Mes finances, mes projets, ma vie
27 mars 2023

L’illusion du market timing

Investir est désespérément simple : vous épargnez de manière régulière, investissez à long terme et ne cédez pas à la tentation de prédire les mouvements des marchés. L’ennui, c’est que de nombreux investisseurs dérogent à cette règle élémentaire, en espérant pouvoir vendre leurs placements avec succès lorsque les marchés sont à la baisse et racheter sur le marché lorsqu’ils anticipent un rebond. myLIFE vous explique en quoi cette course au « market timing » peut vous empêcher de créer de la richesse sur le long terme.

La question prend d’ailleurs aujourd’hui tout son sens, au vu de l’atonie des marchés depuis début 2018 et alors que certains segments tels que les marchés émergents ont chuté de 10 % ou plus, sans même parler de la dégringolade de fin d’année 2018. Nombre d’investisseurs se demandent s’ils ne devraient pas stopper l’hémorragie en vendant, tandis que d’autres ont perdu toute envie de continuer à investir sur les marchés boursiers. Selon la Fédération européenne des fonds et sociétés d’investissement (EFAMA), les ventes nettes de fonds d’actions se sont élevées à 5 milliards EUR en octobre, contre 9 milliards EUR en juillet.

À première vue, cela n’a aucun sens. Pourquoi les investisseurs étaient-ils plus enclins à acheter en juillet alors que les actifs étaient environ 8 % plus chers ? Qu’il s’agisse de voitures ou de maisons, il n’existe pratiquement aucun autre marché sur lequel les gens se sentent plus à l’aise d’acheter lorsque les prix sont plus élevés. Dans la plupart des domaines de la vie, ils recherchent les bonnes affaires. Dans le domaine de l’investissement boursier, cependant, de puissantes forces psychologiques sont à l’œuvre.

Passer d’un investissement à l’autre, est-ce que ça fonctionne ?

Des scientifiques spécialisés dans la finance comportementale ont longuement examiné les raisons pour lesquelles les investisseurs agissent de façon irrationnelle, vendent lorsque les marchés sont bas et rachètent quand ils sont élevés. En théorie, anticiper correctement l’évolution des marchés devrait permettre d’engranger des gains démesurés. Par exemple, si vous aviez vendu un fonds des marchés émergents au début de l’année et conservé le produit en espèces, vos gains auraient été 10 % plus élevés qu’en restant investi sur la même période. De même, un investisseur assez avisé pour investir en mars 2009, alors que les marchés étaient au plus bas en raison de la crise financière mondiale, aurait bénéficié de rendements intéressants au cours des années suivantes.

John Authers du Financial Times a utilisé un modèle simple basé sur l’échange entre deux ETF, une position longue sur SPY (S&P 500) et une position courte sur TLT (obligations longues), et vice versa, depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Il en a conclu qu’en 15 ans, un investisseur n’a eu besoin de passer d’une position à l’autre qu’à cinq reprises pour que ses 100$ de départ se transforment en 5.888$. En revanche, en achetant le S&P et en le conservant, il n’aurait obtenu que 440$.

La plupart des investisseurs vendent à la moindre panique, convaincus que les marchés sont sur une tendance baissière à long terme.

Le problème, c’est que cette analyse est réalisée avec du recul : l’écrasante majorité des investisseurs n’effectueraient que rarement, voire jamais, ces échanges au bon moment. La plupart des investisseurs vendent à la moindre panique, convaincus que les marchés sont sur une tendance baissière à long terme. Comme l’affirmait Paul Samuelson, économiste américain de renom et lauréat du prix Nobel : « Les marchés ont prédit neuf des cinq dernières récessions. » Les marchés obéissent très rarement à des comportements rationnels, et en vendant au premier signe de difficulté, l’investisseur risque de ne pas profiter d’une reprise des cours des actions ou de dividendes.

Ce réflexe est particulièrement dommageable, dans la mesure où il n’est pas rare que les marchés remontent rapidement après des corrections soudaines. Selon le groupe américain Putnam Investments, une personne qui aurait investi 10.000 $ dans le S&P 500 à la fin de l’année 2002 et serait restée pleinement investie pendant les 15 années suivantes aurait vu ce montant atteindre 41.333 $, soit près du double par rapport aux 20.873 $ pour un investisseur qui aurait manqué les 10 meilleurs jours du marché durant cette période.

