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19 décembre 2024

Quand c’est fondu, c’est foutu !

  Olivier Goemans myINVEST 27 octobre 2020 2942

Voici quelques années, la célèbre marque de crème glacée Ben&Jerry’s lançait une campagne marketing illustrée par une boule de glace bleue et verte accompagnée du slogan « quand c’est fondu, c’est foutu » afin de sensibiliser l’opinion publique à l’impact du réchauffement climatique sur notre planète. L’entreprise s’érigeait alors en véritable pionnière, remodelant son modèle d’affaires pour anticiper et s’adapter aux défis sociétaux et environnementaux de notre époque.

Par souci de transparence, je tiens à préciser que cet article est pour l’essentiel une retranscription personnelle de mon podcast favori, source d’inspiration inépuisable, « Outrage and Optimism », et plus précisément de l’épisode du 26 juin 2020 avec Paul Polman (ancien PDG d’Unilever).

Pour bon nombre des habitants de l’hémisphère nord, les dégâts climatiques sont encore majoritairement invisibles. La pandémie actuelle de Covid-19 a néanmoins contribué à mettre en lumière à quel point nous sommes vulnérables. De mon point de vue, nier le changement climatique, c’est un peu comme affirmer que l’on ne croit pas aux lois de la gravité.

Alors que la majorité des initiatives du secteur public se sont jusqu’ici attelées à faire baisser la demande de combustibles fossiles, une poignée de juridictions ont également décidé d’agir du côté de l’offre et de limiter la production de nouvelles ressources fossiles. Saviez-vous, par exemple, que le Costa Rica avait imposé un moratoire de plusieurs années sur l’exploration de nouvelles sources de combustibles fossiles ? Une loi interdisant à jamais l’exploration d’hydrocarbures est même sur la table.

Signe des temps, une grande compagnie pétrolière européenne a pour sa part récemment annoncé qu’elle allait réduire de 17,5 milliards de dollars la valeur de son bilan, après avoir revu à la baisse ses prévisions concernant les cours du pétrole et du gaz, annulé plusieurs projets à long terme et reconnu les changements dans les modes de transport et de déplacement ainsi que l’abandon des combustibles fossiles, ce qui suggère certainement que l’idée d’une taxe sur les émissions de carbone et d’une responsabilité en la matière fait son chemin.

Le Luxembourg est également devenu le premier pays européen à émettre une obligation souveraine durable, collectant pas moins de 1,5 milliard d’euros.

D’une manière générale, la plupart d’entre nous réalisent qu’il est temps de dépasser le schéma linéaire « extraction, production, distribution et rejet » au profit d’une conception circulaire de l’économie. À ce titre, nous pouvons être fiers du leadership pris par l’UE dans le cadre du Pacte vert et nous réjouir que le Luxembourg soit le premier pays européen à avoir mis sur pied un cadre de référence pour les obligations durables. Le Grand-Duché est également devenu le premier pays européen à émettre une obligation souveraine durable, collectant pas moins de 1,5 milliard d’euros. Une moitié des recettes de l’émission, qui a été sursouscrite pas moins de huit fois, sera consacrée à des projets verts et l’autre moitié à des initiatives ayant un impact social.

Diriger une entreprise alors que la pandémie fait rage est une responsabilité difficile et exigeante. Les entreprises qui ont adopté une perspective plus large, en ne négligeant pas leurs employés et leurs fournisseurs, ont semble-t-il eu tendance à mieux s’en sortir. Celles qui sont allées au-delà de leur devoir en protégeant des vies et en assurant des moyens de subsistance ont vu leurs efforts récompensés.

Dans un article précédent, je citais Yuval Noah Harari qui affirmait que ce n’était pas aux économistes de définir nos objectifs. Le principe s’applique également au monde de l’entreprise. Certes, la valeur actionnariale est essentielle au financement des entreprises et pour récompenser la prise de risque. Mais elle est in fine le résultat de ce que font les entreprises et ne devrait pas en être la finalité. En revanche, c’est l’attention prêtée aux parties prenantes qui permet aux actionnaires d’obtenir un rendement sur le long terme. On ne compte plus aujourd’hui les preuves que l’investissement dans une chaîne d’approvisionnement durable, les rapports sur les risques de la chaîne de valeur, l’internalisation du prix du carbone, la constitution d’une main-d’œuvre plus diversifiée et l’intégration des facteurs ESG confèrent aux entreprises davantage de résistance et de rentabilité. Transparence et confiance sont les bases les plus élémentaires de la prospérité.

