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26 avril 2024

Succession: comment transmettre l’entreprise familiale à ses enfants?

Après avoir mis tout votre cœur et votre énergie dans la gestion de votre entreprise, vous songez désormais à son avenir et au meilleur moyen de garantir sa pérennité après votre disparition. Comment impliquer vos enfants et leur transmettre votre société de manière équitable, tout en évitant les conflits ou les irrégularités au moment de la succession?

Envisager sa succession est un moment délicat pour vous et pour vos proches. Une planification minutieuse s’impose pour éviter les conflits, et plus encore lorsqu’une société fait partie du patrimoine familial.

Si conserver l’entreprise au sein de la famille présente des avantages (loyauté et sentiment de responsabilité envers la société, bonne connaissance de ses spécificités, de sa culture, etc.), la démarche n’est pas forcément plus aisée que dans le cadre d’une vente à un repreneur extérieur. Afin de perpétuer votre héritage et d’organiser votre succession de manière optimale, il est indispensable d’anticiper la démarche et d’en parler de manière transparente avec vos proches. Surtout si vous pressentez un de vos enfants pour prendre votre place sans forcément vouloir impliquer les autres dans la gestion future de l’entreprise.

Discuter de l’avenir de votre entreprise avec vos enfants

La transmission d’entreprise n’est pas anodine et nécessite une solide préparation en amont. Le fait que cela se passe à l’intérieure de la famille ne constitue nullement une raison valable pour faire les choses de manière moins rigoureuse. Il est indispensable d’anticiper le passage de relais tant pour la sérénité de vos enfants que pour respecter les règles en matière de succession et pour la bonne santé future de votre société.

Vous pensez peut-être que votre fils aîné possède les compétences indispensables pour diriger la société ou encore que les aptitudes de votre fils cadet et de sa sœur correspondent parfaitement aux besoins de votre structure. Mais, en avez-vous déjà discuté sérieusement avec eux? Vos ambitions sont-elles compatibles avec les projets de vos enfants? Souhaitent-ils réellement reprendre l’entreprise?

Dans le passé, la question ne se posait généralement pas: les enfants succédaient à leurs parents, qu’ils en aient ou non émis le souhait. Aujourd’hui, les mentalités ont changé. La plupart des entrepreneurs comprennent qu’il est inutile, voire contreproductif de forcer un enfant qui n’en a pas envie à reprendre l’affaire familiale.

Il est donc indispensable, dès que possible, de sensibiliser vos enfants au fonctionnement de l’entreprise et à ses valeurs. Répondez à leurs interrogations et essayez d’évaluer l’intérêt qu’ils portent à la société et à ses activités. Se sentent-ils capables de prendre votre suite? D’endosser le rôle de dirigeant? Ont-ils, au contraire, d’autres projets pour leur avenir professionnel? Ces questions doivent être abordées en famille et en toute franchise. Il s’agit d’une étape indispensable pour les aider à faire le point quant à leurs objectifs futurs. Elle vous permettra également de vous organiser de manière adéquate selon les ambitions de chacun.

Céder son entreprise à un tiers

Si aucun de vos enfants n’a la volonté ou la capacité de reprendre le flambeau, il faudra prévoir de recourir à un tiers pour assurer la continuité de l’activité de votre société. Parlez-en avec votre entourage familial: peut-être que votre frère ou une cousine pourrait être intéressé(e)? Vous pouvez aussi envisager de vendre à l’un de vos proches collaborateurs, à votre équipe de direction ou encore faire appel à un repreneur extérieur. Dans tous ces cas de figure, la transmission devra être anticipée plusieurs années à l’avance et minutieusement préparée.

Intégrer progressivement les repreneurs

Finalement, seuls deux de vos trois enfants souhaitent prendre la relève. La benjamine, en revanche, a d’autres ambitions.

Le passage de flambeau à vos deux garçons doit être préparé suffisamment à l’avance afin que leur intégration s’effectue progressivement. Ils devront être formés, acquérir les compétences indispensables à la gestion d’une entreprise, rencontrer l’entourage professionnel, se familiariser avec les processus de fonctionnement, avoir accès aux différentes données de l’entreprise, etc. Impliqués dans la vie de la société, ils prendront également part, dès que possible, aux décisions stratégiques.

