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21 novembre 2024

« Sully » ou comment bien décider

Avant de poser des choix, il est important de s’informer, de comparer et de réfléchir. C’est vrai, mais cela ne doit pas devenir un poids qui retarde à l’excès, voire qui empêche de décider. Lorsque la situation exige un choix, mieux vaut se contenter d’une décision satisfaisante et agir en fonction plutôt que de refuser d’agir faute d’avoir pu déterminer ce qui était le meilleur. C’est ce qu’illustre parfaitement l’histoire du Capitaine « Sully ».

Avez-vous visionné le film « Sully » avec Tom Hanks sorti en 2016? Il s’inspire d’un fait-divers très médiatisé qui illustre l’efficacité de la prise de décision reposant sur l’heuristique dite du meilleur choix, plus connue sous le nom de « take the best option ».

Un amerrissage réussi

Nous sommes le 15 janvier 2009. Après avoir décollé de l’aéroport de LaGuardia à New York, le vol US Airways 1549 heurte un vol d’oies du Canada. La taille et le nombre important d’oiseaux provoquent une perte de poussée simultanée des deux réacteurs de l’avion. Comprenant que son appareil vient de subir une avarie majeure, le commandant de bord, le Capitaine Chesley Sullenberger, surnommé « Sully », transmet alors immédiatement un message de détresse au contrôleur aérien. Ce dernier lui suggère de revenir atterrir sur la piste 13 de LaGuardia.

Sur base d’une évaluation rapide de la situation, Sully réalise intuitivement que se poser sur le fleuve Hudson peut sans doute être la seule option possible. Il répond donc au contrôle aérien, qu’il est incapable de faire demi-tour et qu’il pourrait bien finir par devoir tenter un amerrissage sur l’Hudson.

Ne comprenant pas la réalité et la gravité de ce que Sully lui répond, le contrôleur continue de chercher une meilleure solution et lui propose alors d’aller atterrir sur l’aéroport tout proche de Teterboro. Il fait même dégager les pistes préventivement pour rendre cela possible. Concentré sur la solution qu’il a en tête, le capitaine lui répond qu’il ne peut pas. Le contrôleur ne comprenant toujours pas que la décision de Sully est prise, il lui demande alors quelle piste il désire utiliser à Teterboro. Sully répond sans détour: « Nous allons dans l’Hudson ».

Désespéré par les réponses du commandant de bord, le contrôleur lui propose encore une autre option, l’aéroport international de Newark, qui se trouve à quelques kilomètres. Pour le capitaine Sullenberger, la décision est déjà prise et il se concentre à présent uniquement sur la préparation d’un amerrissage sur les eaux glaciales de l’Hudson river.

Grâce à une manœuvre qui inspire aujourd’hui l’admiration des pilotes du monde entier, l’avion est arrivé en dérapant sur la surface de l’Hudson, puis a légèrement pivoté sur la gauche avant de s’immobiliser sur les eaux. Immédiatement, le capitaine a aussi eu la présence d’esprit de faire évacuer l’appareil avant que celui-ci ne s’enfonce dans l’eau.

L’événement ayant été hyper médiatisé en son temps, tout le monde se souvient des images de passagers attendant sur les toboggans de secours de l’appareil qu’on vienne les secourir. L’histoire finit bien, il n’y a aucune perte humaine à déplorer. L’appareil est toutefois perdu.

Sully a-t-il bien choisi?

Que pensez de cette décision? Le happy end semble donner raison au commandant, mais était-ce vraiment le meilleur choix possible? Certes, les pilotes sont entraînés à amerrir, mais les cas de réussite de ce genre de manœuvre sont rarissimes. La décision était-elle bonne ou, tout en reconnaissant un vrai talent de pilote, Sully a-t-il juste eu beaucoup de chance?

Ce qu’il faut retenir, c’est que c’était le choix le plus satisfaisant dans une situation extrêmement délicate nécessitant une prise de décision immédiate.

On ne saura sans doute jamais si c’était le meilleur choix possible. Ce qu’il faut retenir, c’est que c’était le choix le plus satisfaisant aux yeux de celui qui l’a prise dans une situation extrêmement délicate exigeant une prise de décision immédiate dont les conséquences pouvaient être dramatiques. Cette décision, Sully l’a prise, n’essayant pas de savoir si oui ou non il allait réussir. Il l’a appliquée et a sauvé tous les passagers et membres d’équipage, lui compris.

Croyez-vous que le capitaine Sully soit doté d’un cerveau hors norme lui permettant de calculer à la minute toutes les options possibles pour retenir la meilleure possible? Pas du tout. Pendant ces trois minutes critiques de vol, le commandant Sullenberger n’a pas essayé de comparer toutes les options possibles avant de déterminer le meilleur choix. Au lieu de cela, il s’est arrêté sur la première option qui lui semblait acceptable dans ces circonstances très difficiles, puis il s’est concentré exclusivement sur celle-ci.

Était-ce un choix rationnel? Pas vraiment, et certainement pas du point de vue du contrôleur aérien qui s’est démené pour lui proposer d’autres options. Ce n’était pas non plus un choix rationnel du point de vue de la justice, puisque Sully a dû justifier en long et en large sa décision dans un procès très médiatique.

Un calme délibéré pour mieux agir

Le capitaine a confié plus tard que le critère qui a conduit à sa prise de décision a été le fait qu’il lui semblait impossible de calculer la vitesse de descente et les pourcentages de réussite d’atterrissage pour toutes les autres options en moins de 3 minutes. Cette situation était pour le moins inédite pour lui, il ne pouvait donc pas faire usage de son intuition pour s’en sortir.

Il a plutôt fait usage d’une combinaison de pensée analytique pour comprendre qu’il ne pouvait pas calculer rationnellement quelle serait la meilleure option. Se focalisant sur un seul choix jugé satisfaisant, il a mis son cerveau dans des dispositions aptes à créer ce que l’on nomme le calme délibéré. Cette disposition cérébrale particulière permet à un cerveau de laisser de la place pour générer un éclair de perspicacité et faire preuve de créativité pour gérer l’imprévu. Et qu’est-ce qu’une prise de décision efficace sinon la capacité à orienter son action de sorte à pouvoir affronter une situation donnée avec des moyens jugés satisfaisants?

Réduire le choix est déterminant pour tous ceux qui préfèrent l’efficacité à la quête de perfection.

On est loin de la pensée rationnelle et analytique pure de ceux qui veulent à tout prix maximiser leur prise de décision. Pourtant, c’est aussi la méthode privilégiée des commandants de forces armées sur les champs de bataille et autres professions dont la qualité de prise de décision est une question de vie ou de mort. Réduire le choix est déterminant pour tous ceux qui préfèrent l’efficacité à la quête de perfection.

Si en matière de prise de décision, les algorithmes et autres technologies comme les comparateurs d’options sont d’une aide précieuse, rien ne remplace la stratégie humaine et la capacité à arrêter un choix. Parfois, il faut savoir se satisfaire d’une bonne décision plutôt que de chercher une option potentiellement parfaite qui paralyse, par son inexistence, la prise de décision. C’est la leçon que nous rappelle avec maestria le commandant Sully!