Entrepreneurs, méfiez-vous de l’auto-complaisance!
Êtes-vous un self-made man ou une self-made woman qui avez créé et fait fructifier votre entreprise grâce à vos seules compétences? Si vous avez toutes les raisons d’être satisfait(e) du chemin parcouru, il est impératif de ne pas vous reposer sur vos lauriers et de continuer à vous remettre en question.
Cela n’a pas toujours été simple mais, jusqu’à présent, votre petite entreprise n’a pas connu la crise. Les voyants sont au vert. Aujourd’hui, il est peut-être temps pour vous de changer de braquet, d’effectuer un recrutement crucial, de prendre des décisions d’investissement importantes, d’ouvrir votre capital à un nouvel actionnaire ou d’envisager un développement à l’international. Pas de raison d’avoir peur. Après tout, vous avez toujours relevé les défis passés avec brio grâce à vos compétences et vous êtes certain de ne pas vous tromper.
Cette conviction profonde est-elle légitime? Bien sûr, vous vous appuyez sur tous vos succès passés pour la justifier. Avez-vous également pris le temps de faire l’inventaire de vos erreurs avec humilité? Croire en soi est une chose, croire ses compétences infaillibles est source d’arrogance et d’erreurs. Cela s’appelle le biais d’auto-complaisance et, comme le dit le proverbe, « l’arrogance précède la ruine, et l’orgueil précède la chute ».
Décryptons ensemble ce phénomène qui consiste à avoir des œillères afin de vous aider à apprendre à mieux reconnaître vos erreurs afin de ne pas les répéter à l’avenir.
Le biais d’auto-complaisance est ce phénomène qui consiste à toujours se percevoir sous un jour (trop) favorable.
Qu’est-ce que le biais d’auto-complaisance?
Le biais d’auto-complaisance est ce phénomène qui consiste à toujours se percevoir sous un jour (trop) favorable. Il décrit la tendance d’une personne à attribuer sa réussite à ses qualités propres (causes internes) et à imputer ses échecs à des facteurs indépendants de sa personne et sur lesquels il n’a pas de prise (des causes externes). Nous avons tous été victimes un jour ou l’autre de ce biais, par exemple à l’école. Une bonne note était forcément le fruit de notre travail et intelligence. Une mauvaise note était bien entendu la faute de ce professeur beaucoup trop sévère qui ne vous aimait pas!
On ne va pas se mentir, vous comme nous aimons nous présenter sous un jour favorable et flatteur. Cela fait du bien à notre égo et nous ouvre des portes, surtout si nous pouvons effectivement nous prévaloir de franc succès. Ce n’est pas un problème majeur, tant que nous restons capables de faire la part des choses.
La littérature psychologique et économique souligne que les entrepreneurs qui ont réussi à faire fructifier leur entreprise ont tendance à vanter leurs qualités et compétences personnelles et à sous -évaluer la part de chance qui leur a permis de réussir. Et lorsqu’ils échouent, ces mêmes entrepreneurs ont tendance à blâmer la malchance, la crise ou à trouver des explications qui leur évitent de devoir se remettre en question.
Nous sommes rarement objectifs lorsqu’il s’agit d’évaluer nos propres performances ou contre-performances. C’est la raison pour laquelle il faut se méfier de tous ces témoignages sur LinkedIn ou ailleurs qui expliquent les raisons du succès de tel entrepreneur ou de tel sportif. La personne derrière ce témoignage ne raconte sans doute qu’une partie de l’histoire qui lui est favorable, en occultant – consciemment ou non – certains échecs passés ou la part de chance.
Attribution causale et performance
En psychologie, le biais d’auto-complaisance est étudié sous l’angle des attributions causales. Afin de mieux appréhender et décrypter notre environnement, nous cherchons constamment à identifier les causes des interactions sociales et événements vécus.
Deux attributions causales sont dites internes, il s’agit de la capacité et de l’effort. Deux sont dites externes, il s’agit de la difficulté et de la chance.
Le père de la théorie de l’attribution causale est Fritz Heider. Dès 1958, il explique dans son ouvrage The Psychology of Interpersonal Relations, qu’il existe quatre types d’attributions causales possibles à ce qui nous arrive. Deux attributions sont dites internes, il s’agit de la capacité et de l’effort. Deux sont dites externes, il s’agit de la difficulté et de la chance.
