Le problème des liquidités pour les investisseurs
Dans un contexte de baisse des taux d’intérêt, l’éternel problème des liquidités se rappelle de plus en plus au bon souvenir des investisseurs. Dès lors que les établissements bancaires réduisent les taux d’intérêt des comptes d’épargne en réaction à la baisse des taux de réserves obligatoires des banques centrales, les revenus de l’épargne diminuent également. Si le niveau élevé des taux d’intérêt observé entre 2022 et juin 2024 a permis aux investisseurs d’ignorer ce problème, ils ne pourront pas y échapper indéfiniment.
La Banque centrale européenne a abaissé ses taux d’intérêt entre juin et novembre 2024 et ne s’arrêtera très probablement pas là. La Banque d’Angleterre lui a emboîté le pas, tandis que la Réserve fédérale américaine a réduit ses taux pour la première fois en quatre ans, d’abord de 0,5% en septembre 2024, puis de 0,25% en novembre.
Les économistes ne sont guère nombreux à anticiper un retour des taux d’intérêt à un niveau nul, comme c’était le cas après la crise financière, mais il deviendra probablement de plus en plus rare de voir des taux d’épargne de l’ordre de 3 à 4%, la rémunération plus élevée offerte par les dépôts protégés n’étant souvent que très peu considérée dans le climat économique actuel. Dès lors que les banques centrales réduisent les taux d’intérêt qu’elles versent aux banques commerciales, les établissements européens ont réagi en diminuant le rendement de leurs produits d’épargne pour les clients.
Mais les investisseurs restent attachés aux liquidités et aux produits similaires. Durant l’été 2024, les fonds monétaires, qui détiennent des liquidités et des actifs d’échéance courte tels que des emprunts d’État, ont ainsi continué d’enregistrer des entrées de capitaux record. En juillet, dans un contexte d’incertitudes quant aux perspectives de croissance économique et à la trajectoire des taux d’intérêt, les fonds monétaires ont attiré pas moins de 32,6 milliards d’euros selon Morningstar. La certitude de récupérer l’intégralité du montant investi est rassurante et renforce l’attrait de l’épargne liquide, en particulier dans un environnement économique moins favorable ou plus complexe.
Inflation et coût d’opportunité
Cependant, peut-on réellement affirmer que les investisseurs sont assurés de récupérer ce qu’ils ont investi? La détention d’importantes quantités de liquidités comporte deux grands risques, à commencer par l’inflation. Lorsque celle-ci est élevée, un capital qui ne grandit pas ne vous permettra plus d’acheter autant qu’auparavant – un effet qui s’aggrave au fil du temps. L’épargne peut être considérée comme un simple report de la consommation à une date ultérieure et il convient donc de tenir compte de la capacité de pouvoir d’achat lors de l’évaluation de la valeur réelle, dans la durée, des fonds mis de côté.
La détention d’importantes quantités de liquidités comporte deux grands risques: l’inflation et le coût d’opportunité.
Une épargne liquide de 100.000€ ne vaudra ainsi plus que 61.000€ en termes réels après 25 ans si l’inflation correspond en moyenne à l’objectif de 2% de la Banque centrale européenne. Si l’inflation atteint 3%, ce montant baisse à 47.800€. Il convient de noter que l’inflation dans la zone euro a été supérieure à 3% entre août 2021 et octobre 2023. Même si les intérêts perçus sur l’épargne atténuent dans une certaine mesure cette perte de valeur, ils ne permettent bien souvent aux investisseurs que d’atteindre au mieux le point d’équilibre.
C’est là qu’intervient le second risque: le coût d’opportunité lié à la détention de liquidités. Par définition, l’épargne détenue en espèces n’est pas investie en actions, en obligations ou dans d’autres actifs, ce qui signifie que les investisseurs se privent d’un potentiel de croissance important.
L’indice des actions américaines S&P500 a par exemple enregistré un rendement annualisé de 10,9% en euros au cours des 10 dernières années (à fin 2024). Autrement dit, un investissement de 100.000€ aurait rapporté 295.967€. Pour les investisseurs à long terme qui ont besoin que leur argent génère les meilleurs rendements possibles afin de maximiser leur revenu de retraite, conserver des actifs en espèces revient à renoncer à une grande partie des rendements potentiels.
En outre, les investissements boursiers offrent généralement une meilleure protection contre l’inflation, dans la mesure où les entreprises peuvent augmenter leurs prix afin de faire face à la hausse de leurs coûts internes. Les investisseurs en actions bénéficient ainsi d’un avantage intrinsèque.
