Parole d’expert : « entre appétence et aversion au risque »
Lorsque nous avons essayé de résumer le mois écoulé et les oscillations entre optimisme et pessimisme, la seule image qui nous est venue à l’esprit a été le film Karate Kid, dans lequel Daniel-san nettoie des voitures au rythme des ordres de M. Miyagi : « lustrer, frotter, lustrer, frotter… ». Le mois de janvier sur les marchés a alterné entre « appétence pour le risque, aversion au risque, appétence pour le risque, aversion au risque… ». Le mois a souligné l’importance de formuler une stratégie d’investissement rigoureuse et de s’y tenir, sans que celle-ci se laisse emporter par l’optimisme et le climat sur le marché, ni qu’elle flanche aux premiers signes de tensions.
Appétence pour le risque
Les actions ont démarré l’année 2020 en fanfare, avec un accord commercial provisoire entre les États-Unis et la Chine alimentant l’optimisme au sujet de la croissance mondiale, ce qui a permis aux principaux indices d’atteindre de nouveaux sommets. Si les données disponibles pointent vers un redressement de l’économie et laissent entendre que les craintes de récession de l’automne passé ne se concrétiseront probablement pas, elles doivent encore nous convaincre que la croissance mondiale est sur le point de reprendre de la vitesse.
À des fins d’illustration, prenons l’indice des directeurs d’achats (PMI) du secteur manufacturier, lequel est considéré comme un indicateur de croissance avancé. Dans la zone euro, en dépit de timides progressions à la hausse, l’indice reste inférieur à 50, ce qui laisse entendre une contraction. Aux États-Unis, le PMI manufacturier suit une trajectoire baissière depuis novembre, bien qu’il reflète toujours une expansion (la dernière valeur ressortait à 51,7).
Les investisseurs, pleins d’optimisme, ont cependant déjà intégré un rebond de la croissance. Si les dernières phases du cycle sont en principe profitables pour les actifs risqués (ce qui pourrait particulièrement être le cas dans l’environnement actuel dominé par la largesse des banques centrales), nous commençons à craindre une certaine complaisance sur les marchés et avons préféré attendre que les fondamentaux et les prévisions bénéficiaires justifient une augmentation de notre exposition aux actions. Pour l’heure, ce sont les valorisations qui jouent le plus en défaveur des actions : les bénéfices doivent à présent prendre le relais.
Notons toutefois qu’être immobile et ne rien faire sont deux choses très différentes.
Aversion au risque
Pour revenir à notre analogie avec Karate Kid, comme c’est très bien dit dans le film « être immobile et ne rien faire sont deux choses très différentes ». Étant donné que nous n’avons pas bougé et n’avons pas renforcé le risque dans ce contexte optimiste, lorsque qu’une série d’événements imprévus a provoqué des turbulences sur les marchés au cours du mois, nous étions assez bien positionnés. Tout d’abord, une frappe aérienne américaine a tué le général iranien Qassem Soleimani, ce qui a alimenté les craintes d’embrasement des tensions au Moyen-Orient. Nous avons constaté une réaction typique avec une correction des actifs risqués, une hausse marquée du prix du pétrole et une baisse des rendements des obligations « core », alors que les investisseurs se sont réfugiés sur les segments défensifs du marché. En dépit des tensions perceptibles sur les marchés et de rumeurs de guerre, nous avons décidé de laisser nos expositions aux actions intactes, et préféré attendre que l’Iran formule une réponse officielle. La situation s’est finalement calmée et les craintes se sont rapidement dissipées.
Appétence pour le risque
En milieu de mois, les trois principaux indices américains ont une fois de plus enregistré de nouveaux records intrajournaliers. Ceux-ci sont apparus après la publication de statistiques macroéconomiques optimistes en provenance des États-Unis (par ex. les constructions de nouveaux logements ont atteint un plus haut en 13 ans) et de la Chine (la production industrielle a progressé de 6,9% en glissement annuel, ce qui est supérieur aux prévisions). Ils ont également été alimentés par des indications avancées selon lesquelles la saison de publication des résultats du quatrième trimestre pourrait être positive, les résultats supérieurs aux attentes des principales banques lançant les festivités.
Le secteur du luxe en particulier dépend lourdement de la clientèle chinoise, et de grands noms ont vu le cours de leur action s’effondrer.
Aversion au risque
L’effervescence a cependant été de courte durée. La panique a fait son retour peu après à la suite de l’annonce du coronavirus et les pessimistes se sont à nouveau clairement fait entendre. Afin d’essayer de prévenir la contagion, le gouvernement chinois a isolé plus de dix villes, tandis que les voyages de et vers la Chine ont été interrompus par certaines compagnies aériennes et certains pays (Hong Kong et la Russie ont fermé leurs frontières avec la Chine continentale). Les investisseurs anticipent que ces mesures vont peser sur le secteur manufacturier déjà fragile, ainsi que sur les dépenses de consommation. Le secteur du luxe en particulier dépend lourdement de la clientèle chinoise, et de grands noms ont vu le cours de leur action s’effondrer. Les craintes ont également été manifestes dans les tranches plus risquées du marché obligataire, avec à la clé un élargissement relativement marqué des spreads du haut rendement. En dépit du bruit environnant, nous avons encore choisi de nous en tenir à notre ligne de conduite et de maintenir notre allocation d’actifs inchangée. Le contexte actuel est certes différent de celui d’il y a 20 ans, mais nous remarquons que lorsque l’épidémie de SARS a atteint son sommet en 2003, le marché avait déjà rebondi de 23%.
Il est en effet tentant de vendre en période de tensions, en particulier aujourd’hui où nous sommes informés 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et inondés de gros titres sensationnels. Pour rester calme dans de telles circonstances et faire abstraction du bruit du marché à court terme, il convient de se focaliser sur les fondamentaux qui sous-tendent votre stratégie d’investissement, tout en veillant à être correctement diversifié. À cette fin, nos portefeuilles sont également investis dans des emprunts d’État des principales économies, tandis que notre exposition aux actions affiche un biais en faveur des sociétés de qualité disposant de bilans solides et de perspectives de croissance des bénéfices.
Il est aussi difficile de prédire les fluctuations du marché que de tenter d’attraper une mouche avec des baguettes. Nous nous laissons guider par les fondamentaux et les données, plutôt que par l’actualité. C’est ce qui nous a permis de ne pas nous laisser prendre par le vacarme du marché en janvier. Nous restons prêts à relever notre exposition aux actifs risqués si les données disponibles le justifient. Cependant, pour l’heure, nous estimons qu’il est approprié de faire preuve de patience (en particulier tant que l’incidence complète du coronavirus demeure une grande inconnue).