Quand l’aversion au risque compromet la réussite des investisseurs
Spontanément, l’aversion au risque peut sembler utile pour les investisseurs, car elle les protège des pires turbulences qui secouent les marchés et leur permet d’éviter les placements peu judicieux. Il s’agit d’une réponse toute naturelle pour ceux qui ont travaillé dur pour gagner de l’argent et ne souhaitent pas le perdre. Pourtant, elle les incite trop souvent à rester investis au mauvais moment, dans les mauvais produits ou actifs, réduisant de fait leur richesse sur le long terme.
L’aversion au risque peut se manifester de nombreuses manières dans la gestion des investissements et de la fortune. Tout d’abord, elle incite à détenir des liquidités, plutôt que d’investir dans des actions, voire des obligations. Selon l’édition 2019 de l’étude BlackRock Investor Pulse sur les investisseurs, 57% des sondés n’investissaient pas du tout leur épargne sur le marché; parmi ceux-ci, 27% justifiaient ce choix par la peur de tout perdre.
Durant les quinze années marquées par des taux d’intérêt nuls ou quasi nuls synonymes d’un rendement de l’épargne le plus souvent inférieur à l’inflation, cette propension à détenir des liquidités a sensiblement érodé la valeur du patrimoine à long terme. Une somme de 30.000€ qui ne génère pas d’intérêts verrait sa valeur réelle réduite à 20.200€ sur 20 ans, sur la base d’un taux d’inflation de seulement 2%. Les taux d’intérêt des comptes d’épargne ont certes augmenté depuis le retour d’une inflation élevée en 2021 et 2022, mais ils n’ont généralement pas suivi l’augmentation du coût de la vie.
Durant les quinze années marquées par des taux d’intérêt quasi nuls synonymes d’un rendement de l’épargne le plus souvent inférieur à l’inflation, la propension à détenir des liquidités a sensiblement érodé la valeur du patrimoine à long terme.
Préservation du capital
Le second problème lié à l’aversion au risque est qu’elle amène les investisseurs à privilégier la préservation du capital à court terme plutôt que la croissance à long terme. Depuis la crise financière mondiale, qui a vu les marchés boursiers céder jusqu’à 40% de leur valeur, les investisseurs se méfient des investissements en actions et de la volatilité qui y est associée. Depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020, les actions ont traversé de nombreuses turbulences, avec pour conséquence une chute des marchés boursiers mondiaux en 2022. Cela a été suivi par un rebond en 2023 et 2024, avant une nouvelle baisse sensible début 2025.
En réponse aux craintes des investisseurs quant à de nouveaux replis soudains des marchés, plusieurs fonds multi-actifs et autres stratégies d’investissement ont vu le jour, ayant pour objectif de réduire la volatilité tout en offrant un rendement supérieur à celui des liquidités. Instinctivement, une telle approche peut certes sembler plus sûre, mais elle pourrait également affecter la croissance du capital à long terme nécessaire pour assurer une retraite confortable. Entre 2009 et 2020, les marchés actions ont enregistré des rendements totaux impressionnants. Dans une optique de croissance du capital sur le long terme, il est essentiel d’investir et de conserver ses positions sur les marchés, tout en évitant de céder à la panique lors des phases baissières temporaires.
Des arguments solides plaident même plutôt en faveur d’une plus grande prise de risque des investisseurs sur les marchés boursiers. De nombreuses stratégies actions visent à minimiser le risque baissier et à offrir aux investisseurs la meilleure évolution possible, un confort pourtant susceptible d’éroder les rendements à long terme.
Identifier les actions à croissance élevée
Les recherches de Hendrik Bessembinder, professeur de finance à la W.P. Carey School of Business de l’université d’État d’Arizona, ont révélé que les rendements des marchés actions se concentrent sur une poignée d’entreprises à forte croissance. Si vous passez à côté, autant investir dans des obligations d’État! Selon le professeur Bessembinder, sur une période de 90 ans, plus de 95% des sociétés du marché américain n’ont généré aucune valeur pour les investisseurs.
Il affirme que les 35.000 milliards de dollars de valeur supplémentaire créée par les actions par rapport aux bons du Trésor entre 1926 et 2016 peuvent être attribués à seulement 1.092 entreprises, soit 4,3% des presque 26.000 actions négociées sur les marchés sur cette période. Plus de la moitié de ces 35.000 milliards de dollars ont été générés par 90 sociétés seulement, soit moins d’un tiers de pour cent du total des titres cotés.
