Quel avenir pour notre vie de famille?
La pandémie de Covid-19 a incité de nombreuses familles à réfléchir sur leur mode de vie. Les parents ont constaté que les longs trajets domicile-travail et les impératifs imposés par un coût de la vie élevé leur laissaient peu de temps à passer en famille, tandis que le télétravail a permis de faire l’expérience d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Mais le marché du logement est-il suffisamment flexible pour répondre aux nouveaux besoins?
Même avant la pandémie de Covid-19, il était déjà évident que certaines tendances en matière de logement n’étaient pas viables, du moins à moyen ou long terme. Ainsi, pendant des décennies, la construction de logements au Luxembourg n’a pas réussi à suivre l’expansion démographique, une situation partiellement masquée par le fait que la main-d’œuvre du pays est composée à quelque 47% de travailleurs frontaliers qui font quotidiennement le trajet depuis des régions et pays limitrophes.
Le pays compte désormais un peu moins de 690.000 habitants selon les chiffres d’octobre 2024, soit une hausse de 250.000 par rapport à l’an 2000. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande est à l’origine de l’un des marchés immobiliers les plus chers d’Europe. Les prix des logements ont pratiquement doublé entre 2007 et 2020, avant que la baisse de l’accessibilité exacerbée par la hausse des taux d’intérêt n’inverse la tendance après 2022.
Après deux décennies de flambée des prix de l’immobilier, de nombreuses familles se sont retrouvées dans des logements peu adaptés à leurs besoins. En 2020, Yves Mersch, alors membre du directoire de la Banque centrale européenne et ancien gouverneur de la Banque centrale du Luxembourg, résumait les problèmes du marché du logement luxembourgeois en ces termes: «L’insuffisance de la construction résidentielle due à des contraintes de capacité dans le secteur de la construction, mais aussi à des restrictions réglementaires, a exacerbé la pénurie de logements.»
Si les gouvernements luxembourgeois successifs ont adopté des mesures comme des incitants fiscaux pour la construction de nouveaux logements et des investissements dans des projets immobiliers nécessitant des capitaux pour être menés à bien, les politiques peinent à produire un impact significatif sur la pénurie chronique de logements adaptés. Les détracteurs estiment que l’approche de la construction de logements doit être réinventée – plutôt que de se contenter de construire plus, il faudrait aussi construire mieux.
Que veut-on dire par «construire mieux»?
Trop souvent, la construction résidentielle se borne à agencer le plus grand nombre possible de logements dans l’espace disponible, de plus en plus via d’imposants buildings, sans tenir compte des besoins de ceux qui y vivront. Si une famille devait concevoir la maison parfaite pour ses besoins, à quoi pourrait-elle ressembler? S’il s’agit d’une maison plutôt que d’un appartement, elle devrait contenir quelques éléments de base – un design fonctionnel, mais de préférence élégant, un jardin, une certaine individualité.
Trop souvent, la construction résidentielle s’est bornée à agencer le plus grand nombre possible de logements dans l’espace disponible, de plus en plus via d’imposants buildings, sans tenir compte des besoins de ceux qui y vivront.
L’accès aux infrastructures locales et l’environnement sont également des facteurs importants. Les familles désirent avoir accès à de bonnes écoles à proximité de leur domicile. Elles s’assureront de pouvoir se rendre facilement chez le médecin et accéder à d’autres services essentiels comme les gardes d’enfants. Et puis, il y a cette importance accordée à la qualité de vie, c’est-à-dire l’accès aux espaces verts, notamment les parcs, et aux équipements de loisirs tels que les piscines, les centres sportifs et les cinémas.
Parmi les autres facteurs à prendre en compte, l’approche «retour vers le futur»: à l’avenir, les maisons devront à nouveau être suffisamment grandes pour accueillir une famille élargie, comme c’était souvent le cas avant les années 1950. Compte tenu du coût de la vie élevé et, pour beaucoup, des dettes contractées pour financer les études, les familles sont de plus en plus confrontées au phénomène d’une génération «boomerang» – des enfants adultes qui retournent vivre dans la maison familiale.
La dernière enquête sur la composition et le bien-être des ménages menée en février 2020 par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, une agence de l’UE, a révélé que plus des trois quarts des jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans dans l’UE vivent généralement avec au moins l’un de leurs parents. Entre 25 et 29 ans, ils ne sont plus que 37%.
Il faut donc attendre plus longtemps avant d’envisager de troquer un logement devenu trop grand contre un plus petit. À cela s’ajoutent les besoins d’une population vieillissante; par rapport à de nombreux autres pays européens, le Luxembourg compte une population relativement jeune, mais étant donné les coûts élevés des structures d’accueil, de nombreux ménages peuvent également être contraints d’héberger des parents âgés.
Changement d’attitude des jeunes générations
L’accès à la propriété ne semble pas présenter le même attrait pour les Millennials – la génération des personnes nées entre 1981 et 1996, aujourd’hui pour la plupart trentenaires ou au début de la quarantaine, également baptisée «génération locataire» – que pour leurs parents. Il pourrait en être de même pour la génération suivante, la génération Z. Pour beaucoup, elle n’est pas abordable. Pour d’autres, elle est tout simplement coûteuse et contraignante pour une génération qui apprécie la flexibilité de se déplacer, de voyager et de prendre des pauses carrière.