N’oublions pas non plus les dividendes. Certes, ils ne sont pas forcément garantis de la même manière que les intérêts d’un compte d’épargne, mais de nombreuses sociétés européennes cotées versent une partie de leurs bénéfices aux actionnaires. Le rendement du dividende moyen des entreprises de l’indice Euro Stoxx50 s’élève à 2,7% du prix des actions. Dans bien des cas, ces revenus augmenteront au fil du temps, à mesure que les entreprises réaliseront des bénéfices de plus en plus importants. Ils offrent une solide protection contre l’érosion de la valeur d’un portefeuille provoquée par l’inflation.
L’illusion du market timing
L’autre argument en faveur des liquidités est qu’elles peuvent offrir un refuge bien utile. En cas de turbulences ou d’accès de faiblesse sur les marchés, les investisseurs peuvent en effet se replier sur les liquidités et revenir sur le marché une fois que les perspectives se seront améliorées. C’est une excellente idée en théorie, mais difficile à mettre en œuvre dans la pratique.
Chaque année, le groupe Dalbar, basé à Boston et spécialisé dans la recherche sur les marchés et le conseil dans le secteur des services financiers, réalise une étude qui compare les performances du marché boursier et les rendements des investisseurs en actions. En théorie, les deux devraient être identiques, mais un facteur vient presque systématiquement gripper la machine: le comportement des investisseurs.
Au fil des années, l’étude de Dalbar a toujours montré que les investisseurs retirent généralement leur argent du marché boursier au moment le moins opportun, lorsque les cours des actions flirtent avec le point le plus bas d’une phase baissière. Ils ont également tendance à investir au mauvais moment, lorsque les actions sont proches de leurs niveaux les plus onéreux, ce qui pèse sur leurs rendements à long terme. En 2023, par exemple, Dalbar a constaté que l’investisseur en actions moyen gagnait 5,5% de moins que la performance du S&P500.
Le problème vient en partie du fait qu’investir au plus bas s’inscrit dans un contexte de perspectives particulièrement moroses. En 2020, cela aurait impliqué d’investir durant les premiers mois de la pandémie de Covid-19, alors que de nombreux pays avaient imposé des mesures de confinement (distanciation sociale, fermeture des activités non essentielles, etc.) et qu’il n’existait encore aucun vaccin.
La stratégie la plus efficace consiste à rester investi contre vents et marées et à ignorer les fluctuations à la hausse comme à la baisse des marchés.
Pour prendre leurs bénéfices au bon moment, les investisseurs auraient dû vendre à l’instant où les économies redémarraient et où le monde retrouvait un semblant de normalité. Plus facile à dire qu’à faire, dès lors que l’esprit humain n’est pas conditionné, d’un point de vue psychologique, pour prendre de telles décisions dénuées de toute émotion. La stratégie la plus efficace consiste à rester investi contre vents et marées et à ignorer les fluctuations à la hausse comme à la baisse des marchés.
Faire face aux imprévus
Bien entendu, les liquidités ont toujours leur place. Il est conseillé de garder en réserve de quoi couvrir plusieurs mois de dépenses afin de se prémunir contre les aléas de la vie (licenciement, maladie, réparation de toiture, etc.). C’est également une option intéressante pour financer des projets à court terme.
Les liquidités offrent par ailleurs une certaine flexibilité. Si vous hésitez par exemple entre différentes stratégies d’investissement, il peut être judicieux de conserver de la trésorerie tant que vous n’avez pas arrêté votre décision. De même, si vous venez de recevoir une grosse somme d’argent, pourquoi ne pas l’investir au fur et à mesure sur les marchés financiers plutôt qu’en une seule fois? Vous atténuez ainsi le risque d’investir alors que les marchés sont à leur plus haut.
Néanmoins, les liquidités ne peuvent constituer le cœur d’une stratégie d’investissement. Si les liquidités représentent une part trop importante de vos actifs, il vous sera plus difficile d’atteindre vos objectifs d’investissement à long terme et de vous constituer un patrimoine. L’investissement est une discipline qui a pour but de faire fructifier votre argent et, en fin de compte, de vous rendre financièrement indépendant. Les investisseurs qui privilégient l’épargne doivent être attentifs au risque de baisse des taux d’épargne et à l’impact de l’inflation sur leur capacité de pouvoir d’achat.
Par définition, l’épargne détenue en espèces n’est pas investie en actions, en obligations ou dans d’autres actifs, ce qui signifie que les investisseurs se privent d’un potentiel de croissance important.