Dans de nombreux cas, selon Putnam, ces meilleurs jours ont immédiatement suivi une correction, comme ce fut le cas lors du rebond de trois jours après la chute spectaculaire qui a suivi le vote sur le Brexit au Royaume-Uni en 2016, ou après la panique du marché lorsque Standard & Poor’s a abaissé la note de crédit souveraine américaine.

Selon les spécialistes du comportement, le principal problème est que les investisseurs favorisent les comportements grégaires (…) alors qu’aller à contre-courant peut procurer un avantage certain.

Comportement grégaire et excès de confiance

Selon les spécialistes du comportement, le principal problème est que les investisseurs favorisent les comportements grégaires. Du temps où l’homme chassait dans la savane africaine, il avait tout intérêt à se joindre à un groupe, de manière à mieux se protéger contre les prédateurs. Mais cet instinct primaire n’a pas nécessairement d’utilité dans le domaine de l’investissement, alors qu’aller à contre-courant peut procurer un avantage certain.

Les êtres humains sont également naturellement enclins à réagir de façon excessive aux bonnes ou aux mauvaises nouvelles – et ils ont également tendance à surestimer leur capacité à prévoir les mouvements du marché. Ce postulat se vérifie également dans d’autres domaines de la vie : 82 % des jeunes conducteurs américains se placent dans les 30 % supérieurs de leur groupe de pairs en termes de sécurité et les entrepreneurs surestiment largement les chances de succès de leur entreprise.

La finance comportementale suggère que cette tendance à réagir de manière excessive s’accentue encore davantage aux points de pression, lorsque les enjeux sont plus importants, comme à l’approche de la retraite, lorsque des décisions importantes sont prises pour les enfants, ou lorsque l’économie est en difficulté et que les gens craignent de perdre leur emploi.

Ces caractéristiques comportementales ont des conséquences financières réelles. L’analyse quantitative annuelle du comportement des investisseurs de Dalbar démontre dans la durée que les investisseurs posent de mauvais choix et que cela leur fait perdre de l’argent. Ils ne perçoivent en effet pas le rendement publié des fonds dans lesquels ils investissent, mais plusieurs points de pourcentage de moins, et ce parce qu’ils ont une fâcheuse tendance à acheter et à vendre au mauvais moment.

Le cabinet d’études de marché américain affirme que le rendement annualisé sur 20 ans du S&P 500 est supérieur à 8 %, alors que l’investisseur moyen en obtient des rendements de 4,7 % environ. Si l’on cumule cet écart au fil des années, la différence de richesse peut s’avérer considérable sur le long terme. Un investissement de 50.000 €, qui progresse chaque année de 8 % durant 20 ans, générera quelque 233.048 € ; à 4,7 %, il n’atteindra que 125.286 €.

Un autre problème est que les entrées et les sorties entraînent des coûts, qui érodent également les rendements, avant même de prendre en compte le coût d’opportunité de l’exclusion du marché.

Un autre problème est que les entrées et les sorties entraînent des coûts tels que les frais de transaction et de courtage, qui érodent également les rendements, avant même de prendre en compte le coût d’opportunité de l’exclusion du marché. Peu d’investisseurs tiennent compte des frais au moment de faire leur choix, mais des coûts de 0,5 % ici ou là peuvent s’accumuler avec le temps, surtout si le passage d’un investissement à l’autre ne produit aucun gain tangible.

Rester investi

La structure actuelle du secteur de l’investissement ne fait pas grand-chose pour encourager les gens à rester investis. Pire même, il semblerait que certains secteurs cherchent à rendre le market timing aussi rapide et efficace que possible. Par exemple, en théorie, les ETF peuvent être négociés en temps réel, à l’instar des actions, ce qui encourage les échanges trop fréquents.

Certains groupes de gestion de fonds mettent en place des structures de frais qui incitent à demeurer investi pendant les périodes difficiles, par exemple en réduisant les frais annuels en période de tensions sur le marché ou si le fonds a affiché un rendement médiocre par rapport à un indice de référence. Bien que souvent compliquées, ces mesures peuvent constituer une innovation bienvenue par rapport au modèle tarifaire standard.

Tout porte à croire que la meilleure façon de constituer un patrimoine est d’épargner régulièrement, de positionner correctement son portefeuille en fonction de ses objectifs à long terme, puis de le laisser tranquille. Prédire l’évolution du marché est un jeu de dupes.