladies (CDCP) a averti qu’il était probable que l’épidémie se transforme en une pandémie susceptible de causer des perturbations « sérieuses » dans la vie quotidienne aux États-Unis. Dans le sillage de la propagation du coronavirus, les investisseurs se sont dirigés tout droit vers la sortie de secours, délaissant les actions et les autres actifs risqués. Les marchés ont ainsi connu leur pire semaine depuis la crise financière de 2008, et ce malgré une saison des résultats assez satisfaisante et le redressement des statistiques macroéconomiques.
À certains égards, on peut dire que nous vivons à une époque bénie en cela que rien, ou presque, n’échappe aux projecteurs d’Internet. Cela est salutaire dans la mesure où les gens ont connaissance du virus et peuvent prendre les précautions nécessaires pour se protéger. Mais dans une certaine mesure, Internet occulte aussi des faits réels compte tenu de la prolifération des « fake news ». Par le biais des réseaux sociaux, la panique et la peur font le tour du monde beaucoup plus vite que n’importe quelle pandémie et cela semble expliquer en partie la correction des marchés.
Dans l’œil du cyclone
Compte tenu des perturbations qui affectent les chaînes d’approvisionnement, des fermetures d’entreprises, des annulations de voyages et de l’attentisme des responsables, on peut logiquement s’attendre à ce que le coronavirus ait un fort impact sur les statistiques du premier trimestre, peut-être même au-delà. Il pourrait même précipiter certaines économies déjà fragiles (notamment en Europe) en « récession technique ». Toutefois, à ce stade, nous ne croyons pas à une véritable récession de grande ampleur, d’autant que l’économie américaine fait encore preuve d’une certaine vigueur. Les fondamentaux ont toujours guidé notre stratégie d’investissement et c’est lorsque la panique s’empare des marchés que nous devons nous y fier avec encore plus de conviction, plutôt que de les perdre de vue.
La survenance d’une récession par la suite dépend de nombreux facteurs (principalement de nature épidémiologique) qu’il est impossible de saisir à ce stade. Divers analystes ont pris comme repère l’épidémie de SRAS de 2003 mais ce choix est discutable dans la mesure où la Chine était loin d’être aussi intégrée à l’économie mondiale qu’aujourd’hui. Il faudra attendre plusieurs semaines de plus pour bien appréhender l’impact économique cumulé du coronavirus, l’ampleur du bilan humain ou le délai nécessaire à son endiguement. Cette incertitude est en train d’accentuer le malaise dans les rangs des participants au marché.
Après avoir assisté depuis les coulisses à la correction engendrée par la panique générale (compte tenu de notre allocation neutre aux actifs risqués), nous avons décidé de profiter de la valorisation plus raisonnable des actions pour y accroître notre exposition, aussi bien aux États-Unis qu’en Chine, avec à la clé une légère surpondération.
Dans la mesure où la Banque centrale européenne tourne déjà à plein régime, le coronavirus pourrait être le dernier facteur à faire pencher la balance en faveur de la relance budgétaire en Europe.
Nous avons considéré en effet que le risque haussier d’une relance monétaire et budgétaire est élevé. De fait, début mars, à la suite d’une conférence téléphonique du G7 convoquée en urgence, la Réserve fédérale américaine a réduit ses taux de 50 points de base (la première baisse de taux entre deux réunions du conseil des gouverneurs depuis octobre 2008). Par ailleurs, l’Italie a indiqué qu’elle injecterait 3,6 milliards d’euros dans son économie pour atténuer l’impact du coronavirus. Le train de mesures annoncé représente environ 0,2 % du PIB italien et, dans le même temps, Rome demandera à la Commission européenne l’autorisation de creuser son déficit budgétaire en 2020.
Dans la mesure où la Banque centrale européenne tourne déjà à plein régime, le coronavirus pourrait être le dernier facteur à faire pencher la balance en faveur de la relance budgétaire en Europe.
Tout bien considéré, le coronavirus semble bien parti pour avoir une incidence négative sur la croissance mondiale. Reste à savoir si son impact sera éphémère ou plus durable. En l’absence de traitement ou de vaccin à l’heure actuelle, le bilan humain est lourd et regrettable et il est impossible de prédire quand le nombre de nouveaux cas fléchira. Il en va de même pour son impact économique.