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5 octobre 2024

Trop de choix tue le choix !

Vous est-il déjà arrivé de « bugger » au moment de devoir choisir ? Alors que vous vous étiez mis en tête de change d’opérateur téléphonique ou d’acheter des vins radicalement différents de vos habitudes, il n’en fut rien. Face à la multitude d’options possibles, vous avez fini par rester avec votre opérateur historique. De même, votre choix après réflexion (lassitude ?) s’est finalement arrêté sur ce Pinot Gris de la Moselle que vous consommez généralement. Bien choisir n’est pas simple. Que faire ?

Qui n’a pas vécu des expériences similaires au cours desquelles nous nous retrouvons littéralement bloqués au moment de devoir choisir ? Ce phénomène de blocage est bien connu depuis des décennies et il n’y a pas lieu de vous inquiéter si cela vous arrive. En revanche, il est intéressant de chercher à mieux en comprendre le mécanisme pour ne pas en être la victime. En effet, il serait dommageable de ne pas pouvoir bien décider le jour où une décision personnelle ou professionnelle essentielle s’impose. Tâchons de mieux comprendre ce qui est en jeu ici.

Une capacité limitée à décider

Pouvoir choisir librement constitue un élément déterminant de l’autonomie de la personne et de son épanouissement. Cela implique d’avoir le choix entre plusieurs options. Pour nos sociétés, c’est le cas dans quasiment tous les domaines. Et l’ère digitale a considérablement accru nos opportunités de choisir entre plusieurs options dans de très nombreux aspects de notre vie : depuis les céréales du matin jusqu’aux placements financiers, en passant par l’achat de vêtements ou le choix de son opérateur mobile. Tout ou presque est possible et disponible dans un nombre incalculable de versions.

Davantage de choix ne signifie pas pour autant un pouvoir décisionnel accru. Les capacités décisionnelles de notre cerveau ont des limites, même là où la liberté de choix est illimitée.

Mais cela nous rend-il vraiment plus autonome et épanoui pour autant ? En effet, davantage de choix ne signifie pas pour autant un pouvoir décisionnel accru. Les capacités décisionnelles de notre cerveau ont des limites, même là où la liberté de choix est illimitée.

Qui, avant de décider, opère véritablement les milliers de calculs et évaluations nécessaires pour soigneusement peser le pour et le contre de chacune des options proposées ? Personne ! Le plus souvent, nous nous laissons porter par des impressions et des préjugés. Résultat, nous prenons des décisions partiales, précipitées et imparfaites.

La surcharge de choix constitue un facteur important pour expliquer certaines de nos mauvaises décisions. Documentée comme un trouble cognitif, elle survient au cours d’un processus de prise de décision lorsque nous sommes confrontés à trop d’options entre lesquelles nous ne pouvons pas facilement choisir. La surcharge de choix est également plus susceptible de se produire lorsque nous prenons une décision dans un domaine que l’on ne maîtrise pas suffisamment.

Cela peut expliquer pourquoi, n’étant pas un expert en vin, vous achetez toujours les mêmes bouteilles, ou encore pourquoi vous ne parvenez pas à choisir le « bon » placement financier pour vous et laissez dormir votre argent sur un compte épargne.

Non seulement notre capacité à prendre une bonne décision est réduite par la surcharge de choix, mais aussi notre satisfaction à l’égard de la décision finale. Elle peut finalement entraîner une lassitude à l’égard des décisions, l’adhésion sans examen approfondi à l’option par défaut ou même l’évitement total de la prise de décision.

Comme notre corps dispose d’une énergie physique limitée pour se déplacer, notre volonté a ses limites lorsqu’elle s’engage dans une prise de décision.

Trop de choix tue le choix

Pourquoi la multitude de choix ne joue pas en notre faveur ? Tout simplement parce qu’elle nous épuise. Exactement comme notre corps dispose d’une énergie physique limitée pour se déplacer, notre volonté a ses limites lorsqu’elle s’engage dans une prise de décision.

En analysant plus de 600 études, les chercheurs Michael R. Cunningham et Roy F. Baumeister ont confirmé que la prise de décisions épuise notre volonté par un processus appelé « épuisement de l’ego ». Tout comme l’exercice physique fatigue les muscles de votre corps, chaque décision sollicite votre cerveau et épuise votre volonté jusqu’à la rendre incapable d’opérer correctement pour les décisions à venir.

Même les plus petites décisions peuvent poser un problème à notre cerveau. Sheena S. Iyengar et Mark R. Lepper de l’université de Columbia ont réalisé une expérience simple et édifiante sur ce point. Ils ont proposé aux clients d’un supermarché de tester des confitures parmi un choix de 24 sortes différentes. Ils ont renouvelé l’expérience le jour d’après, mais en limitant le choix à six sortes.