Par exemple, réussir un investissement très rentable peut s’expliquer par la compétence de l’investisseur sur le sujet, par ses efforts afin de faire fructifier l’investissement ou simplement par un coup de chance suite à des conditions de marché totalement imprévisibles. Sous l’influence du biais d’auto-complaisance, une personne aura une vision déformée de ce qui relève de ses compétences en négligeant les facteurs externes. Notre investisseur va alors croire que sa réussite s’explique uniquement grâce à son analyse sans faille du marché. À l’inverse, il attribuera exclusivement à la malchance ou aux mauvais conseils d’un tiers la perte enregistrée sur un autre placement financier.
Ce biais peut particulièrement nuire aux entrepreneurs, car il conduit un individu à ignorer ses lacunes et échecs. Il peut alors perdre tout sens autocritique et s’enfermer dans une illusion d’infaillibilité nuisible à la pérennité de son activité. En bref, il n’est plus capable d’apprendre de ses erreurs.
L’humilité comme vecteur de succès et de leadership
Pour atteindre vos objectifs et ambitions, tant dans votre vie professionnelle que privée, il faut savoir apprendre de ses erreurs pour s’améliorer. Mais si vous devenez incapable d’attribuer vos échecs aux erreurs que vous avez commises, l’amélioration devient beaucoup plus difficile.
L’échec est une partie inévitable de la vie et de l’aventure entrepreneuriale. Il n’y a que ceux qui n’entreprennent rien qui n’échouent jamais. L’échec est le signe que vous savez sortir de votre zone de confort. L’échec devient « noble » (noble failure) si vous êtes capable d’en tirer des enseignements productifs pour l’avenir.
Avoir l’humilité de reconnaître ses manquements est une preuve de maturité et une condition essentielle pour progresser.
Personne ne prend plaisir à reconnaître ses erreurs et beaucoup ont peur de perdre la face s’ils le font. Avoir l’humilité de reconnaître ses manquements est pourtant une preuve de maturité et une condition essentielle pour progresser. À l’inverse, rejeter sans cesse la faute sur les autres et s’attribuer seul les lauriers des succès sont des comportements toxiques en management.
Revenons à l’entrepreneur que vous êtes. Savoir assumer vos erreurs, c’est démontrer une maturité qui assoit votre légitimité de leader et qui permet de renforcer la confiance, que cela soit auprès des actionnaires, des employés ou de ceux qui sont prêts à financer vos projets. Vous devez absolument vous convaincre qu’il y a de la valeur à échouer et à assumer la responsabilité de ses actions.
En refusant d’assumer vos échecs, vous conservez peut-être une bonne image de vous mais, dans la durée, vous ne trompez personne. Et cela met votre entreprise en danger. Comment bâtir quelque chose de durable avec un leader qui n’apprend pas de ses échecs? Comprenez bien que nous ne vous souhaitons nullement d’échouer. Nous voulons juste vous encourager, lorsque cela arrive, à prendre vos responsabilités, à accepter les critiques et à les analyser à tête reposée pour progresser.
Disposez-vous d’un journal de vos investissements ou de décisions professionnelles? Si oui, vous serez capable de croiser ces critiques avec les raisons qui vous ont amené à prendre telle ou telle décision. Il vous sera alors possible de découvrir si vous aviez raison ou si, manifestement, vous avez fait des erreurs qu’il convient de corriger. Vous parviendrez peut-être même à identifier certains schémas décisionnels nuisibles à revoir complètement à l’avenir.
Relisez vos classiques
Ce n’est qu’en admettant et en examinant vos erreurs que vous pouvez apprendre de ces erreurs. Le biais d’auto-complaisance nuit depuis toujours aux entrepreneurs. Pour s’en convaincre, il suffit de relire la fable L’ingratitude et l’injustice des hommes envers la fortune de Jean de La Fontaine. En voici un extrait:
Un trafiquant sur mer, par bonheur, s’enrichit.
Il triompha des vents pendant plus d’un voyage:
Gouffre, banc, ni rocher, n’exigea de péage (…) »
Un sien ami, voyant ces somptueux repas,
Lui dit: « Et d’où vient donc un si bon ordinaire?
– Et d’où me viendrait-il que de mon savoir-faire?
Je n’en dois rien qu’à moi, qu’à mes soins, qu’au talent
De risquer à propos, et bien placer l’argent. »
Le profit lui semblant une fort douce chose,
Il risqua de nouveau le gain qu’il avait fait;
Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.
Son imprudence en fut la cause (…)
Mais je sais que chacun impute, en cas pareil,
Son bonheur à son industrie;
Et, si de quelque échec notre faute est suivie,
Nous disons injures au Sort.
Chose n’est ici plus commune.
Le bien, nous le faisons; le mal, c’est la Fortune:
On a toujours raison, le Destin toujours tort.
Entrepreneurs, méfiez-vous de l’auto-complaisance!