Transparence et confiance sont les bases les plus élémentaires de la prospérité.

Le capitalisme des parties prenantes1, autrement dit l’idée selon laquelle les entreprises doivent répondre aux besoins de tous les groupes d’intérêts, et pas uniquement à ceux de leurs actionnaires, prend aujourd’hui son envol. Dans un monde où certaines des plus grandes entreprises privées atteignent des dimensions pharaoniques (et pèsent parfois même plus que le PIB de la grande majorité des pays), les gouvernements ne peuvent plus à eux seuls pourvoir au bien-être des citoyens. Cela est d’autant plus vrai que certains des plus grands pays affichent un net retard en termes de priorités structurelles.

De toute évidence, personne ne veut d’un avenir non durable, des inégalités ou encore du réchauffement climatique. Nous n’avons plus le temps de tergiverser davantage, l’heure est venue de suivre la voie de la résilience. La science ne laisse planer aucun doute à ce sujet : au-delà de 2030, il n’y aura plus de retour en arrière possible en ce qui concerne le changement climatique, ce qui affectera bien sûr la stabilité économique et la valeur des investissements.

Une révolution est en marche, dans laquelle la toute-puissance des actionnaires deviendra obsolète. Les lois fiduciaires veulent que l’argent soit investi dans le meilleur intérêt de l’investisseur, en tenant compte de la sécurité du capital et du rendement. D’un point de vue juridique, la durabilité fait partie de l’équation. D’un point de vue financier, il ne faut jamais oublier que notre capital nous procure un puissant levier de vote. Cessons de regarder l’histoire se dérouler devant nos yeux et agissons pour en modifier le cours.

La pandémie nous aura appris qu’il n’est pas possible d’être en bonne santé sur une planète malade.

La pandémie nous aura appris qu’il n’est pas possible d’être en bonne santé sur une planète malade. Les liens entre la biodiversité, le changement climatique et la santé sont scientifiquement clairs et factuels. L’opportunité nous est aujourd’hui offerte de reconstruire nos économies. Cela doit se faire dans une perspective d’inclusion et de durabilité. Une révolution économique est en marche. Il est grand temps de réinventer notre système de santé, notre système d’approvisionnement énergétique, notre système alimentaire et agricole ainsi que les contrats sociaux au sein de nos communautés. Cela exigera de la coopération et du leadership. Il ne s’agit pas là d’un vœu pieux, mais d’une vision optimiste d’un avenir nouveau. Le défi est immense, mais nous n’avons qu’une planète. Les entreprises qui s’engagent résolument en faveur d’objectifs forts sont tout simplement mieux armées.

L’heure est venue pour une société des parties prenantes. Les entreprises n’ont aujourd’hui plus droit à l’erreur. Celles qui prennent le train en marche et adoptent une vision plus large nous aideront à atteindre une taille critique. La rapidité et l’ampleur de cette évolution sont cruciales, avec pour modèles la collaboration et la transparence. La recette consiste à ramener les considérations humaines dans ce que nous entreprenons.

Avant son rachat par Unilever2, Ben&Jerry’s était un leader, un modèle de responsabilité d’entreprise. Non pas à cause de ses publicités accrocheuses, mais en raison du rôle central que la marque a joué dans l’élaboration et la mise en œuvre d’objectifs de responsabilité d’entreprise. Son PDG affirmait à l’époque : « Le fait d’être guidée par des valeurs ne coûte pas à votre entreprise, cela l’aide. Il ne s’agit pas d’un coût, mais d’un adjuvant à sa rentabilité. » À première vue, cela peut sembler contre-intuitif, mais la logique s’est vérifiée. « Si vous soutenez la communauté, elle vous soutiendra. » L’entreprise fait figure de pionnière d’un mode de conduite des affaires répondant à un double objectif de profits financiers et humains. Considérée dans les années 1990 comme une sorte de hippie du monde de l’entreprise, Ben&Jerry’s est aujourd’hui devenue un modèle du rôle que le capitalisme des parties prenantes peut jouer dans le processus de guérison de notre société. En fin de compte, le changement climatique est l’affaire de tous les citoyens de la planète Terre.


1 Employés, clients, fournisseurs, toute personne avec laquelle les entreprises s’engagent, sur un pied d’égalité

2 Bien que le rachat par Unilever ait été controversé à l’époque, il convient de garder à l’esprit qu’Unilever est actuellement perçu comme un leader en matière de responsabilité des entreprises. Une sorte de « happy end » pour les livres d’histoire.