Cet apprentissage doit se dérouler sur plusieurs années, afin de permettre aux futurs successeurs de trouver leur place et d’être opérationnels le moment venu. C’est également un moyen pour vous de passer la main en douceur.

Dissocier la propriété et la direction opérationnelle de votre société (…) permettra de répartir les rôles au sein de l’entreprise, tout en préservant ses performances futures.

Répartir les rôles et partager la future succession

Transmettre la propriété et la direction opérationnelle de l’entreprise familiale à plusieurs enfants soulève de nombreuses questions: faut-il transmettre la propriété de la société à parts égales à tous vos enfants? Faut-il privilégier l’aîné, le plus qualifié, ou celui qui s’est le plus investi? Devez-vous confier la direction à un seul ou à plusieurs d’entre eux, ou encore à une personne extérieure?

Il n’existe pas de solution parfaite. Tout dépend des relations entre vos enfants, de leurs affinités envers l’entreprise, de leurs compétences respectives, etc. Ces questions stratégiques doivent être discutées en famille. Notez cependant qu’un partage égal ne sera pas forcément équitable.

Imaginez, par exemple, que vos deux garçons se soient investis pendant des années dans l’entreprise familiale et qu’au moment de votre disparition, leur sœur obtienne le même pouvoir décisionnaire qu’eux au sein de la société. Cela pourrait engendrer des tensions et même freiner le bon fonctionnement de la compagnie.

Il peut donc être judicieux de prévoir de dissocier la propriété et la direction opérationnelle de votre société. Cela permettra à l’avance de répartir les rôles au sein de l’entreprise, tout en préservant ses performances futures.

    • La charte familiale: il est conseillé de mettre en place une charte familiale ou un pacte d’actionnaires afin de définir les engagements et d’organiser les relations entre les membres de la famille. Ce document précise les objectifs, les valeurs et la vision de la famille. Il détermine également le fonctionnement de l’entreprise: les rôles et missions de chacun (actionnaire passif, actif, pouvoir de direction ou non, etc.), les règles de gouvernance, les modalités d’entrée et de sortie, etc.

Quelles solutions pour planifier sa succession?

Répartir votre succession de manière équitable est un enjeu de taille, surtout si l’entreprise occupe une place prépondérante dans votre patrimoine. L’objectif est de garantir sa pérennité, mais aussi de préserver une bonne entente familiale et de faire en sorte qu’aucun de vos enfants ne soit lésé. Voici quelques pistes pour vous aider à organiser votre succession.

Effectuer un bilan patrimonial

Commencez par effectuer un bilan patrimonial. Votre succession (masse successorale) se compose en principe de vos biens, diminués de vos dettes. Pour déterminer ce que vous allez transmettre à vos héritiers, faites le point sur ce que vous possédez. Un conseiller spécialisé peut vous aider dans cette démarche. Il répertoriera l’ensemble de vos biens (financiers, immobiliers, professionnels, etc.) et de vos dettes, tout en tenant compte de votre régime matrimonial, si vous êtes marié.

Rédiger un testament

Au Luxembourg, la succession est partagée entre les membres de la famille proche selon les règles de la dévolution successorale légale. C’est la loi qui détermine les bénéficiaires et la part de l’héritage qui leur revient. Il est cependant possible de revoir dans certaines limites la répartition prévue par la loi en rédigeant un testament.

Veillez à respecter la réserve héréditaire, c’est-à-dire la part de votre succession qui doit obligatoirement être attribuée aux héritiers réservataires.

Veillez cependant à respecter la réserve héréditaire, c’est-à-dire la part de votre succession qui doit obligatoirement être attribuée aux héritiers réservataires. Dans l’exemple proposé ici, les trois enfants doivent percevoir au minimum 75% de votre masse successorale (67% s’il n’y avait eu que deux enfants et 50% avec un seul enfant). La part restante (appelée quotité disponible), pourra être attribuée librement à l’un ou à l’autre de vos enfants, à votre conjoint ou à toute autre personne.

