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16 avril 2024

Parole d’expert : « Les tensions commerciales amplifient le ralentissement mondial »

Les économies passent par des phases d’expansion et de contraction. Les indices PMI du secteur manufacturier (des sondages réalisés auprès des directeurs d’achat, qui servent d’indicateur avancé de la croissance à venir) sont en berne, et il semble que la longue phase d’expansion touche à sa fin. En temps normal, la fin de cycle est une période souvent porteuse pour les actifs risqués. Mais, dans un contexte de politique commerciale bipolaire des États-Unis et de faiblesse inédite des rendements obligataires, le relativisme n’est pas de mise. Fredrik Skoglund, CIO à la BIL, et son équipe reviennent sur les événements marquants d’août 2019 et leurs implications pour les investisseurs.

Une chose est sûre : les tensions commerciales actuelles, essentiellement entre les États-Unis et la Chine, accélèrent le ralentissement. En août, les escarmouches ont à nouveau fusé. Alors que l’espoir d’une résolution allait bon train, les belligérants acceptant de revenir à la table des négociations à Shanghai, le président américain Donald Trump a brutalement annoncé de nouveaux droits de douane sur les exportations chinoises qui n’étaient pas encore visées (10 % sur environ 300 milliards de dollars de marchandises). Date prévue d’entrée en vigueur : 1er septembre. De son côté, la Chine a laissé sa devise franchir le seuil symbolique des 7 yuans pour un dollar. La courbe des taux américains s’est inversée (une première depuis la crise financière) et les investisseurs ont fui les actifs risqués, faisant connaître à l’indice MSCI World l’une des pires séances de ces dernières années. Ils se sont massivement tournés vers les valeurs refuge : bons du Trésor, yen japonais, franc suisse et or, ce dernier s’envolant à plus de 1.500 dollars l’once. La Chine a été accusée de manipuler sa devise et les États-Unis ont fini par revenir sur leur décision, repoussant l’entrée en vigueur d’une moitié des nouveaux droits de douane au 15 décembre. Les marchés ont rebondi à l’annonce de ce changement de cap, jusqu’à ce qu’ils réalisent que cela ne faisait que prolonger l’incertitude. Pékin a ensuite décidé d’imposer des tarifs douaniers allant de 5 % à 10 % sur 75 milliards de dollars d’importations américaines. Cette décision a été suivie par un relèvement des taxes envisagées par Washington, tandis que Donald Trump menaçait de déclarer l’état d’urgence pour contraindre les entreprises américaines à rompre tout lien avec la Chine. Les dirigeants chinois auraient (ou pas, les versions divergent) alors appelé leurs homologues américains pour proposer des négociations. Pour l’heure, Donald Trump semble à nouveau convaincu qu’un accord est possible.

Nous sommes moins optimistes que lui à court terme, car nous pensons qu’il faudra plusieurs années pour signer, avaliser et appliquer un accord. Dans l’intervalle, l’incertitude continue de peser sur la croissance mondiale…

Compte tenu du dynamisme de la demande intérieure, la croissance américaine est relativement protégée des tumultes, sans être totalement épargnée.

L’économie américaine est relativement protégée des tensions commerciales, sans être totalement épargnée

Compte tenu du dynamisme de la demande intérieure, la croissance américaine est relativement protégée des tumultes, sans être totalement épargnée. La croissance s’est révélée conforme aux attentes au deuxième trimestre, à 2,1 %, étayée par la bonne tenue des dépenses de consommation et le dynamisme du secteur des services. Le consensus Bloomberg table sur une croissance annuelle de 2,5 %, un chiffre qui nous paraît plausible compte tenu notamment de la récente reprise des investissements. Cependant, sous l’effet de la dégradation des exportations, l’indice PMI du secteur manufacturier élaboré par Markit est passé sous la barre des 50 en août (à 49,9), ce qui annonce une contraction. Il s’agit de son plus bas niveau depuis 2009. Si cette tendance se propage à l’emploi et aux salaires, la capacité des consommateurs américains à soutenir l’économie risque d’en pâtir.

La récession semble s’annoncer en Europe

La situation est nettement plus inquiétante sur le Vieux Continent. En Allemagne, sa plus grande économie, la récession semble d’ores et déjà éclore. L’économie allemande s’est ainsi contractée de 0,1 % au deuxième trimestre en raison d’un repli des exportations. Très axée sur l’export, la zone euro subit de plein fouet les dommages collatéraux de la guerre sino-américaine. Dans un contexte de confiance mise à mal par l’incertitude commerciale et de ralentissement de la croissance, la demande en exportations européennes clés, notamment des machines, s’inscrit en baisse. Le feuilleton politique européen vient lui aussi assombrir les perspectives. La reine Elizabeth II a autorisé le Premier ministre britannique, Boris Johnson, à suspendre les travaux du Parlement pendant cinq semaines, minant les efforts des députés qui espéraient éviter un Brexit sans accord le 31 octobre. En Allemagne, la coalition au pouvoir a de nouveau été malmenée lors des élections locales tandis qu’en Italie, le président Sergio Mattarella a appelé à des élections après l’effondrement de l’alliance entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles. Il semble que Matteo Salvini, à l’origine d’une motion de censure contre le gouvernement (résultat d’une coalition entre son parti, la Ligue, et le Mouvement 5 Étoiles, un parti anti-système), se soit tiré une balle dans le pied et n’obtienne pas la majorité absolue qu’il convoitait. Giuseppe Conte, qui avait démissionné après le coup d’éclat de Matteo Salvini, a été chargé par Sergio Mattarella de former un nouveau gouvernement. Le parti démocrate devrait s’allier au Mouvement 5 Étoiles, actant la mise en touche de la Ligue.

Les banques centrales à la rescousse ?

Alors que les nuages s’amoncellent, tous les regards sont tournés vers les banques centrales. Compte tenu des déclarations de Mario Draghi, qui a estimé que les choses allaient de mal en pis dans la zone euro, de la faiblesse pérenne de l’indice des prix à la consommation, de la dégradation des anticipations d’inflation et de la tendance à la baisse des cours du pétrole (comme en témoignent les marchés à terme), la BCE devrait dévoiler un programme d’assouplissement quantitatif de grande ampleur le 12 septembre. Abaissement des taux directeurs, système de taux de rémunération différenciés, achats d’actifs et/ou prolongation des indications prospectives sont autant d’options possibles. Mais, pour qu’elles aient un impact fort et durable sur l’économie, ces décisions devront s’accompagner de mesures budgétaires. Le 18 septembre, la Fed devrait à nouveau abaisser ses taux : la probabilité d’une baisse d’un quart de point atteint actuellement 91 %. Il semble qu’une interaction se forme entre politique monétaire et politique commerciale, ce qui pourrait pousser la Fed à rassurer les marchés avec de nouvelles baisses cette année.

L’ombre de Donald Trump planant sur les marchés, il nous a semblé judicieux de faire quelques réserves.

Savoir se positionner : prudence est mère de sûreté

Nous avons décidé de réduire notre exposition globale aux actions en août en raison du regain de tensions entre la Chine et les États-Unis. Nous en avons investi le produit dans des secteurs plus sûrs du marché obligataire (bons du Trésor américain à court terme et instruments du marché monétaire notamment). Comme nous le disions en introduction, les actifs risqués ont souvent le vent en poupe en fin de cycle, mais le contexte actuel n’a rien de classique et nous estimons que les risques sont plutôt baissiers. L’ombre de Donald Trump planant sur les marchés, il nous a semblé judicieux de faire quelques réserves.