Résultat ? Alors que davantage de personnes se sont arrêtées pour déguster un échantillon lorsqu’il y avait 24 confitures proposées, à peine 3% de ceux ayant goûté des échantillons parmi les 24 confitures ont finalement acheté de la confiture. En revanche, parmi ceux qui ont testé l’un des 6 parfums le second jour, plus de 30% ont effectivement acheté. Incroyable !

L’architecture de choix comme aide à la décision…

Notre difficulté à choisir est un phénomène courant et connu depuis longtemps. Autant les spécialistes du marketing que les acteurs des grandes politiques publiques cherchent à l’exploiter pour nous aider à prendre les « bonnes » décisions. Comment ? En orientant le choix. C’est ainsi qu’est né le concept d’architecture de choix.

Une « bonne » architecture de choix tient compte du fonctionnement de notre esprit et du fait que nous avons des ressources cognitives qui s’épuisent. Elle s’appuie sur le fait que nous préférons la simplicité à la complexité, que nous aimons éviter de nous prendre la tête et que nous filtrons tout ce que nous n’avons pas besoin de garder à l’esprit.

L’architecture de choix consiste à nous donner un coup de pouce décisionnel en modifiant un élément dans l’environnement.

L’idée consiste à nous donner un coup de pouce décisionnel (parfois appelé « nudge ») en modifiant un élément dans l’environnement. Cette modification va nous orienter vers un choix, sans toutefois nous interdire de faire un autre choix. Nous conservons la liberté absolue de choisir, mais la difficulté du choix nous semble réduite par la mise en évidence d’une option ou d’un attribut spécifique au détriment de tous les autres. C’est par exemple le cas des options incluses par défaut dans une offre, mais que nous sommes absolument libre de ne pas contracter… à condition de faire la démarche pour les refuser.

L’architecture de choix fonctionne parce que nos comportements et décisions sont sensiblement influencés par la manière dont nous structurons notre environnement. Même des changements mineurs et en apparence insignifiants peuvent avoir un impact majeur. Ceux qui ont la connaissance et la maîtrise de ce qui nous fait réagir ont la capacité de structurer notre environnement pour nous pousser à décider dans telle direction plutôt que telle autre. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose en soi.

À la base, l’architecture de choix est supposée nous faciliter la vie et nous orienter, sans toutefois restreindre notre propre capacité cognitive à choisir. La théorie du Nudge a d’ailleurs valu à Richard Thaler, qui a co-écrit le livre du même nom avec Cass Sunstein en 2008, le prix Nobel d’économie. La théorie de l’architecture de choix permet de contribuer à résoudre des problèmes d’utilité publique.

Par exemple, en misant sur le fait que nous avons tendance à conserver les options par défaut plutôt que de faire la démarche de décider autrement, le « nudge » a permis d’augmenter le don d’organes dans les pays qui ont décidé d’inscrire par défaut les citoyens sur les listes de donneurs. Les citoyens peuvent se désinscrire s’ils le souhaitent, mais beaucoup ne le font pas. Finalement, le nombre de donneurs est bien supérieur à celui qui aurait été obtenu autrement.

… ou à la manipulation

Parfois, l’architecture de choix peut être exploitée afin de suggérer des options qui ne vont pas nécessairement dans l’intérêt du citoyen ou du consommateur. Il n’y a pas forcément de mauvaise intention, mais le fait que le choix soit orienté a des conséquences.

C’est ce qui a été remarqué dans les années 1990 aux Etats-Unis tandis que les États du New Jersey et de la Pennsylvanie ont introduit des réformes législatives offrant aux citoyens deux options pour leur assurance automobile. Les citoyens avaient le choix entre une assurance onéreuse intégrant le plein droit d’intenter une action en justice en cas d’accident ou une assurance automobile moins chère avec un droit de poursuite limité.

En Pennsylvanie, l’option chère était l’option par défaut tandis que, dans le New Jersey, l’option la moins chère était l’option par défaut. Il a été observé que, peu importe l’option par défaut, la plupart des citoyens n’ont pas pris la peine ou fait le choix actif de demander l’autre option.

L’option suggérée n’est pas forcément la meilleure pour nous.

Cet exemple nous montre que, s’il est utile d’avoir des aides à la décision, il est important de se poser la question sur la finalité de l’architecture de choix qui nous est présentée. L’option suggérée n’est pas forcément la meilleure pour nous. C’est encore plus vrai lorsqu’il est question de marketing et que le choix suggéré sert davantage les besoins et objectifs de vente d’une marque que les nôtres. Il est donc essentiel d’apprendre à bien décider, sans se laisser abuser par une architecture de choix.