L’accès à la propriété ne semble pas présenter le même attrait pour les Millennials – une génération principalement composée de trentenaires ou jeunes quarantenaires, également baptisée «génération locataire» – que pour leurs parents.
Des recherches ont indiqué qu’au Royaume-Uni, jusqu’à un tiers des Millennials ne pourront sans doute jamais se permettre d’être propriétaires de leur logement. La moitié d’entre eux seront contraints de louer bien au-delà de leurs 40 ans. Aussi les politiques de logement et d’aménagement du territoire doivent être formulées pour accompagner aussi bien ceux qui veulent louer que ceux qui cherchent à acheter.
Alors que de nombreux employés ont repris le chemin des bureaux à la fin de la pandémie de Covid-19, le télétravail est devenu un avantage indispensable pour de nombreux employés. Selon le Statec, l’institut national de la statistique, au deuxième trimestre 2023, 32% des résidents luxembourgeois télétravaillaient au moins deux jours par semaine.
Sur une base contractuelle, 20% en moyenne effectuaient une partie de leur travail à distance entre 2015 et 2019, avant la pandémie. D’après le Statec, près de 90% des employés de bureau télétravaillaient au moins un jour par semaine en 2023, ce qui implique que leur logement puisse se prêter aux exigences de travail.
Contraintes du télétravail pour les frontaliers
Les employés non-résidents du Grand-Duché, originaires de Belgique, de France et d’Allemagne, sont soumis à un plafond annuel du nombre de jours de télétravail autorisés en dehors du Luxembourg. En cas de dépassement, ils sont assujettis à l’impôt sur le revenu dans leur pays en vertu de règles qui ont été suspendues au début de la pandémie avant d’être rétablies en juin 2023. Les dispositions européennes fixent par ailleurs un plafond de 49% du temps de travail total effectué à domicile. Au-delà de ce plafond, les frontaliers relèvent du régime de sécurité sociale de leur pays d’origine plutôt que de celui du Luxembourg.
Dans le secteur des services financiers, le fait que l’employé travaille depuis son pays de résidence plutôt que du Luxembourg est en outre susceptible de donner lieu à des complications en matière de conformité d’une institution avec la législation sur la substance (employés sur le terrain) du pays où elle est domiciliée, ce qui peut soulever des problèmes fiscaux pour celle-ci.
Néanmoins, les restrictions de déplacement lors des confinements de 2020 et 2021 ont incité de nombreuses personnes à reconsidérer leur espace de vie – l’accès à un jardin, par exemple, ou à un espace vert partagé pourrait devenir de plus en plus une priorité. Les travailleurs pourraient être de moins en moins enclins à effectuer de longs trajets pour rejoindre les grandes villes et les centres d’affaires – même si ces trajets peuvent être plus supportables s’ils ne doivent être effectués qu’une ou deux fois par semaine.
Imaginer le changement
Certains signes montrent que les décideurs politiques commencent à prendre davantage en compte les besoins des familles dans la planification des nouveaux projets immobiliers. Citons à cet égard le projet Elmen, dans la municipalité de Kehlen, dont la mise en œuvre complète prendra 15 ans. L’idée est de créer un ensemble de structures villageoises connectées comprenant un total de 750 logements pour 2.200 habitants. Des principes de durabilité sont intégrés au projet afin de préserver et d’améliorer les espaces verts ainsi que la biodiversité de la zone et les énergies renouvelables sont mises à profit.
Dans le même temps, les chefs d’entreprise cherchent des solutions à l’insatisfaction suscitée par les trajets domicile-travail, y compris transfrontaliers, en tenant compte du coût environnemental que représentent même des modes de transport à moindre intensité de carbone comme le train. Certaines entreprises ont ainsi établi des bureaux à proximité des frontières luxembourgeoises, à la fois pour réduire la distance et la durée des déplacements réguliers des employés résidant à l’étranger et pour contourner les restrictions fiscales et de sécurité sociale liées au télétravail.
La pandémie a donné une impulsion à une tendance existante qui intègre des facteurs de protection de l’environnement et du climat dans le processus d’aménagement du territoire, un phénomène qui s’explique également par un changement d’attitude des investisseurs.
Un consensus se dégage sur le fait que ces nouveaux types de logements qui répondent mieux aux besoins des occupants et qui contribuent également à des objectifs environnementaux peuvent également s’avérer plus durables d’un point de vue financier. Pour que ce processus se généralise, les familles devront exiger des logements de meilleure qualité. Tant que les promoteurs immobiliers et les entreprises de construction tiraient des bénéfices importants de logements de piètre qualité – ce qui n’est plus le cas au Luxembourg – il n’y avait pas de véritable incitant au changement.
Pour que ce processus se généralise, les familles devront exiger des logements de meilleure qualité. Si les promoteurs immobiliers et les entreprises de construction peuvent continuer d’engranger des bénéfices élevés pour des logements de piètre qualité, ils n’ont pas de réel incitant à changer. Une meilleure coordination de la politique entre les promoteurs et les autorités en charge de l’aménagement du territoire est également requise. Lorsque les anciens modes de vie et de travail ne correspondent plus aux besoins et aux souhaits des salariés, il est temps de changer d’approche.