En considérant que votre patrimoine se compose des actions de votre entreprise, de biens immobiliers au Luxembourg et d’économies, vous pouvez, par exemple, choisir de léguer toutes les actions de l’entreprise à vos deux fils et réserver certains de vos biens immobiliers et une somme d’argent à votre fille. Ces legs doivent représenter une valeur équivalente, quelle que soit leur nature. Chacun de vos enfants doit bénéficier au minimum de sa réserve héréditaire. Si ce n’était pas le cas, celui qui a été lésé peut exercer une action en réduction et réclamer le versement d’une compensation financière (une soulte) pour corriger l’inégalité. L’exercice de cette action n’est pas obligatoire et l’héritier réservataire peut renoncer à cette réduction dès l’ouverture de la succession (article 1077-2 du code civil). Le patrimoine restant – la quotité disponible de 25% – pourra ensuite être attribué librement. Pour davantage d’information sur ces questions, n’hésitez pas à consulter notre dossier succession.

Bon à savoir: au Luxembourg, les droits de succession sont compris entre 0% et 48% de la part d’héritage perçu. Ils varient selon le lien de parenté et la valeur des biens du patrimoine. Cependant, les héritiers en ligne directe n’ont pas de droits à régler sur la partie qui constitue leur part légale.

Effectuer des donations

Vous pouvez également préparer votre succession en donnant une partie de votre patrimoine à vos enfants de votre vivant. Cependant, au moment du partage successoral, les dons effectués seront pris en compte et réévalués afin de vérifier que chaque enfant a eu droit à sa part réservataire.

Si, de votre vivant, vous avez donné des actions de la société à vos deux fils et une somme d’argent à votre fille, il est possible que la valeur de votre affaire ait doublé entre le moment de la donation et celui du partage de la masse successorale. Résultat, votre fille serait en droit de réclamer une compensation financière afin de rééquilibrer la répartition de l’héritage (sauf si la hausse de la valeur de l’entreprise est due aux efforts – travail et investissements financiers- de ses deux frères).

Attention: les héritiers sont libres de refuser la succession (par exemple, lorsqu’elle n’est pas avantageuse pour eux: soulte à payer, dettes, etc.). Dans ce cas, ils pourront conserver la donation comme elle a été faite le jour du don.

Pour éviter la réévaluation des dons, une solution pourrait être d’effectuer une donation-partage (article 1078 du Code Civil), dont la particularité est la suivante: « (…) les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les enfants vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté. » Dans ce cas, chaque descendant reçoit un don et il n’y aura pas de réévaluation au moment du partage de votre succession pour savoir si l’un ou l’autre enfant a été avantagé.

Bon à savoir: sauf en cas de dons manuels ou indirects (et sous condition), les donations au Luxembourg sont soumises aux droits d’enregistrement (entre 1,8% et 2,4% pour une donation en faveur d’un enfant) et aux frais de notaire.

Qu’en est-il du conjoint?

Si vous êtes marié, votre patrimoine sera partagé entre vos enfants et votre conjoint selon les règles de la dévolution successorale légale. Vous pouvez, cependant, prévoir d’accorder plus (ou moins) de droits à votre conjoint via votre contrat de mariage, votre testament ou des donations.

Ces exemples ne sont que quelques-unes des solutions pour optimiser votre succession. Selon votre situation personnelle, le processus peut s’avérer beaucoup plus complexe, surtout si une entreprise familiale est en jeu. Pour vous conseiller et vous guider dans la mise en œuvre de votre planification successorale, n’hésitez pas à faire appel à un professionnel qualifié (conseiller en gestion de patrimoine, banquier, avocat, notaire, etc.). Il pourra vous informer quant aux incidences fiscales et juridiques de vos décisions et vous présenter les solutions les plus adaptées afin de préserver les intérêts de votre famille et de votre entreprise.

Cet article traite des successions de personnes résidant au Luxembourg et dont le patrimoine se situe dans le pays. Pour les transmissions transfrontalières, d’autres variables entrent en ligne de compte.

Merci à Maître DEKHAR, Avocate à la Cour et associée de l’étude SD LAW, pour sa contribution à cet article.