Des conclusions surprenantes et difficiles à assimiler par les investisseurs. Elles signifient en effet que l’accroissement du patrimoine à long terme est conditionné à l’identification de ces sociétés à croissance élevée, bien qu’elles puissent s’avérer volatiles et souvent sembler onéreuses. Ces résultats permettent également d’expliquer en partie pourquoi des portefeuilles peu diversifiés sous-performent les moyennes du marché.
Portefeuille diversifié
Le cours de l’action Amazon était considéré comme cher en 2000, lorsqu’il atteignait 0,78$. Le groupe n’a engrangé que de maigres bénéfices jusqu’en 2005, malgré la hausse de ses volumes de vente. À la fin avril 2025, le prix de son action avoisinait 186$, après avoir culminé à 242$ en deux mois plus tôt. Cela illustre comment l’aversion au risque peut empêcher les investisseurs d’exploiter au maximum les opportunités de gains qui accompagnent la progression des marchés boursiers.
Cet exemple démontre également l’importance d’un portefeuille bien diversifié, qui accroît la probabilité de voir certains titres se démarquer par leurs performances exceptionnelles (et compenser les mauvais résultats des titres à la traîne). Il convient également de conserver ces actions pendant une période suffisante pour pouvoir en tirer parti lorsqu’elles réalisent leur plein potentiel. Pour ce faire, il est possible d’investir dans un ou plusieurs fonds passifs, souvent sous la forme de fonds indiciels cotés, incluant un large éventail d’actions issues d’un indice de marché boursier, ou – ce qui est nettement plus difficile à réaliser – de sélectionner un gérant actif réputé pour sa capacité à dénicher de manière consistante les futurs gagnants.
Nous ressentons les pertes plus intensément que les gains.
Des mécanismes psychologiques profondément ancrés sous-tendent l’aversion au risque. Selon les spécialistes de l’économie comportementale, nous ressentons les pertes plus intensément que les gains. Le psychologue Amos Tversky et le lauréat du prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, ont élaboré la théorie des perspectives à la fin des années 1970, qui détermine comment les individus effectuent un choix entre différentes possibilités, par exemple s’il faut privilégier un investissement qui promet des gains à long terme, avec un potentiel de pertes à court terme, ou plutôt la préservation du capital.
En quête de certitude
Leurs travaux ont permis de conclure que les investisseurs apprécient généralement la certitude: ils préfèrent les issues certaines et sous-pondèrent celles qui ne sont que probables. Une approche compréhensible dans le contexte des marchés, où la hausse peut certes être élevée, mais est par nature incertaine. Les liquidités et placements obligataires peu risqués offrent une certitude, ou tout du moins une probabilité sensiblement plus élevée. Les investisseurs sont satisfaits de savoir qu’ils récupéreront au moins le montant nominal de leur apport, même si l’inflation érode leur pouvoir d’achat.
Il convient également de noter que le risque effectivement associé à un investissement sur le marché actions est inférieur à ce que l’on croit – tant que les investissements sont conservés sur le long terme. Une analyse du conseiller financier britannique Willis Owen a démontré qu’au cours d’une période de 33 ans, les investisseurs qui auraient placé leur argent en bourse pour 10 ans n’auraient subi des pertes qu’au cours de 6 périodes sur les 281 périodes possibles.
Stratégies de limitation des pertes
En règle générale, ces périodes ont été celles où les investisseurs ont acheté des actions lors de pics du marché, juste avant son effondrement, notamment le 31 janvier 1999 ou juste avant la crise financière de 2007-2009. En dehors de ces situations, ils ont enregistré un rendement moyen de 139% sur dix ans.
Dans la plupart des cas, ces – très rares – pertes auraient pu être limitées en optant pour une stratégie d’investissements mensuels réguliers, au lieu de placer l’intégralité du capital disponible en une fois sur le marché actions. Selon cette stratégie, que l’on appelle le Dollar Cost Averaging, un investisseur est en mesure de placer régulièrement la même somme dans un ou plusieurs investissements donnés.
L’aversion au risque peut parfois aider les investisseurs, mais dans une mesure limitée. Une mauvaise compréhension du niveau de risque des marchés actions et la prédilection pour la préservation du capital à court terme au détriment de la création de valeur à long terme peut les pénaliser. D’après les données disponibles, la meilleure approche consiste à ne pas écouter son instinct et à prendre davantage de risques tout en maintenant le cap sur le long terme. Mieux encore, il faut comprendre que les risques génèrent des opportunités, tandis que la peur peut inciter à prendre de mauvaises décisions d’investissement, susceptibles de coûter cher. N’hésitez pas à vous faire accompagner par un professionnel.