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23 décembre 2024

Ces histoires qui guident (à tort) nos investissements

Dans le monde de l’investissement, il existe beaucoup de narrations économiques que presque plus personne ne remet en question et qui influencent le comportement de nombreux investisseurs peu aguerris. La question est de savoir jusqu’où ces histoires, répétées encore et encore, sont dignes de confiance pour guider vos choix en matière d’investissement.

myLIFE a déjà beaucoup écrit sur ces biais cognitifs qui perturbent notre prise de décision en matière d’investissement. À côté des biais, il y a aussi toutes ces histoires que l’on se raconte et accepte parfois comme des vérités établies afin de guider ou justifier nos décisions d’investissement. Vous en connaissez certainement quelques-unes : « l’or est la valeur refuge par excellence », « les cryptomonnaies sont l’avenir ». D’autres étaient évidentes il y a de cela encore quelques années, mais ont été infirmées entretemps par la réalité. Un exemple particulièrement marquant fut la narration aux USA selon laquelle les prix de l’immobilier ne pouvaient que grimper. Une narration qui a conduit à la terrible crise des subprimes en 2008.

Comment l’émergence de ces narrations est-elle possible ? Robert J. Schiller, Prix Nobel d’Economie pour son travail sur la fluctuation des prix sur les marchés et leur caractère irrationnel, a traité cette question. Selon lui, il est difficile voire impossible pour la majorité d’entre nous d’admettre que les mouvements de marchés sont parfois dus à des phénomènes aléatoires.

Nous préférons croire en des informations qui confirment l’histoire que l’on se raconte plutôt que considérer également sérieusement les indices contraires.

La finance comportementale a montré que nous aimons nous raconter des histoires, insuffler du sens là où il n’y en a pas forcément. Nous avons besoin de savoir que les choses arrivent pour une raison, quitte à inventer cette raison. Le problème est que, à partir de là, nous procédons inconsciemment à un tri sélectif interne qui nous fait valoriser les informations qui confirment cette histoire plutôt que considérer également sérieusement les indices contraires.

Petit à petit, ces histoires que se racontent de multiples agents économiques s’agrègent et forment ce que Schiller nomme des « narrations économiques » comme celles sur l’or ou, plus récemment, les cryptomonnaies. Mais quelles preuves avez-vous de la véracité de ces narrations ? Où puisez-vous les éléments vous permettant de les juger crédibles au point d’en faire dépendre le résultat de vos investissements ? Que feriez-vous si vous réalisiez que ces affirmations n’avaient aucun véritable fondement ?

Pour Schiller, c’est parfois la narration qui crée une réalité sur les marchés. Mais une réalité fragile puisque sans fondement réel. Ainsi, il affirme que le bitcoin a finalement réussi à avoir une certaine valeur monétaire uniquement parce que les gens ont cru avec enthousiasme à sa valeur. De même, les investisseurs ont une préférence pour l’or parce que tout le monde a une préférence pour l’or. Enfin, avant la crise des subprimes, les Américains ont souscrit des prêts pour acheter des maisons parce qu’ils ont eu foi en la narration qui voulait que les prix de l’immobilier ne pouvaient que monter. Ce dernier exemple illustre parfaitement la fragilité de l’investissement réalisé sur base d’une narration économique.

Il était une foi(s)

Le Prix Nobel d’Économie appelle tous les agents économiques à se méfier de ces narrations. Ces histoires virales simplifiées ont le potentiel de vous faire changer la manière dont vous allez agir, particulièrement la manière dont vous allez investir. En caricaturant, il nous rappelle, à la manière d’un père à ses enfants encore un peu naïfs, qu’il ne faut pas croire tout ce qu’on nous raconte.

L’histoire s’est-elle propagée sur la base de faits économiques avérés et vérifiables ou est-ce le caractère viral de la rumeur qui a fini, à terme, par créer un événement économique ?

Derrière beaucoup de narrations économiques, il y a une réelle difficulté à déterminer la direction de la causalité : l’histoire s’est-elle propagée sur la base de faits économiques avérés et vérifiables ou est-ce le caractère viral de la rumeur qui a fini, à terme, par créer un événement économique ? Dans la seconde alternative, on se retrouve en présence d’une prophétie autoréalisatrice. Ses effets sont réels, mais son fondement est très fragile et peut s’effondrer à tout moment.

Les choses se compliquent encore lorsqu’on sait que certaines de ces narrations ne sont parfois accessibles dans leur version complète qu’aux professionnels avertis. De son côté, l’investisseur privé ne va investir que sur la base de rumeurs parcellaires qui lui parviennent. Des rumeurs qui auront à la fois déformé la narration originale, mais aussi accentué son apparence de vérité indiscutable. Et à l’heure où le monde connecté rend la propagation de fake news possible en quelques secondes, s’intéresser aux news économiques « grand public » ne vous prémunit nullement des dangers de la narrations économiques. Que faire ?

Se protéger des narrations économiques

Comment éviter d’être la victime d’une narration économique ? Avoir conscience qu’elles existent est un premier pas. Rechercher les fondements qui les sous-tendent et en tester la solidité est un deuxième pas dans la bonne direction. Et parfois, vous faire accompagner par un professionnel, voire lui déléguer la gestion de vos investissements est tout simplement la meilleure solution.

Aussi vrai qu’un chirurgien n’opère pas des membres de sa famille par crainte de ne pas être en pleine possession rationnelle de ses moyens afin de prendre les bonnes décisions, nous ne sommes pas toujours les mieux placés pour investir notre propre argent. Si nous ne sommes pas en mesure d’avoir un recul critique et de faire preuve d’une froide rationalité face aux événements qui nous entourent, le plus judicieux est de s’en remettre aux mains expertes de votre banquier.