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26 avril 2024

Connaître la vraie valeur de l’argent

Le phénomène de l’illusion monétaire a été popularisé dans les années 1920 par l’économiste Irving Fisher. Il désigne la non-perception de l’inflation et l’illusion selon laquelle l’argent conserve la même valeur au fil des années. La thésaurisation n’est donc pas une bonne solution.

Au départ, le phénomène de l’illusion monétaire était très controversé, de nombreux experts avançant qu’il était impossible de se tromper autant et que les gens agissent toujours de manière rationnelle. Leur contre-argument se fondait sur le fait que les individus pensent en termes de prix réels et adaptent leurs attentes en matière de salaire et de patrimoine en conséquence.

Avec le temps, davantage d’économistes ont rejoint le camp de Fisher et le monde universitaire reconnaît désormais largement l’existence du phénomène. Prenons un exemple : s’il fallait choisir entre une augmentation de salaire de 3 % pour une inflation de 4 % et une augmentation de salaire de 1 % pour une inflation de 1 % également, la plupart des gens opteraient pour la première proposition, négligeant le fait que celle-ci implique une perte de pouvoir d’achat de 1 % en termes réels et donc, au final, moins d’argent en portefeuille. Ils succombent ainsi à une illusion, partent du principe qu’ils disposent de 3 % de plus et stimulent l’économie.

Des entreprises et des consommateurs sous influence

Les économistes Eldar Shafir, Peter A. Diamond et Amos Tversky ont également apporté un éclairage intéressant sur l’illusion monétaire dans un article paru en 1997, démontrant qu’elle a une forte influence sur le comportement des entreprises et des consommateurs dans diverses situations bien réelles.

En ce qui concerne la stabilité des prix, par exemple, l’augmentation du prix des biens peut être lente, malgré la flambée du coût des intrants. Le propriétaire d’un magasin sera réticent à l’idée de relever les prix pour ses clients, et ce même s’il dépense davantage d’argent pour remplir ses rayons. L’inflation a tendance à être considérée comme un phénomène temporaire, malgré l’absence de preuves concrètes à cet égard.

Les universitaires ont également constaté que les contrats ne sont pas aussi souvent indexés sur l’inflation qu’ils le devraient. Par exemple, le prix d’un verre de 20cl de Coca-Cola avait été fixé à 5 cents aux États-Unis en 1886 et n’a guère évolué (hormis quelques fluctuations locales) jusqu’en 1959 !

S’ils placent une part trop importante de leurs actifs dans des liquidités, les retraités risquent de se trouver à court d’argent.

Non-prise en compte de l’inflation

En théorie, tout calendrier de paiement devrait intégrer les hausses de l’inflation. Étant donné que presque toutes les banques centrales du monde développé ciblent une inflation de 2 % maximum par an, il est surprenant qu’elle ne soit pas prise en compte plus souvent et de manière automatique dans la planification financière.

1,4 %

En 2019, le taux d’inflation moyen au Luxembourg s’établissait à environ 1,7 % en glissement annuel. Il devrait se situer aux alentours de 1,4 % en 2021.

Si l’inflation n’est pas intégrée automatiquement dans les salaires (comme c’est généralement le cas au Luxembourg), cela signifie qu’en période d’inflation plus élevée, le coût du recrutement de salariés peut baisser en termes réels. En théorie, cela signifierait que plus le taux d’inflation est important, plus une société peut engager de personnel.

La plupart des systèmes fiscaux sont progressifs avec des tranches correspondant à différents niveaux de revenus. Cependant, ces tranches n’évoluent pas toujours de concert avec l’inflation et, le cas échéant, ce n’est qu’a posteriori. Cela signifie qu’en période de hausse de l’inflation, les sociétés peuvent relever les salaires, mais cela fera entrer les salariés dans la tranche supérieure, les assujettissant à des impôts plus élevés, ce qui est susceptible de limiter leur pouvoir d’achat. Ainsi, une augmentation de salaire de 2,5 % ne compense pas nécessairement une hausse des prix de la même ampleur.

C’est le pouvoir d’achat qui compte, pas la valeur monétaire nominale.

Surévaluation des liquidités

Shafir, Diamond et Tversky ont également découvert que le « discours social », notamment dans les médias, reflétait la confusion répandue entre valeur nominale et réelle. Ce problème est d’autant plus évident dans le cadre du débat sur les tendances d’épargne. En général, les individus s’entêtent à considérer les liquidités comme une option sûre pour l’épargne à long terme, une attitude reflétée dans les commentaires des médias sur l’épargne (faible risque) et les investissements (risque élevé). En effet, la valeur nominale de l’argent placé sur un compte d’épargne augmente légèrement ou reste stable, ce qui est rassurant par rapport à la volatilité des prix nominaux des actions.

Toutefois, les comptes d’épargne ne sont pas « sûrs » dans le sens où, s’ils placent une part trop importante de leurs actifs dans des liquidités, les retraités risquent de se trouver à court d’argent. Si l’inflation dépasse le rendement de l’épargne de 2 % par an, la valeur d’une somme de 100.000 € diminuera à environ 82.000 € sur 10 ans. En d’autres termes, le pouvoir d’achat de 100.000 € à la valeur actuelle ne sera plus équivalent qu’à 82.000 € dans 10 ans.

Le marché boursier affiche un bien meilleur historique de croissance du patrimoine dans le temps. Le seul rendement du dividende des actions est actuellement supérieur à l’inflation.

L’illusion monétaire peut également inciter à effectuer des dépenses irrationnelles. Ainsi, une expérience menée aux Pays-Bas a révélé que lorsque les pays européens ont adopté l’euro en 2001, les dons aux œuvres de bienfaisance ont nettement augmenté. Pour quelle raison ? Selon les experts, les Néerlandais anticipaient un taux de conversion florin/euro approximatif de 2 florins pour 1 euro, et lorsque le taux a été fixé à 2,2, ils se sont sentis plus riches.

De manière générale, il ne faut pas se fier à ses sentiments en matière d’argent. L’argent doit non seulement être géré en considérant la valeur nominale, mais également ce qu’il permet d’acheter dans le monde réel. Il est essentiel de garder ces considérations à l’esprit afin de préserver et d’accroître votre patrimoine sur le long terme.